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No man’s land – Les Irakiens coincés entre l’EI et les Kurdes

Écrit par IRIN News
17.02.2015
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  • Dans le camp de Yahyawah, près de Kirkouk, environ 1000 Turkmènes ont dit ne pas avoir réussi à entrer au Kurdistan. (Jeffry Ruigendijk/IRIN)

KIRKOUK – Yahyawah est un camp boueux du sud-est de la ville irakienne de Kirkouk, coincé dans un no man’s land géopolitique entre la frontière du Kurdistan semi-autonome et la ligne de front du groupe qui se fait appeler État islamique (EI).

Ses résidents actuels, membres de l’importante minorité turkmène qui a fui la région de Tal Afar, à l’ouest de Mossoul, lors d’une offensive de l’EI en juin dernier, disent qu’ils se sentent bloqués. Ils ne peuvent pas rentrer chez eux, car leurs villages sont occupés par les djihadistes de l’EI, et l’entrée au Kurdistan leur est refusée. La proximité de l’EI entrave par ailleurs l’accès au reste de l’Irak.

Ils font partie d’un nombre croissant d’Irakiens accusant le gouvernement régional du Kurdistan (GRK) de refuser de les accueillir sur son territoire relativement sûr.

Wida Khadr Uthman a dit que son mari avait été tué lorsque des membres de l’EI ont attaqué son village. Depuis, cette mère de deux enfants, âgée de 40 ans, essaie de se rendre en Turquie via le Kurdistan, mais elle a dit qu’elle avait été refoulée à plusieurs reprises.

«C’est une question de politique. Il y a un poste de contrôle là-bas et ils ne nous aident pas», a-t-elle dit en pointant le doigt en direction de Kirkouk. «Je ne sais pas si nous sommes interdits d’entrée, mais ils ne nous laissent pas passer.»

Hassan Issa a dit à IRIN qu’il avait essayé d’emmener Aaliyah, sa fille de quatre ans atteinte d’une malformation congénitale causée par une accumulation de liquide dans le cerveau, à l’hôpital au Kurdistan, mais qu’il a lui aussi été refoulé à la frontière.

Il a dit que même s’ils ne pouvaient pas rester au Kurdistan, ils pourraient peut-être se rendre en Turquie pour que sa fille se fasse soigner.

«Ils ont peur que les Turkmènes soient membres de l’EI», a expliqué M. Issa, assis avec sa fille dans sa tente où l’air est confiné. Les résidents du camp ne veulent pas aller à Bagdad, car l’EI contrôle les villes de Samarra et Tikrit, qui se trouvent entre leur camp et la capitale, et ils ont peur que les routes soient trop dangereuses.

En août 2014, la ville d’Amerli, dans la région de Salaheddine, dont la plupart des 12 000 habitants sont des Turkmènes chiites, a été assiégée par l’EI pendant plus de deux mois avant que les forces de sécurité irakiennes viennent à la rescousse.

«Les Turkmènes n’ont pas eu de cadeaux [...] et ont été abandonnés à leur sort», a dit à IRIN Christine Van Den Toorn, directrice de l’Institute for Regional and International Studies, de l’American University of Iraq à Souleimaniyé.

  • Des combattants peshmergas kurdes effectuent un contrôle de véhicule à Zummar dans le nord de l'Irak. (Safin Hamed/AFP/Getty Images)

«En raison de la situation géographique des Turkmènes lors des attaques de [l’EI], la plupart n’ont pas vraiment été protégés. Les forces de sécurité irakiennes sont parties et les peshmergas kurdes ne pouvaient les protéger que jusqu’à un certain point», a-t-elle expliqué.

Mme Van den Toorn a dit ne pas avoir été surprise d’entendre que les Turkmènes avaient du mal à accéder au Kurdistan et a remarqué que les Kurdes reprochaient aux Turkmènes chiites d’avoir soutenu politiquement Bagdad – siège du gouvernement fédéral irakien à majorité chiite – après 2003.

«Les Kurdes peuvent bien dire qu’ils comptent des Turkmènes dans leur Parlement, mais les Kurdes et les Turkmènes refusent de se partager le pouvoir, il ne faut pas oublier qu’ils se disputent [la ville de] Tuz Khurmatu et qu’ils ne se font pas confiance», a-t-elle ajouté.

Remise en cause des politiques frontalières

Les Turkmènes ne sont pas le seul groupe de personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays (PDIP) à avoir du mal à entrer au Kurdistan.

Selon des rapports du Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA), les PDIP arabes sunnites ont elles aussi été refoulées à plusieurs postes de contrôle kurdes et certaines ont été expulsées de zones résidentielles kurdes.

