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Marie Heurtin, l’infinie tendresse de la Mater dolorosa

Écrit par Michal Bleibtreu Neeman, Epoch Times
29.11.2014
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«Aujourd’hui, j’ai rencontré une âme...

Une âme toute petite, toute fragile, une âme emprisonnée, mais une âme que j’ai vue luire de mille feux à travers les barreaux de sa prison. [...] Comment communiquer avec cette petite enfermée dans la nuit et le silence? La petite Marie semble vivre dans un pays étranger...»

Le magnifique film de Jean-Pierre Améris qui présente la rencontre extraordinaire entre une nonne et une sourde-aveugle est inspiré de faits réels qui ont eu lieu en France au XIXe siècle. Marie Heurtin, sourde-aveugle, est née en 1885 dans une famille où le handicap atteint ses huit frères et sœurs. Elle vit dans un monde intérieur, livrée à elle-même, grimpant aux arbres et jouant sous la table, reconnaissant ses proches par l’odorat et le sens du toucher. Ignorante de toute communication humaine, les médecins la jugent «débile» et conseillent de la faire interner dans un asile. Son père, bien que simple artisan, refuse d’accepter le sort qu’on destine à sa fille et cherche des institutions adaptées aux sourds, mais toutes refuseront de la prendre en charge. Finalement, il l’amène à l’Institut de Larnay, près de Poitiers, où des religieuses prennent en charge des jeunes filles sourdes.

Malgré les doutes de la mère supérieure, une jeune religieuse, la sœur Marguerite, s’attache immédiatement à la «sauvageonne» et insiste pour la prendre sous sa responsabilité et «l’ouvrir au monde et à Dieu».

Jean-Pierre Améris, le réalisateur, a été fasciné depuis l’adolescence par l’histoire de l’Américaine Helen Keller. Cette célèbre écrivaine et conférencière devenue aveugle à 19 mois, a pu échapper à la stigmatisation de «débile» et faire des études grâce au dévouement de son éducatrice. Le film d’Arthur Penn Miracle en Alabama (1962) décrit très bien son histoire. Jean-Pierre Améris a longtemps cherché un récit aussi touchant et puissant. Il le trouve finalement dans le livre de Louis Arnould sur les sourde-aveugles, Âmes en prison, écrit au début du XXe siècle et en fera la base de son scénario.

C’est l’histoire d’un amour inconditionnel accompagné d’une tendresse infinie entre sœur Marguerite et la petite Marie enfermée dans le silence et l’obscurité que lui impose son corps. C’est le lien inexplicable qui peut unir deux êtres, sans qu’eux-mêmes n’en comprennent le pourquoi, qui s’établit entre les deux et permet à sœur Marguerite d’atteindre Marie à travers les barreaux de sa prison.

Mêler le réel à la fiction

Pour le casting de son film, Jean-Pierre Améris choisit Isabelle Carré dans le rôle de sœur Marguerite et Ariana Rivoire dans le rôle de Marie. Améris a déjà travaillé avec Isabelle Carré et ce choix n’est pas étonnant car elle incarne réellement le personnage. Ariana Rivoire est sourde et a été repérée alors qu’elle était encore dans un collège pour les sourds. Ce choix fait partie du credo de Jean-Pierre Améris qui avait déjà, aux côtés des acteurs, filmé des prisonniers dans Les Aveux de l’innocent (1996) . C’est aussi le cas pour C’est la vie (2001), tourné avec des malades auxquels il restait un mois à vivre. De ce point de vue, chacun des films de Jean-Pierre Améris est une aventure.

Un monde de sens

Ce film, qui traite de ce monde enfermé dans l’obscurité et le silence, réussit pourtant à mettre tous nos sens en éveil.

La première scène s’ouvre sur l’arrivée de Marie à l’institut et des vues charmantes de la campagne. Puis des sous-titres pour les spectateurs sourds viennent renforcer notre attention auditive et nous autres, les «entendants», écoutons soudain ce que nous n’entendions plus: «bruissements des feuilles dans le vent», «musique mélancolique», «respirations profondes»... Le spectateur est littéralement envahi par cette explosion sensorielle.

  • Soeur Marguerite et Marie sont très attachées l’une à l’autre au propre comme au figuré. (Michael Crotto)

Puis, vient le toucher – le contact de la chair, symbole de leur alliance.

