Un média officiel publie les résultats d’une enquête sur la rupture sociale

Écrit par Matthew Robertson, Epoch Times
24.09.2014
  • Le 16 octobre 2011, une petite fille de 2 ans surnommée Yue Yue est admise à l’hôpital de Guangzhou après avoir été écrasée par deux véhicules, puis ignoré par 18 passants. L’incident a déclenché une vague de questionnements sur les causes de la rupture morale en Chine, qui a fait l’objet d’une récente enquête officielle. (STR/AFP/Getty Images)

Les critiques trouveront confirmation de leurs déclarations les plus dures envers le régime chinois dans un récent sondage effectué par la Tribune du Peuple… un média fidèle au Parti communiste lui-même. Cette enquête décrit en détails le manque de confiance et de foi dans la société chinoise, ainsi que les divers «états mentaux anormaux» dont souffrent les Chinois.

Le plus surprenant de tous ces états étudiés est sans doute la «haine de soi»,  décrite comme la mentalité de ceux qui «attaquent le Parti communiste et haïssent le système politique, qu’ils attaquent autant qu’ils en profitent».

Pour le grand public, plus susceptible d’être soumis au pouvoir arbitraire que de bénéficier de privilèges, une douzaine d’autres pathologies ont été  répertoriées. Il s’agit notamment du «culte de l’hédonisme», la «mentalité du spectateur», la «méfiance enracinée», la «mentalité de l’autruche», la «phobie de penser», la «dépendance à l’Internet», l’«étalage des richesses», et beaucoup d’autres pathologies.

Les personnes interrogées ont été invitées à évaluer quels problèmes les perturbait le plus. La «mentalité du spectateur», en d’autres termes la propension qu’ont les Chinois à simplement observer les autres qui rencontrent des problèmes au lieu de les aider, a dominé avec 48,7 %.

L’«anxiété sociale», l’inquiétude envers son futur bien-être, a obtenu 44,5 % de réponses. Plus de 36 % des gens préfèrent les sujets scandaleux aux belles choses, ce qui est désigné comme «mentalité d’apprécier la laideur».

Le manque de foi

Mais parmi les problèmes les plus répandus, le «manque de foi» a été identifié par 55,3 % des personnes interrogées comme le plus important.

«Tout le monde reconnaît qu’il existe un manque de foi dans la société chinoise et constate des problèmes moraux autour de soi», a confié lors d’un entretien téléphonique Yang Fenggang, directeur du Centre sur la religion et la société chinoise de l’Université de Purdue.

  • Yue Yue, âgée de 2 ans, est vue sur cette image juste avant d’être renversée par une fourgonnette blanche à Foshan dans la province du Guangdong. La vidéo montrant l’incident et l’indifférence des témoins a déclenché une vague de mécontentement face à la rupture morale du pays. (AP Photo/TVS via APTN)

Les auteurs de l’enquête ont constaté  à un certain point que «la société traditionnelle chinoise reposait autrefois sur les communautés locales et les groupes sociaux s’organisaient en accordant une place importante à la vertu et la foi». Cependant, dans la société moderne, plus de 88% des gens conviennent que «la foi manque, tandis que les valeurs morales sont en déclin» et que cela représente une «maladie sociale» commune.

Selon le professeur Yang Fenggang, les Chinois «comprennent que cette foi doit être une foi véritable qui a le pouvoir de transcendance. Elle n’est ni pour le profit, ni pour un intérêt immédiat, il ne s’agit pas d’idéalisme non plus, c’est la foi.»

Il a attribué le manque de foi, fondation de la moralité, aux restrictions visant la liberté de conviction en Chine. «La religion, quand elle est librement choisie par les gens, donne la foi aux croyants.»

L’exemple probablement le plus choquant de l’effondrement social et moral de la Chine ces dernières années s’est passé en 2011. Yue Yue, une petite fille de 2 ans, a été ignorée par 18 passants après avoir été écrasée sous les roues d’un fourgon, puis d’une camionnette, dans les rues de Foshan, province du Guangdong. Les images de gens passant pendant sept minutes à côté du bébé ensanglanté ont stupéfié tout le pays.

Un retour en arrière?

Dans cette perspective, l’enquête semblait faire volontairement référence à la société traditionnelle. D’après le quotidien Jieyang, le dirigeant du Parti Xi Jinping a récemment  annoncé lors d’une visite à l’Université normale de Pékin que «l’esprit des élèves devrait être imprégné des textes classiques qui doivent devenir les gènes des Chinois.»

