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Elections à Taiwan: l’alternance en marche

Écrit par Barthélémy Courmont, Chercheur à l’IRIS
02.12.2014
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  • Drapeau de Taiwan

Par Barthélémy Courmont, Chercheur à l’IRIS, maître de conférences à l’Université Catholique de Lille, directeur-associé, sécurité et défense, à la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques (UQAM), et rédacteur en chef de Monde chinois, nouvelle Asie. Il vit actuellement à Taiwan et a récemment publié Une guerre pacifique. La confrontation Pékin-Washington, aux éditions ESKA.

Tandis que les arrestations se multiplient dans les milieux séparatistes ouighours ainsi que parmi les étudiants d’Ilham Tothi et tandis que le mouvement des parapluies s’essouffle à Hong Kong, Taiwan donne une nouvelle - et bienvenue - leçon de démocratie à Pékin. Les élections locales du 29 novembre dernier se sont soldées par une déroute, certes prévisible, mais d’une ampleur sans précédent pour le parti au pouvoir, le Kuomintang (KMT) et le président (à la fois de la République de Chine et du KMT) Ma Ying-jiou. Une élection sans heurts ni tensions, résultat d’une campagne vigoureuse mais digne et dans le même temps éclairante, qui mit à jour les limites du KMT, à dix-huit mois de la prochaine élection présidentielle. En remportant une victoire éclatante - et historique par son ampleur-, le parti démocrate progressiste (DPP) se place en position de force pour reprendre le pouvoir perdu en 2008.

La responsabilité de Ma dans la défaite du KMT est évidente. Souffrant d’une popularité en berne dans les sondages, le président taiwanais - dont le second et dernier mandat prendra fin en 2016 - était le principal visé de ce scrutin local au très fort écho national. En démissionnant de la présidence du KMT au lendemain de la défaite, il a d’ailleurs implicitement reconnu que les électeurs avaient avant tout sanctionné sa politique. On peut cependant s’interroger sur la pertinence d’avoir conservé la tête du parti, jusqu’à cette déroute que tous les observateurs avaient pourtant annoncée, en plus de celle de l’Etat, au risque de donner une impression -aussi gênante qu’inappropriée- de concentration des pouvoirs autour du KMT. Si être chef de l’Etat et chef de parti est de coutume en Chine continentale, les Taiwanais ne l’entendent pas de la même oreille, et Ma a sans doute péché par naïveté autant que par arrogance.

Le KMT paye aussi une croissance économique qui piétine, là où les promesses de l’accord de libre-échange (ECFA) avec la Chine continentale, introduit en 2009, tablaient sur une relance solide de l’économie. Les Taiwanais portent un regard nuancé sur le rapprochement avec la Chine, qu’ils ne rejettent pas en bloc, mais pour lequel ils émettent des réserves à la fois dans ses contours et sur sa finalité. A cet égard, le résultat de cette élection est à mettre en perspective avec le mouvement dit des tournesols qui, au printemps dernier, se manifesta notamment par l’occupation du Parlement pendant trois semaines par des étudiants inquiets pour leur avenir et soucieux de pouvoir donner leur avis sur la signature d’accords importants mais soulevant de multiples questions. La démission du premier ministre, Jiang Yi-huah, dès l’annonce des résultats, est symbolique du désaveu que traduit ce vote.

Le KMT paye de fait, et peut-être surtout, son refus de discuter avec la société civile et d’écouter les craintes de la population à l’égard du rapprochement avec la Chine continentale, dont l’administration Ma a fait sa priorité. Les récents évènements à Hong Kong n’ont fait qu’amplifier un sentiment de méfiance, voire de rejet, au sein de la population à l’égard d’une Chine qui ne parvient pas à rassurer sur ses intentions dans la durée. Le KMT n’a pas retenu les leçons du passé, malgré un sentiment de renouveau qui avait porté Ma au pouvoir en 2008, et cette défaite humiliante devra se traduire par une démocratisation de son fonctionnement interne et par l’établissement de liens plus étroits avec la société civile.

Enfin, le parti au pouvoir paye son incapacité à renouveler ses élites. Le choix de présenter Sean Lien, fils de l’ancien vice-président Lien Chan (sous Lee Teng-hui), à la mairie de Taipei donnait ainsi le triste spectacle d’une forme de népotisme, sa défaite n’en fut que plus logique. Dans d’autres localités, des problèmes de divisions, de corruption ou d’abus de pouvoir eurent pour effet de décrédibiliser le camp bleu (KMT) tandis que les verts (DPP) parvenaient à proposer des candidats à la fois hors de l’establishment, fortement impliqués au niveau local, et ne souffrant pas de suspicion en matière de corruption. Bref, les candidats locaux du KMT ressemblaient à ceux au niveau national: ils apparaissaient un peu déconnectés des réalités économiques et sociales, tandis que ceux du DPP présentaient un visage plus séduisant. Dans l’opposition depuis 2008, le DPP est sorti de son obsession indépendantiste, a progressivement recomposé son programme autour des questions sociales, et est ainsi parvenu à sortir du piège d’une posture trop radicale sur la Chine, qui avait fait défaut au président Chen Shui-bian (2000-2008). En normalisant ses relations avec le Parti communiste chinois, comme l’avait fait le KMT dès 2005, le DPP a par ailleurs fait la démonstration de sa capacité à assumer le pouvoir sans que cela ne se traduise nécessairement par une remise à plat des relations avec Pékin.

Résultat, le KMT semble décimé par cette élection dont il n’est pas parvenu à anticiper le résultat, preuve supplémentaire, s’il en est, de l’usure du pouvoir. Le DPP et sa présidente, Tsai Ing-wen (qui fut battue avec les honneurs face à Ma en 2012), sont désormais en position de force pour la prochaine échéance présidentielle, qui doit avoir lieu en 2016, tandis que le KMT devra surmonter ses divisions et ses querelles d’égo pour trouver un candidat crédible. A ce titre, une fois encore, la tentation du président Ma d’associer le pouvoir politique et la direction du parti a eu pour effet dévastateur d’empêcher l’émergence de nouvelles figures au sein du KMT. La victoire (l’une des rares) d’Eric Chu à New Taipei City (agglomération qui entoure la capitale) pourrait faire de celui-ci le seul postulant acceptable, à condition qu’il accepte de mener au front un parti divisé et qui aura du mal à retrouver un élan en si peu de temps. L’alternance politique est en marche à Taiwan, elle est le signe du bon fonctionnement de la démocratie, d’une maturité politique qui doit faire la fierté des insulaires, et de la vigilance de la population sur les questions inter-détroit.

Source: affaires-strategiques.info

 

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