Refusant de se séparer de son père, la petite Marie essaie de se sauver. Elle grimpe en haut d’un arbre et refuse de redescendre. C’est la sœur Marguerite qui est désignée pour aller la chercher. La religieuse monte sur une échelle. Elle parvient à toucher le bout des doigts de la petite, un premier contact commence à se faire, puis peu à peu la jeune, rassurée par la chaleur, l’amitié et l’émerveillement que lui offre ce contact cède entièrement sa main. Elles deviennent inséparables, se touchent, se palpent, communiquent. Une scène émouvante, remarquable par sa beauté, rappelant d’ailleurs La Création d’Adam de Michel-Ange.

 

Une interprétation hors du commun

Dès lors, le contact entre elles s’intensifie, devient de plus en plus fusionnel. L’initiation de Marie à ce nouveau monde commence en palpant les visages de toutes les religieuses. La «sauvage», sale et vêtue toujours d’une sorte de chemise de nuit, cède pour la première fois aux coups de brosses, aux gants de toilette, aux robes, aux rubans, aux chaussettes, aux chaussures. Chaque séance d’habillage, de brossage est un triomphe. Pour l’une, car son rôle est de civiliser la petite, et pour l’autre, car elle s’ouvre au monde.

Chaque triomphe de cette sorte passe d’abord par une vraie lutte entre sœur Marguerite et Marie jusqu’à se rouler par terre, entremêlant leurs jambes pâles et dénudées sous les robes grises du couvent – des scènes qui dégagent une forte sensualité.

L’interprétation de ces deux actrices est hors du commun et nous persuade que des liens invisibles unissent les deux personnages en un destin extraordinaire. Isabelle Carré est formidable dans ce rôle, compatissante certes, mais aussi assez folle pour entreprendre l’impossible. Passionnée et découragée, obsédée par sa mission  jusqu’à l’extrême, elle est cette pionnière du langage des signes dessinés au creux de la main ou exécutés en prenant les mains de l’autre dans ses propres mains. Cette femme qui s’est vouée à Dieu, trouve un enfant à elle, un enfant qui parfois devient son alter ego.

Ariana Rivoire est brillante dans son rôle de la jeune sauvage avec une vivacité étonnante, craintive et courageuse, douce et violente, farouche et sensuelle, feignant la cécité à la perfection.

La Mater dolorosa

Comme dans L’Enfant sauvage de Truffaut (1970), film basé également sur des faits réels, après les séances d’habillages et d’apprentissage d’une conduite admissible, c’est au tour du langage. Sœur Marie ne renonce pas. Elle passe des mois et des mois attrapant la petite à tout moment, lui posant son objet préféré dans la main, un petit canif avec un manche en ivoire, essayant de lui faire comprendre le signe qui lui est associé. Et un jour, «la bête furieuse» comme le décrit Louis Arnould, fait le lien entre le couteau posé dans sa main et le signe qui l’accompagne. L’étincelle met en marche une nouvelle vie et les signes se succèdent rapidement, au rythme imposé par la soif d’expression de cette âme nouvellement libérée .

Après les mots concrets viennent les mots abstraits, les adjectifs, la mort, la vie, l’âme et Dieu. Se sachant condamnée par une maladie des poumons, sœur Marguerite prépare Marie à sa mort qu’elle sait proche.

Sœur Marguerite décrit ce processus d’apprentissage comme un calvaire. Elle est une sorte de mère symbolique pour Marie, et malgré sa souffrance, elle sait garder sa fermeté, sa patience et sa compassion jusqu’au bout. Une mater dolorosa qui nous rappelle cette autre œuvre de Michel Ange, La Pietà, dans laquelle mère et enfant ne font plus qu’un.

La fin du film reste un moment inoubliable: caméra subjective, Sœur Marguerite regarde du ciel Marie qui va fleurir sa tombe. Marie s’adresse à elle et à Dieu, dans une sorte de danse gestuelle. La scène est d’autant plus puissante, qu’elle inspire à la fois joie et tristesse. Au rythme d’une musique juive traditionnelle, cette scène finale évoque les tableaux de Chagall, non pas par leur aspect surréaliste, mais par le regard bienveillant sur un monde merveilleux et coloré malgré tout.

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