Cannes 2018 « Les Âmes mortes » le cri d’un camp maoïste

10 mai 2018 07:46 Mis à jour: 29 août 2018 09:24

« Peut-être le film le plus long de l’histoire du festival de Cannes »: en 8h16, le cinéaste chinois Wang Bing tire de l’oubli un camp maoïste décimé par la famine et enregistre les témoignages bouleversants des ultimes rescapés, un défi à l’amnésie d’Etat imposée par Pékin. Avec son documentaire-marathon « Les Âmes mortes », présenté mercredi, Wang Bing entreprend un « travail de mémoire » ambitieux, dont l’ampleur n’est pas sans rappeler la « Shoah » de Claude Lanzmann. Le film décrit, via une quinzaine de témoignages recueillis durant une décennie, la tragédie du « camp de rééducation » de Jiabiangou, dans le désert de Gobi (nord), où ont été envoyés dans les années 1950 quelque 3.000 prisonniers politiques victimes des purges maoïstes.

En 1960 avec les effets de la grande famine

Après s’être intéressé dans ses documentaires aux laissés-pour-compte du miracle économique chinois, le quinquagénaire Wang Bing exhume dans « Les Âmes mortes », pour en fixer le souvenir, une page cruelle de l’édification du socialisme chinois qui n’a cessé de l’obséder. Après la fondation de la République populaire par Mao Tsé-toung en 1949, une campagne « anti-droitière » lancée en 1957 condamne nombre d’intellectuels à la « rééducation par le travail ». Jiabiangou est l’un des camps ouverts pour les interner, sans qu’il soit besoin de murs: en plein désert, il est entouré de sables et traversé constamment par un vent glacial. Aux tortures endémiques s’ajoutent en 1960 les effets de la grande famine qui ravage le pays: pour survivre, les prisonniers sont contraints de dévorer rongeurs, feuilles et écorces et même la chair de leurs co-détenus, dont les cadavres sont abandonnés derrière les dunes.

Seuls 500 prisonniers survivront. Les autorités finissent par fermer le camp en 1961, s’efforçant de camoufler la tragédie. Une amnésie d’Etat qui persiste aujourd’hui et qui aura nécessité toute la détermination de Wang Bing pour tirer de l’oubli. En 2007, dans son film « Fengming », une vieille dame racontait, méthodiquement, face caméra durant trois heures, les violences des campagnes anti-droitières et l’enfermement de son mari à Jiabiangou, complexe concentrationnaire transformé en charnier. Wang Bing y revient avec « Le Fossé » (2010), sa toute première fiction, tourné sans autorisation dans le désert de Gobi.

Parcourt la Chine à la recherche des dizaines de rescapés encore en vie

Entre 2005 et 2017, le réalisateur parcourt la Chine à la recherche des dizaines de rescapés encore en vie pour enregistrer leur témoignage et leurs cicatrices encore vives, reflet d’une société chinoise durablement traumatisée. A l’origine, « je ne savais pas à quoi j’aboutirais, car il me fallait du temps pour recueillir tous ces témoignages. C’est à partir de 2014 que les choses se sont éclairées sur l’organisation du film », a indiqué Wang Bing mercredi aux quelque 200 spectateurs présents dans la salle du Soixantième. « Les Âmes mortes » est un écrin de 8 heures dédié à la parole de survivants, pour que leur mémoire ne s’éteigne pas, bravant courageusement l’omerta perpétuée par le régime communiste sur les horreurs passées.

En lice à Cannes pour l’œil d’Or du meilleur documentaire, le film débute par un plan de 40 minutes. Le délégué général Thierry Frémaux a estimé qu’il s’agissait « peut-être » du « film le plus long de l’histoire du festival »« C’est une autre expérience de cinéma, l’investissement du spectateur est plus important, le spectateur est réellement mis à l’épreuve », a expliqué à l’AFP l’un d’entre eux, Pierre de la Forest, étudiant en cinéma à Paris 1 Sorbonne. Une expérience éprouvante: à 15h15, après l’heure de pause accordée aux spectateurs, à la mi-temps du documentaire, une petite centaine avait abandonné la projection.

DC avec L’AFP

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