Xi Jinping a également pris l’habitude d’inclure de nombreuses références confucéennes et classiques dans ses discours, tandis que le Quotidien du peuple, journal officiel du PCC, a consacré  des pages spéciales pour expliquer ce point au grand public.

John Wagner Givens, membre associé du Centre des études asiatiques et professeur adjoint en droit à l’Université de Pittsburgh, a dit  lors d’une interview: «Cela appuie encore l’attention de Xi Jinping envers les valeurs traditionnelles.»

«Mais je prends toujours l’idée que nous retournons aux valeurs traditionnelles comme source de légitimité avec un certain scepticisme», a-t-il ajouté. «J’étais très enthousiaste il y a  environ 10 ans quand ils ont parlé de xiaokang shehui et je ne pense pas que cela ait abouti à grand-chose.»

 

Xiaokang shehui est une expression confucéenne qui avait été utilisé par l’ancien dirigeant du Parti Hu Jintao pour décrire une société «modérément prospère». Mais l’écart des richesses et ses innombrables problèmes sociaux, n’ont fait que croître sous le règne de Hu Jintao.

  • Les questions sociales les plus préoccupantes sont mises en évidence dans un graphique établi par la Tribune du peuple, un média officiel chinois. Au centre se trouve le «manque de foi», que 55,3% de gens ont reconnu comme principal problème. (Capture d’écran du Quotidien du Peuple)

Selon Cheng Xiaonong, l’ancien rédacteur en chef de la revue universitaire des Études modernes de Chine, un retour à l’authentique tradition chinoise n’est probablement pas l’antidote auquel ont d’abord pensé les auteurs de l’enquête.

«Ils parlent d’un règne communiste traditionnel, où tout le monde croit à ce que disent les dirigeants et où la propagande peut être utilisée pour manipuler et mobiliser les masses naïves», a-t-il confié. «C’est ce qu’ils veulent. C’est ce que Xi Jinping souhaite voir, même si ce n’est plus la même époque.»

Le problème des responsables

Les auteurs de l’étude ne craignent pas d’attribuer un grand nombre de problèmes à la bureaucratie, d’une façon ou d’une autre.

Ces dernières années l’une des causes de la perte des repères moraux a été principalement attribuée aux abus de pouvoir des responsables. On compte parmi ces abus les nombreuses maîtresses des responsables, les signes ostentatoires de leurs richesses et les scandales impliquant le sexe, la corruption et la violence.

Sur certains points, le ton de l’enquête devient critique envers le régime lui-même: «Quel groupe éprouve la plus grande crise de ses propres convictions?» Plus de 57% des participants en ligne ont répondu: les cadres du Parti communiste.

Les résultats du sondage ont été publiés sur le site web de la Tribune du peuple, une publication du Quotidien du Peuple, un journal fidèle au Comité central du Parti communiste chinois. L’enquête a été menée par le Centre d’enquête par sondage de la Tribune du peuple, publié avec une introduction détaillée sur son propre site, puis plus largement distribuée sur les principaux portails du web chinois dans des versions vulgarisées.

L’enquête a été menée entre le 22 août et le 2 septembre 2014. 8.015 personnes ont été interrogées, 70% d’entre elles et les autres ont été désignées au hasard pour remplir les questionnaires.

La publication de ce rapport est-il lié à une mesure politique plus large? Cela reste encore à déterminer.

  • Un compte-rendu des résultats de l’enquête de la Tribune du peuple sur le mal-être social, publié dans la presse officielle le 15 septembre. (Capture d’écran, Quotidien du Peuple)

Pour le professeur Yang Fenggang, cela est peu probable: «Ceci est une réflexion d’intellectuels chinois engagés qui s’inquiètent des problèmes sociaux actuels.»

Cheng Xiaonong a proposé une autre analyse: après que le dirigeant Xi Jinping a accompli des progrès dans sa campagne anti-corruption, il a «regagné la confiance pour aller de l’avant».

«Presque tout le monde en Chine se rend compte que le fondement moral du règne du Parti communiste s’est effondré, le régime veut donc reconstruire la base morale, même si c’est impossible.»

«Je suppose que c’est la raison pour laquelle ils veulent une enquête, et après cela, ils pourraient essayer de lancer une campagne d’éducation politique, d’idéologie politique, de loyauté politique et ainsi de suite...», a-t-il conclu.

Version originale: State-Run Paper Describes China’s Social Breakdown