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Poutine, l’UE et le gazoduc

Écrit par Affaires-stratégiques.info
17.12.2014
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  • Tuyaux acheminant le gaz à la station de compression de Velke Kapusany, en Slovaquie. (Joe Klamar/AFP/Getty Images)

C’est un mini-coup de tonnerre qui a eu lieu dans le petit monde de l’énergie le 1er décembre 2014 avec l’annonce par Vladimir Poutine – confirmée ensuite par Alexeï Miller, pdg de Gazprom – de l’abandon du projet de gazoduc South Stream. Tube de tous les superlatifs, South Stream devait compléter le système gazier russe vers l’Europe par une branche sud sous la mer Noire. Avec une capacité de 63 milliards de m3 annuels, il dépassait son prédécesseur Nord Stream de près de 10 milliards de m3 assurant un approvisionnement aux pays balkaniques et d’Europe du Sud.

Bien évidemment, les contrats long terme habituels étaient prévus pour installer la Russie comme partenaire incontournable de l’Italie à la Bulgarie. Le consortium South Stream avait été modelé sur celui de Nord Stream avec une participation majoritaire de Gazprom et de nombreux partenariats avec des compagnies sur le trajet même du tube (NIS, OMV, MOL), mais aussi des clients finaux (EDF, ENI, Wintershall). Cette stratégie d’implication des compagnies européennes permettait à Gazprom de changer l’image de son projet qui, de russe, devenait russo-européen.

Toutefois, celui-ci semble maintenant – temporairement? – enterré à la suite d’une série d’évènements géopolitiques et économiques qui manifestent, une fois encore, le rôle majeur de la géoéconomie comme cadre explicatif des nouvelles relations internationales dans la mondialisation.

Tout d’abord, il appartient de reconnaître que la Russie elle-même n’a pas fait mystère d’une des principales raisons de cet échec : l’opposition de la Commission européenne, notamment au sujet de l’absence d’appels d’offres pour les contrats en Bulgarie, qui bloquait l’avancée des travaux depuis quelques mois. En effet, les autorités de Bruxelles semblaient bien décidées à ralentir le projet autant que possible, d’autant plus après les tensions entre la Russie et l’Europe au sujet de l’Ukraine.

 Ce sont d’ailleurs ces évènements d’Ukraine qu’il faut mettre en avant et la volonté des pays occidentaux de sanctionner la Russie pour mieux comprendre que cet abandon du South Stream apparaît également comme une forme de contre-sanction russe. En décidant unilatéralement d’abandonner le projet, Vladimir Poutine fait le choix de créer un mini-chaos dans le monde des énergéticiens européens pour mieux faire sentir le poids de son pays dans ce secteur.

Toutefois, il ne faudrait pas réduire cette décision à des facteurs uniquement géopolitiques. En effet, la baisse globale des cours du pétrole et du gaz n’est pas non plus absente de la réflexion des dirigeants de Gazprom. L’annonce par le ministre du Développement économique de l’ampleur des pertes annuelles de l’économie russe liée à ces cours, de l’ordre de 100 milliards USD, a officialisé l’impact de cette baisse continue sur une économie qui reste très dépendante de ses exportations de matières premières.

En annonçant la fin du projet South Stream, la Russie crée une tension sur les marchés européens et table sur une remontée des cours attribuable au stress engendré. C’est d’ailleurs également une manière de limiter à terme les volumes de gaz disponibles en Europe puisque le projet concurrent du South Stream, le TAP, ne posséderait que 1/8e des capacités de ce dernier.

Cela permet en outre à la Russie, sans ouvrir trop de nouveaux champs gaziers, de réorienter ses approvisionnements vers de nouveaux partenaires comme la Chine ou en renforçant ceux existants comme avec la Turquie. Dans ce dernier cas, Moscou a annoncé une augmentation des volumes d’hydrocarbures fournis, mais aussi des échanges dans les monnaies nationales pour contourner le monopole du dollar américain, stratégie déjà mise en place avec la Chine.

Le renforcement de cette relation russo-turque s’inscrit dans une réorientation globale de la géoéconomie nationale vers l’Est avec une volonté de Moscou de ne plus être autant dépendant de l’Europe. Certes, il s’agit ici d’une stratégie qui ne portera ses fruits que dans quelques années, la question de la logistique et des infrastructures étant particulièrement critique dans ce domaine, mais elle marque déjà une volonté nette de la part des autorités russes.

En outre, il faut également intégrer ce choix dans le cadre plus large de la baisse de la demande européenne. En effet, depuis plusieurs mois ou années, selon les pays, les consommations d’hydrocarbures sont en baisse et l’OCDE prévoit que cette tendance devrait s’accélérer encore dans les années à venir suivant le rythme du développement des énergies renouvelables comme des solutions d’efficacité énergétique, y compris des smart grids. L’annonce par E.ON de son changement de modèle d'affaires ou la loi française sur la transition énergétique, par exemple, va dans ce sens. Dans ce cadre, les pays émergents comme la Turquie, la Chine, la Corée du Sud ou l’Inde apparaissent comme des partenaires de moyen et long terme plus intéressants eu égard aux projections de leur demande nationale.

Reste enfin une hypothèse, celle de la volonté russe d’influencer les gouvernements européens via leurs entreprises énergétiques. Les partenariats conclus avec les compagnies gazières et les énergéticiens occidentaux comme ENI ou EDF avaient instauré un lien important entre ces derniers et Gazprom. L’annonce subite de l’abandon du projet avec la mise en cause directe par Vladimir Poutine des décideurs politiques européens peut créer des dissensions à l’Ouest. La Russie pourrait ainsi tabler sur le fait que ces entreprises, dont certaines (ENI, EDF, MOL, etc.) sont possédées plus ou moins directement par leur État, se transforment en organes de lobbying servant ses intérêts dans le but d’éviter une annulation définitive d’un projet qui, pour certaines, revêtaient un caractère éminemment stratégique.

Si certains voient avec soulagement le trident gazier russe s’effondrer avec la fin du South Stream, des questions restent toujours en suspens. De nombreux pays, principalement dans les Balkans, comptaient ainsi sur ce projet pour leur développement économique. De la même manière, si le système actuel avec Nord Stream et le réseau terrestre Ukraine-Biélorussie semble suffisant pour les besoins actuels de l’Europe, il crée un déséquilibre dans les approvisionnements au profit de certains pays, à commencer par l’Allemagne. Enfin, la fin de South Stream ne signifie pas automatiquement que celui-ci sera remplacé par d’autres projets; Nabucco semble en état de mort clinique depuis bien trop longtemps pour renaître, quant à TAP, de nombreux obstacles restent à surmonter avant qu’il ne puisse être construit comme en témoignent les manifestations qui ont eu lieu dans le sud de l’Italie à l’initiative du M5S de Beppe Grillo.

Source : Affaires-stratégiques.info

Le point de vue dans cet article est celui de son auteur et ne reflète pas nécessairement celui d'Epoch Times.

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