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Deux monarchies en compétition, l’Arabie saoudite et le Qatar

Écrit par Giorgio Cafiero
10.10.2012
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  • Le Prince Saud al-Faisal (Centre Gauche), ministre des Affaires étrangères d’Arabie Saoudite arrive dans un buggy à une rencontre du comité des ministres arabes à Doha, pour discuter de la crise syrienne le 2 juin 2012. Le Qatar et l’Arabie Saoudite ont soutenu des intérêts politiques opposés au Moyen-Orient, signale Giorgio Cafiero. (Karim Jaafar/AFP/Getty Images)

La disparition des pouvoirs politiques autocratiques laïques au Moyen-Orient et en Afrique du Nord a amené la renaissance des partis islamistes dans la région et déclenché au sein des puissances du Golfe (l’Arabie saoudite et le Qatar), une rivalité pour gagner les cœurs et les esprits du monde sunnite.

Ces pétro-monarchies voisines ont essayé d’influencer les changements politiques en Orient et en Afrique du Nord chacune à leur manière, dans le but de promouvoir leurs intérêts géopolitiques et pour s’assurer que leurs propres populations ne déclencheraient pas de soulèvements  populaires.

Même si aucune de ces deux nations n’est un bastion de la démocratie sur son territoire, le Qatar s’est montré beaucoup plus sensible que l’Arabie saoudite pour soutenir les mouvements démocratiques d’obédience islamiste à l’étranger. En conséquence, la rivalité Arabie saoudite et Qatar met à mal le rôle historique de l’Arabie saoudite en tant que «seul rempart autoproclamé du conservatisme islamique» au Moyen-Orient et comme socle du Conseil de coopération du Golfe.

Des tensions historiques

Les relations entre l’Arabie saoudite et le Qatar ont toujours été définies par une méfiance mutuelle, bien que tempérée par leurs intérêts communs à maintenir la stabilité dans le Golfe Persique. Avant l’indépendance du Qatar en 1971, les liens entre la famille royale saoudienne et les hommes d’affaires qataris, les membres de la famille régnante du Qatar, et les tribus bédouines qataries ont facilité la forte influence saoudienne dans les affaires de leur petit voisin du Golfe.

En 1992, deux gardes qataris sont tués lors d’un accrochage le long de la frontière commune provoquant une décennie de relations tendues. Quelques années plus tard, les membres du gouvernement du Qatar ont accusé Riyad de tenter un soulèvement en 1996 après le coup d’État pacifique de l’émir Cheikh Hamad bin Khalifa Al Thani contre son père en 1995. Les relations ont empiré dans les années 1990, lorsque les médias de chaque pays discréditaient le voisin.

En juillet 2006, les fonctionnaires saoudiens ont pris contact avec des bailleurs de fonds pour le projet Dolphin de gaz naturel sous-marin, un gazoduc de 3,5 milliards de dollars reliant le Qatar aux Emirats Arabes Unis. Ce pipeline pénétrerait dans les eaux territoriales saoudiennes sans l’accord de Riyad. Un projet de pipeline reliant le Qatar au Koweït a créé des tensions similaires.

Cependant, en septembre 2007, un rapprochement a eu lieu, lorsque le chef d’État qatari a rendu visite à la famille royale saoudienne à Riyad, suivie d’une visite du roi saoudien Abdullah bin Abdulaziz à Doha en décembre. En 2008 et 2009, après plusieurs échanges diplomatiques, les autorités saoudiennes et qataries ont résolu leurs tensions nées des 15 dernières années, même si les bonnes relations qui lient l’Iran au Qatar sont restées une épine dans les relations entre Riyad et Doha.

Le soulèvement du monde arabe

Malgré le réchauffement des relations ces cinq dernières années, le réveil du monde arabe a ravivé les tensions. L’Arabie saoudite – souvent qualifiée d’État contre-révolutionnaire pour ses participations à la répression des mouvements démocratiques dans toute la région – voit d’un mauvais œil la vague de révoltes populaires qui menace sa position comme point d’ancrage d’un ordre conservateur qui a défini l’équilibre des forces régionales pendant des décennies. En revanche, sauf chez son voisin le Bahreïn, le Qatar s’est rangé du côté des forces révolutionnaires.

Les positions opposées sur les Frères musulmans sont devenues une source de tension particulière. La famille royale saoudienne encaisse mal les victoires démocratiques des différentes filiales des Frères musulmans dans la région. Elle considère le système politique démocratique de la confrérie islamiste comme une menace pour son propre système monarchique autocratique.

David Ottaway, chercheur au Woodrow Wilson Center, explique: «En Arabie saoudite, il n’y a pas de parti politique, pas de syndicat et très peu de société civile.» En Egypte, c’est pratiquement l’opposé. Il y a beaucoup de partis politiques, de syndicats [et] la société civile. Les Frères musulmans acceptent la réalité égyptienne – une réalité que les Saoudiens refusent à leur propre société. En retour, les Frères musulmans égyptiens s’opposent avec véhémence à la monarchie saoudienne, pour laquelle les Frères musulmans ne sont qu’une marionnette décadente et corrompue de la puissance occidentale.

À l’inverse, le Qatar entretient une alliance cordiale avec les Frères musulmans. La couverture médiatique enthousiaste du soulèvement égyptien par Al Jazira, le réseau de presse appartenant à l’État du Qatar, a sans aucun doute contribué à la chute du dictateur Hosni Mubarak. «Une fois que le mouvement de protestation s’était mis en marche, plus besoin de communication ni de coordination. Il suffisait simplement de regarder Al-Jazira et tout le monde savait où et quand les protestations se passaient», écrit Marc Lynch, directeur de l’Institut du Moyen-Orient à l’université George Washington.

