Prélèvements forcés d’organes en Chine: un dilemme pour les médecins canadiens

Écrit par Matthew Little, Epoch Times
12.11.2014
  • Dr Jeff Zaltzman, chef du département de transplantation rénale à l’hôpital St. Michael de Toronto, a participé le 23 octobre 2014, à Toronto, à un forum sur les transplantations d’organes en Chine. (Allen Zhou/Époque Times)

OTTAWA – Les preuves de plus en plus accablantes que le régime chinois prélève des organes sur des prisonniers religieux et politiques, leur enlevant la vie dans le processus, placent les médecins transplantologues canadiens dans une situation difficile, affirme Dr Jeff Zaltzman, chef du département de transplantation rénale à l’hôpital St. Michael de Toronto.

Il a eu au moins 50 patients qui sont allés en Chine pour une transplantation, la plupart des Canadiens d’origine chinoise.

«J’ai eu un jeune homme qui avait deux cicatrices. Le premier rein qui a été transplanté en Chine n’a pas fonctionné et en l’espace de quelques jours, il a obtenu une deuxième transplantation. Cela ne surviendrait jamais au Canada», a indiqué Dr Zaltzman.

Le médecin affirme que ce qui se produit en Chine a créé un troisième type de donneur qu’on ne retrouve pas dans les pays développés comme le Canada. Il s’agit du «vivant mort» et non du mort-vivant, explique-t-il.

«Ils sont vivants et ensuite ils sont morts. C’est donc un terme unique à la situation chinoise», ajoute le médecin.

Options

Dr Zaltzman et d’autres intervenants ont dernièrement discuté du problème, au Toronto General Hospital, lors d’une table ronde sur les prélèvements forcés d’organes, organisée par l’Institute of Health Policy, Management, and Evaluation.

Tandis que certains médecins prennent conscience que leurs patients pourraient inciter au meurtre en Chine, ils ne savent pas comment réagir.

Quand ces receveurs d’organes reviennent au Canada, ils ont besoin d’un suivi médical pendant leur convalescence.

Certains médecins estiment qu’on devrait refuser de traiter ces patients, une position qui rend Dr Zaltzman mal à l’aise. Les médecins soignent les criminels de tous genres, il est donc difficile de refuser des gens qui ne sont peut-être pas au courant qu’ils ont commis un crime, affirme-t-il.

La Société canadienne de transplantation autorise le transfert de tels patients à un autre médecin si leur conscience ne leur permet pas de les soigner. Cette option est seulement disponible si un autre médecin accepte de prendre le patient.

Refuser complètement des soins à ces patients n’est pas quelque chose que beaucoup de médecins sont prêts à considérer actuellement.

Linda Wright, directrice du département de bioéthique à l’University Health Network (UHN), a souligné que si un médecin refusait de soigner ces patients et que leurs nouveaux organes cessaient de fonctionner, les patients retourneraient sur la liste d’attente et pourraient recevoir un organe attendu par quelqu’un d’autre.

Ils pourraient aussi, bien entendu, retourner en Chine pour une autre transplantation dont la source de l’organe est une personne vivante.

Ce dilemme place les médecins dans une situation très difficile, estime-t-elle. Les médecins ne veulent pas devenir des facilitateurs, permettant à leurs patients d’aller en Chine et de potentiellement causer la mort de quelqu’un pour obtenir ses organes.

«Du même coup, nous avons des responsabilités et des obligations envers les gens qui font partie de notre système de santé et qui ont besoin de soins, et nous devons les prodiguer», ajoute-t-elle.

Alternatives

Alors que les médecins n’ont pas trouvé le moyen idéal pour gérer cette situation, ils tentent de dissuader leurs patients de voyager à l’étranger pour obtenir un organe. Pour ce faire, ils donnent des présentations et des dépliants aux patients pour les mettre en garde contre les transplantations en Chine.

Les publications médicales et les conventions sur les transplantations interdisent les interventions des chercheurs chinois, à moins qu’ils prêtent serment de ne pas avoir tué de prisonniers. Certains médecins remettent tout de même en question l’efficacité de cette mesure.

Le ministre de l’Emploi et du Développement social, Jason Kenney, a déclaré à Époque Times le 21 octobre que le premier ministre, Stephen Harper, soulevait régulièrement de telles questions lors de ses rencontres avec des responsables chinois. M. Kenney dit avoir lui-même confronté sur le sujet l’ex-chef de la sécurité intérieure du régime, Zhou Yongkang.

«J’ai rencontré Zhou Yongkang en 2012 à Pékin et j’ai soulevé ces inquiétudes au sujet des prélèvements d’organes et des autres violations des droits de la personne», raconte M. Kenney. Jusqu’à maintenant, ce genre de pression politique ne semble pas avoir porté fruit.

Le député libéral à Ottawa Irwin Cotler a adopté une autre approche. Il a présenté un projet de loi en décembre dernier qui punirait quiconque est impliqué dans le commerce des organes.

  • Des pratiquants de Falun Gong à Ottawa procèdent à une reconstitution de prélèvements forcés d’organes en Chine en 2008 sur la Colline du Parlement. (Époque Times)

Si le projet de loi de M. Cotler est adopté, les Canadiens ne pourraient plus aller en Chine pour subir une transplantation sans faire face à des accusations criminelles à leur retour. Ce projet de loi risque cependant d’être rejeté pour des raisons politiques.

S’il était adopté, Dr Zaltzman affirme que cela aiderait à résoudre le dilemme auquel font face les médecins. «Ce serait un grand pas en avant», commente-t-il.

Le régime chinois refusait autrefois d’admettre qu’il prélevait les organes des prisonniers exécutés, mais il l’a admis en 2005. À ce jour, Pékin refuse d’indiquer la source précise des organes utilisés dans les transplantations.

Alors que les estimations d’Amnesty International (AI) sur le nombre d’exécutions en Chine en 2008 se situaient aux environs de 1600 (AI a cessé en 2009 de produire ces estimations), il y a des dizaines de milliers de transplantations d’organes annuellement en Chine, selon l’ex-vice ministre de la Santé, Huang Jiefu.

La Chine ne possède pas de système fonctionnel de dons d’organes, en plus du tabou culturel qui décourage les dons. Ces faits, combinés à une quantité de preuves, indiquent que la Chine utilise sa population carcérale – composée en grande partie de prisonniers de conscience ou politiques – comme banque d’organes.

Version originale : Organ Harvesting in China Puts Canadian Doctors in Tough Spot