«Plus de 20 familles de PDIP du gouvernorat de Diyala installées à Kirkouk ont été expulsées de chez elles et escortées jusqu’au poste-frontière de Kirkouk début janvier», est-il écrit dans un rapport publié le 30 janvier. L’article précise que ces familles vivaient à Kirkouk depuis 2006 et que, ce même mois, 170 autres familles avaient été menacées d’expulsion.

Kirkouk est depuis longtemps source de tensions entre Erbil et Bagdad, qui se disputent la ville. Pendant le règne de Saddam Hussein, de nombreux Arabes ont été installés à Kirkouk dans le cadre d’un processus connu sous le nom d’arabisation. Toutefois, depuis 2003, les Kurdes ont tenté de reprendre le contrôle de cette ville qu’ils appellent souvent leur «Jérusalem».

L’avancée de l’EI a aidé les Kurdes en repoussant la police et les forces de sécurité irakiennes, ce qui a permis aux peshmergas, la force armée du GRK, de reprendre la main sur une plus grande partie de la ville. Les lignes de front demeurent cependant mouvantes et, fin janvier, des djihadistes de l’EI ont lancé une offensive surprise sur la ville et ses environs, donnant lieu à de violents affrontements.

Le GRK défend avec fierté sa politique frontalière stricte, affirmant devoir se protéger des violentes attaques qui déchirent le reste de l’Irak. Cependant, les organisations humanitaires s’inquiètent de voir des personnes vulnérables être refoulées, notamment sur des critères ethniques.

  • Ikram Jasim Mohamed, Turkmène irakien de 34 ans originaire de Tal Afar, montre sa carte de police, qu’il a essayé d’utiliser pour se réfugier au Kurdistan semi-autonome. (Jeffry Ruigendijk/IRIN)

Les principes directeurs des Nations Unies relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays stipulent que tous les PDIP devraient pouvoir se déplacer librement dans leur pays, quelle que soit leur origine ethnique ou sociale. Toutefois, bien que le Kurdistan fasse partie de l’Irak, le GRK applique ses propres règles en matière de contrôle frontalier et d’accès.

Abdirahman Mohamad Issa, assistant-représentant des opérations du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) en Irak, a confirmé que certaines PDIP non kurdes avaient été refoulées aux postes de contrôle kurdes.

«La sécurité est une préoccupation majeure dans le contexte actuel», a-t-il dit à IRIN. «Je ne suis pas sûr que ce soit une politique officielle, mais [des PDIP] ont été refoulées à certains postes de contrôle.»

M. Mohamad Issa a cependant souligné que le GRK avait été très généreux malgré ses ressources limitées.

Depuis le début de janvier 2014 jusqu’à la fin du mois dernier, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) a identifié 2 255 148 PDIP réparties dans 2412 localités différentes.

La province kurde de Dohuk accueille près d’un demi-million de PDIP et elles sont presque autant à Erbil et Souleimaniyé. La plupart vivent dans des camps ou dans des établissements informels.

Kirkouk compte plus de 330 000 PDIP venant de tout l’Irak. Un grand nombre d’entre elles viennent de la province d’Anbar, par laquelle des extrémistes affiliés à l’EI venant de Syrie sont entrés en Irak début 2014, attaquant d’abord les villes et villages de la région avant d’envahir Mossoul, puis la région de Salaheddine.

Le camp de Yahyawah, mis sur pied par l’Agence turque de Gestion des Catastrophes et des Urgences (AFAD), accueille actuellement entre 780 et 1700 personnes, selon les sources. Il a reçu du matériel du HCR et du Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), mais les résidents dépendent surtout de l’aide apportée par la population locale et c’est Ali Mahdi, du Front turkmène, un parti politique représentant la minorité, qui supervise son organisation.

Relié au réseau électrique, le camp compte quelques structures en dur, dont une laverie et un petit centre de santé maigrement approvisionné. La plupart des familles partagent cependant des tentes collectives, souvent faites de bâches en plastique doublées de couvertures pour garder la chaleur.

Mohamed Wais Ali Rith, le maire turkmène de Laylan, une ville de 14 467 habitants proche du camp, a dit que ses habitants avaient apporté de la nourriture, de l’eau et des produits de première nécessité aux PDIP, mais il a ajouté que sa ville ne pouvait pas faire plus et avait déjà son propre camp hébergeant près de 10 000 PDIP.

«Où iraient-ils?», a demandé M. Rith. «Nous n’avons nulle part où les installer.»

Source : IRIN News

Le point de vue dans cet article est celui de son auteur et ne reflète pas nécessairement celui d'Epoch Times.

 

 

 

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