Après l’élection : réconcilier les Français avec le monde

10 mai 2017 08:30 Mis à jour: 10 mai 2017 10:32

Sur le plan de la seule politique française, le premier constat de cette élection aux rebondissements inédits a déjà été établi, et ses ressorts seront disséqués par les spécialistes de sociologie électorale : le Président élu, Emmanuel Macron, représentait à 39 ans la nouveauté et donc l’inconnu dans cette campagne. Les candidats des deux partis de gouvernement ont été désavoués, terminant troisième (François Fillon) et cinquième (Benoît Hamon) de la compétition. Marine Le Pen a réussi pour la deuxième fois en quinze ans à porter l’extrême droite au second tour de l’élection présidentielle, incarnant davantage la colère que la nouveauté (depuis 1974). Depuis 43 ans, il y a toujours eu un candidat de la famille Le Pen aux présidentielles, à l’exception de 1981. The Conversation

Mais le regard doit se porter aussi sur les significations internationales de la campagne. Le débat, les prises de position des principaux candidats, ont montré des inflexions importantes dans le rapport que la France entretient avec le monde.

De la peur de la mondialisation à la tentation autoritaire ?

Sur les quatre candidats arrivés en tête du premier tour, et qui rassemblaient près de 85 % des suffrages exprimés, trois d’entre eux ont développé un message critique à l’égard de l’Union européenne, dont deux – Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon – particulièrement virulents, remettant en cause l’idée européenne elle-même. Il faut, en réalité, ajouter à cette dynamique les scores de la plupart des petits candidats (Dupont-Aignant, Asselineau, Cheminade…). A part Emmanuel Macron et Benoît Hamon, l’immense majorité des candidats de l’élection de 2017 n’adhérait donc plus au projet européen tel qu’actuellement développé.

Sur cette thématique portée courageusement compte tenu de l’atmosphère générale, Emmanuel Macron était bien seul. Il l’a emporté largement, à la fois par rejet du FN, et par crainte de l’aventurisme-amateurisme de sa dirigeante sur des questions comme celle de l’euro. Pour autant, sa victoire ne vaut pas résurrection soudaine de l’enthousiasme européen en France.

On retrouve plus largement, chez les mêmes candidats (Le Pen, Mélenchon, Fillon dans une moindre mesure, plus Dupont-Aignan et quelques autres moins significatifs), la tentation d’une rupture en matière de politique étrangère, parfois jusqu’au retournement d’alliance, autour d’un ensemble rhétorique mêlant critique de la domination américaine, volonté d’une révision de notre relation à l’OTAN, et surtout souhait d’un rapprochement fort avec la Russie de Vladimir Poutine.

Les liens assumés de plusieurs candidats (surtout Le Pen, Fillon, Mélenchon) avec le dirigeant du Kremlin, le soutien qui leur a été apporté par les médias pro-russes (de Sputnik à RT), la proposition reprise par deux candidats (Mélenchon et Fillon) d’une conférence sur les frontières en Europe de nature à entériner les avancées russes en Ukraine et en Géorgie, auraient été difficilement imaginables sans réaction notable, il y a encore cinq ans.

Cette affinité avec le dirigeant russe va de pair avec un discours porté sur la restauration de l’autorité, et pour certains (Fillon, Le Pen) avec la défense de la chrétienté, qui amène ainsi à proposer de soutenir le régime de Bachar al-Assad au nom de la protection des chrétiens d’Orient. Au final, c’est bel et bien un rapprochement avec des régimes au mieux semi-autoritaires qui est en vogue. Là encore, Emmanuel Macron aura été presque le seul candidat à souligner la dimension positive de l’appartenance au projet européen, et à un projet démocratique libéral. Cela représentait 24 % des suffrages exprimés au premier tour.

La nécessité d’un message fort

La nécessité politique et sociologique, sur le plan interne, de reconcilier plusieurs France après cette élection a déjà été soulignée. Il en existe une autre : réconcilier les Français avec leur politique étrangère, et avec le monde.

Depuis 1958 et bien après le retrait du général de Gaulle, le socle gaullien a prôné un maintien dans l’Alliance atlantique assorti d’une liberté de ton et de manœuvre, une solidarité avec nos partenaires européens, à commencer par l’Allemagne (avec la même liberté critique), et un universalisme impliquant une relation privilégiée avec le Sud, donc la France se fait souvent le porte-parole aux Nations Unies ou à d’autres tribunes internationales. Cette tradition est aujourd’hui remise en cause. Elle l’a d’abord été par une conception plus occidentaliste, qui a pu placer le curseur plus proche des faucons que des colombes, aux États-Unis bien sûr (Bush plutôt qu’Obama), mais aussi ailleurs (Netanyahu plutôt que le parti travailliste ou le parti de la paix en Israël, entre autres exemples).

Elle l’a été bien plus fortement encore, pendant la campagne, par une tentation du repli associée à une fascination de l’homme fort. Il ne sera pas toujours facile de convaincre, dans l’hexagone, qu’Angela Merkel ou Donald Tusk constituent des partenaires plus fiables et plus proches que Poutine ou Erdogan.

Il ne sera pas facile non plus, du fait de cette difficulté à resouder le front domestique, de convaincre le reste du monde que la France a de nouveau un message fort et lisible. La formulation d’un tel message sera sans aucun doute une priorité du nouveau Président, quels que soient les résultats des élections législatives, compte tenu du rôle spécifique que la Ve République confère au chef de l’Etat en la matière.

Un discours de politique étrangère à reconstruire

Sur l’Europe, la France devra faire des propositions dans un document rédigé à cet effet, ce qui n’a pratiquement pas été fait de manière formelle ou forte depuis des années (on se souvient du discours de Jacques Chirac à Berlin en 2000).

Sur la zone Méditerranée – Afrique du Nord-Moyen-Orient –, les deux derniers quinquennats ont envoyé des signaux contradictoires, qu’il faudra clarifier. Si un grand discours de « politique arabe » semblable à celui de Jacques Chirac au Caire en 1996 est peut-être devenu anachronique, travailler à une posture claire sur les enjeux du moment (Palestine, Syrie, avenir du Maghreb, terrorisme, relations avec le Golfe, Libye…) est vital. Sur l’Afrique sub-saharienne, l’avenir de Barkhane, la relation à une nouvelle Afrique jeune et dynamique, le partenariat avec les grands acteurs non francophones du continent (Nigéria, Angola, Afrique du Sud…) feront partie des priorités, sans tomber naturellement ni dans le retour en arrière chiraquien (le retour de Jacques Foccart à l’Elysée en 1995…), ni dans la tentative de remise à plat ratée de Nicolas Sarkozy dans son discours de Dakar en 2007.

La priorité de la lutte anti-terroriste au Sahel ne posera pas de problème, mais les modalités de sa mise en œuvre seront plus délicates. Sur l’environnement, les droits de l’homme, ou d’autres biens communs, la tâche sera plus facile, car l’enjeu est moins polarisant en interne, et déjà largement exploré de façon consensuelle par la diplomatie française dans les dernières années.

Il n’empêche, c’est bien le rapport à l’autre que l’étrange campagne que nous venons de vivre a questionné. C’est ce rapport à l’autre qui a même dicté une partie de la tonalité des débats. La dédramatisation de cet enjeu, l’apaisement en la matière, passe inévitablement par son traitement serein mais précis et engagé, dans un discours de politique étrangère à reconstruire.

Frédéric Charillon, professeur de science politique, Université d’Auvergne

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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