Journaliste contrainte à passer à des aveux à la télévision chinoise

Écrit par Lu Chen, Epoch Times
13.05.2014
  • La journaliste chinoise Gao Yu passe aux aveux à la télévision nationale le 8 mai 2014. (Capture d'écran CCTV)

Une journaliste chevronnée bien connue en Chine, qui était portée disparue depuis deux semaines, a récemment été paradée sur les ondes de la télévision d’État et filmée dans un poste de police en train de plaider coupable à des crimes et demander le châtiment de l’État.

Gao Yu, 70 ans, est accusée d’avoir transmis des secrets d’État à des médias étrangers. La diffusion du 8 mai a consterné plusieurs observateurs, à l’intérieur et à l’extérieur de la Chine, avec les méthodes utilisées par les autorités pour museler la dissidence.

La police de Pékin a arrêté Mme Gao le 24 avril, sous les ordres d’une équipe spéciale établie à Pékin après la publication d’un document confidentiel sur un site web étranger en août dernier, selon l’agence officielle Xinhua.

Mme Gao a plaidé coupable d’avoir obtenu et transféré le document confidentiel, un geste qu’elle a dit «regretter profondément» et pour lequel elle est «prête à accepter la sanction légale». Elle aurait obtenu le document en juin 2013, l’aurait tapé à l’ordinateur pour l’envoyer ensuite par courriel à l’étranger, selon Xinhua.

Les images ont montré Mme Gao, vêtue d’une combinaison de prisonnier orange, être emmenée dans une petite pièce du poste de police où elle a confessé. Son visage était brouillé pour une raison quelconque.

«Je pense que ce que j’ai fait a nui aux intérêts de l’État», a-t-elle dit, tout en se frottant nerveusement les mains. «C’était très mal.» Les policiers acquiescent sévèrement. «J’accepte sincèrement la leçon et je plaide coupable», a-t-elle ajouté.

Aucune information officielle ne clarifie l’identité du document, mais il pourrait s’agir du fameux Document numéro 9 qui a fait la manchette l’année dernière.

Le Document numéro 9, publié par le groupe médiatique hongkongais Ming Jing en août 2013, transmet les nouvelles directives idéologiques du département central de la Propagande du Parti communiste chinois. Elles exigent des universités chinoises qu’elles évitent d’aborder sept sujets, soit les valeurs universelles, la liberté de presse, les droits des citoyens, la société civile, les erreurs historiques du Parti communiste, l’indépendance judiciaire et «l’élite bourgeoise».

Le document et la campagne l’accompagnant ont été perçus par beaucoup comme une régression historique.

Aucun reportage officiel n’a pleinement expliqué le Document numéro 9, mais certains sites web de gouvernements locaux semblent en avoir discuté en mai 2013. Bien que les éléments aient par la suite été supprimés, une capture d’écran d’une notice indiquant que les fonctionnaires du Comité de construction rurale de la ville de Chongqing avaient étudié le document a été préservée sur Internet.

Des analystes politiques estiment que l’arrestation et la sanction de Gao Yu représentent une attaque directe contre la presse en Chine. Bao Tong, ex-conseiller politique au chef du Parti réformiste Zhao Ziyang – déposé durant les troubles de Tiananmen en 1989 – affirme qu’il y a un nombre de «choses bizarres» concernant les accusations portées contre Mme Gao.

«Si recueillir des informations et les diffuser est un crime, pourquoi le journalisme existe-t-il?», s’enquiert Bao Tong.

Mme Gao travaille dans l’industrie médiatique en Chine depuis 1979 et elle a été incarcérée à deux reprises pour son travail. La première fois c’était le 3 juin 1989, alors qu’elle a été arrêtée et détenue pendant plus d’un an pour sa couverture du mouvement étudiant menant au massacre des 3 et 4 juin.

En octobre 1993, Mme Gao a été arrêtée de nouveau et condamnée à six ans de prison pour avoir «publié des secrets d’État». Elle a obtenu sa libération conditionnelle en février 1999 en raison de son état de santé. Elle a reçu de nombreux prix internationaux en journalisme, dont le Golden Pen of Freedom, le Courage in Journalism Award et le Guillermo Cano World Press Freedom Prize.

Le travail de Mme Gao n’a pas causé la controverse seulement en Chine. Dans une chronique pour l’édition chinoise de la radio allemande Deutsche Welle en janvier dernier, elle a écrit qu’une équipe spéciale secrète au sein du Parti communiste avait envoyé en 2012 «des informations à Bloomberg News au sujet de tous les membres du Comité permanent» du Parti communiste, à l’exception de deux. Bloomberg avait en 2012 publié des informations au sujet de la richesse de la famille du dirigeant chinois Xi Jinping, affirmant qu’elles étaient tirées de sources ouvertes.

L’utilisation des confessions forcées diffusées à la télévision était courante durant la Révolution culturelle des années 1960 et 1970 et plusieurs intellectuels chinois ont comparé le traitement réservé à Gao Yu à ces années. Cette méthode est utilisée par le Parti non seulement pour humilier l’individu ciblé, mais aussi pour dissuader les autres de poser les mêmes gestes.

Parmi d’autres ciblés de la même manière, on trouve Charles Xue, un entrepreneur et investisseur providentiel sino-américain. Alors qu’il était en détention en septembre dernier, il a été contraint de confesser avoir obtenu les services de prostituées. M. Xue était devenu réputé pour ses critiques acerbes envers le Parti communiste et il avait amassé des millions d’abonnés sur le web. Il appelait à la liberté d’expression et à la démocratie en Chine.

Chen Yongzhou, un journaliste dans un quotidien de Guangzhou, a également été traîné devant les caméras de la télévision officielle pour admettre avoir reçu des pots-de-vin pour avoir rapporté de «fausses nouvelles» au sujet de corruption alléguée au sein de la société d’État Zoomlion, qui fabrique des équipements de construction. Avant même d’avoir subi son procès, Chen a été contraint de passer aux aveux à la télévision nationale, une procédure décriée par les avocats chinois.

Version originale : Journalist Gives Forced Confession on Chinese State Television