Avec des téléspectateurs de partout intéressés par les protestations, Al-Jazira «est devenu le rendez-vous incontournable de la révolution sur les ondes» offrant «un focus pour les révolutionnaires».

Des signes de l’influence de l’État du Qatar étaient toujours visibles après la chute du régime. En mars 2011, Khairat al-Shater – alors candidat des Frères musulmans à la présidence – était au Qatar plusieurs jours pour discuter de la «coopération future entre le parti de la fraternité, de la liberté et de la Justice et le Qatar», selon le journal Egyptian Independent, ce qui implique que Doha était convaincu de l’issue des élections démocratiques égyptiennes. En outre, l’animateur de la télévision populaire Al-Jazira Yusuf al-Qaradawi, ressortissant qatari d’origine égyptienne, est un membre des Frères musulmans.

Mais, alors que Al-Jazira célébrait le soulèvement de la place Tahrir, le roi saoudien Abdallah offrait de financer Moubarak. Jusqu’à la fin, le roi d’Arabie saoudite avait conseillé à l’administration Obama de rester fidèle au dictateur, même lorsque les forces égyptiennes avaient commencé à tuer des manifestants non armés. Devant l’intransigeance du président Obama, le régime saoudien a amèrement accusé Washington d’écarter Moubarak «qu’elle a utilisé comme un Kleenex».

En Tunisie aussi – berceau du soulèvement arabe –, beaucoup ont attribué le succès du parti islamiste Ennahda à une infusion de pétro-dollars qataris. Le fait que la première visite internationale post-électorale du Premier ministre Rashid al-Ghannouchi soit au Qatar, et que son gendre, auparavant chercheur pour Al-Jazira à Doha, soit devenu son ministre des Affaires étrangères – a davantage attisé les soupçons sur les liens entre l’émirat du Golfe et le parti Ennahda.

En Tunisie, cette spéculation a même provoqué des protestations contre les interférences du Qatar dans les affaires tunisiennes. En revanche, Ghannouchi est indésirable en Arabie saoudite, où le dictateur déchu Zine El Abidine Ben Ali a immédiatement reçu l’asile politique après l’effondrement de son régime sous le poids des protestations populaires.

La fracture entre Frères musulmans et salafistes

Pour contrer la montée des islamistes modérés affiliés aux Frères musulmans, l’Arabie saoudite a choisi de soutenir les rivaux des Frères musulmans, les salafistes considérés comme plus extrêmes dans leur approche de l’islam. «Pour les salafistes, les Frères musulmans sont des islamistes mous qui font trop de compromis», explique Khalil al-Anani, chercheur en politique du Moyen-Orient à l’université de Durham.

«Les Frères, à leur tour, trouvent l’approche salafiste naïve, trop rigide, trop peu conciliante, et inappropriée dans le contexte moderne de l’Egypte. Dernièrement les Frères ont montré lors de leurs participations sporadiques dans des parlements que leur objectif principal était la politique et non les questions religieuses ou culturelles.»

Après les élections de 2011-2012, un des leaders des Frères musulmans a annoncé les priorités de son parti «réforme économique et réduction de la pauvreté... et non [la lutte contre] les bikinis et l’alcool.» Les salafistes, à l’opposé, explique Christopher Alexander professeur à Davidson, ont fait bloc autour «d’un retour du voile islamique dans les universités et les bureaux publics», pour «la ségrégation des sexes et la prière publique sur les campus universitaires» et «l’élimination des partis politiques et des élections qui sont des atteintes à la souveraineté de Dieu».

     

La position de Riyad

Le soulèvement arabe n’est pas le premier mouvement du Moyen-Orient à contrarier le régime saoudien. Au cours des années 1950 et 1960, la montée du nationalisme arabe, tout comme la révolution iranienne de 1979, ont contesté la position de Riyad comme socle d’un ordre régional.

Tout comme la politique étrangère dynamique avait contré la montée de Nasser en soutenant ses ennemis au Yémen et avait combattu le régime révolutionnaire de Khomeini en finançant Saddam Hussein pendant la guerre Iran-Irak, le soutien de Riyad aux factions salafistes dans les pays qui vivent l’ouverture politique est la dernière tentative pour annihiler la montée des mouvements régionaux qui sont en conflit avec les intérêts du royaume. Seulement, avec la richesse de ses ressources propres et son agenda régional concurrent, le Qatar est exceptionnellement bien placé pour rivaliser dans les largeurs avec l’Arabie dans le grand Moyen-Orient.

En misant sur des chevaux différents en Égypte et en Tunisie, l’Arabie saoudite et le Qatar sont devenus rivaux dans un monde arabe en transition. La montée d’une forme conservatrice, mais démocratique de l’islamisme peut être une onde de choc acceptable pour le Qatar, au grand dam de l’Arabie saoudite. Toutefois, l’influence du Qatar pourrait être éclipsée en cas de soulèvement en Égypte ou en Irak. En outre, si le réveil arabe se propage au Bahreïn et dans d’autres émirats du Golfe, Doha devra freiner ses ambitions internationales et se concentrer sur son déficit démocratique intérieur.

En effet, lorsqu’on aborde la question de la démocratie dans le Golfe, les deux royaumes ne sont plus du tout rivaux.

Giorgio Cafiero écrit pour le Foreign Policy in Focus.

Pour en savoir plus: fpif.org

Version anglaise : Saudi Arabia and Qatar: Dueling Monarchies

 

 

 

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