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Une brèche dans le «Great Firewall of China»

Écrit par Matthew Robertson, Epoch Times
18.02.2015
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  • Une carte montre l’utilisation de Facebook par les internautes autour du globe. En Chine, où Facebook est bloqué, il y a très peu d’activité. (Karen Bleier/AFP/Getty Images)

C’est vers 2011, que Li Huanjun, ancienne institutrice d’école primaire à Pékin, s’est mise à contourner les restrictions de l’Internet en Chine. Peu de temps après, elle se retrouvait sur le toit de sa maison, aspergée d’essence, son couteau de cuisine à la main, prête à en découdre avec les intrus envoyés par le régime.

À l’image d’un grand nombre de Chinois, jusque-là, Li n’avait que faire de l’immense appareil de censure de son pays, ne s’occupant que de la bonne marche de ses propres affaires – avant de connaître, elle-même, l’expropriation et les démolitions forcées. Elle a dû s’informer et apprendre à combattre.

Lorsqu’elle parle du logiciel, probablement le plus utilisé pour contourner le pare-feu du régime chinois, elle ne tarit pas d’éloges: «Freegate est tout simplement inestimable – nous en avons besoin pour apprendre ce qui se passe réellement en Chine». Un couple de «militants des droits de l’homme» (en réalité de simples citoyens chinois qui s’intéressent aux droits que leur propre constitution leur accorde) a aidé Li à télécharger l’outil anti-censure et à l’utiliser pour communiquer avec autrui.

Dans un récent entretien téléphonique, elle confiait: «La première fois que j’ai découvert ce logiciel, je me suis dit: Wow! c’est magique! Je me suis rendu compte que tout ce qui passait sur la télévision centrale chinoise et sur les sites Web nationaux était faux. Et j’ai découvert beaucoup d’autres personnes qui avaient subi un traitement plus cruel que le mien».

Les autorités chinoises détestent les personnes comme Li Huanjun.

Internet, un jardin à l’accès fermé

Dans son effort de faire de l’Internet chinois un jardin clos, le régime a refusé l’anonymat et imposé aux citoyens l’utilisation de leurs vrais noms lorsqu’ils se connectent à Internet. Le régime a en outre lancé une répression ciblant les réseaux privés virtuels, et poursuit avec acharnement quiconque dans le pays, ose résister aux politiques de Pékin.

Le hic est qu’il y’a une fissure dans le mur, une faille que les autorités chinoises d’Internet n’arrivent pas à boucher: les technologies anti-blocage élaborées par un petit groupe d’entrepreneurs sino-américains des technologies, telles que Freegate et Ultrasurf.

«Pour moi, ces entreprises illustrent parfaitement la grande histoire de David et Goliath», expliquait Michael Horowitz, ancien chercheur à l’institut Hudson qui s’est intéressé de très près au sort des deux entités anti-censure.

«Jusqu’ici, avec peu d’argent, elles ont vaincu des milliards de dollars et des milliers de gens très habiles en Chine. C’est une question de survie pour la Chine – et ils s’y jettent à corps perdu».

Freegate et Ultrasurf utilisent leurs propres protocoles d’anonymisation qui permettent aux utilisateurs en Chine d’accéder à l’Internet sans entrave – vous téléchargez un petit programme et l’Internet libre est à vous.

L’anonymisation des données est un processus de destruction des traces, ou piste électronique, des données qui conduiraient un espion à la source. La piste électronique est l’information qu’on laisse derrière soit lorsqu’on envoie des données sur un réseau.

Ces programmes informatiques sont un problème pour les autorités, car plus elles s’acharnent à les bloquer, et plus elles risquent de bloquer tout Internet, ce qu’elles veulent absolument éviter.

La liberté en ligne est devenue une denrée très précieuse, pour preuve les récentes tentatives du régime chinois de créer son propre intranet.

Une kyrielle de restrictions

Depuis toujours, le Parti communiste chinois a cherché à contrôler l’accès à Internet et à bloquer les applications comme Tor (avec laquelle il y est arrivé) et Freegate. Pour nombre d’experts, les efforts du régime ces derniers mois sont renforcés avec un sentiment d’urgence.

Début 2014, le Parti a relancé publiquement sa «cellule d’élite consacrée à la sécurité et à l’informatisation sur Internet», qui gère les hautes attentes de sa politique du net. L’objectif global de ce groupe est de stimuler l’industrie technologique locale en Chine et d’apporter une coopération plus étroite entre les différents départements de gestion et de contrôle de l’Internet chinois.

Dernièrement, l’attention s’est focalisée sur le blocage d’une multitude de réseaux privés virtuels, ou VPN, très prisés des expatriés et d’autres utilisateurs plus à l’aise techniquement et qui résident en Chine.

Ces VPN créent un tunnel crypté qui relie l’ordinateur du client à un serveur situé hors de Chine. L’accès à Internet via ce serveur coûte généralement dans les 10 dollars par mois et permet aux utilisateurs d’aller sur Facebook, YouTube, Gmail et d’autres sites bloqués en Chine; l’internaute peut ainsi accéder à des informations, indisponibles sur l’Internet officiel.

En Chine, beaucoup d’entreprises se tournent vers les VPN pour leurs besoins opérationnels de base – synchronisation des données de vente grâce aux services de Google ou d’autres besoins similaires. Récemment, les fournisseurs de VPN comme Astrill, Golden Frog et StrongVPN ont tous reconnu que leurs services avaient été attaqués. Certains ont pu reprendre leur activité un peu plus tard, tandis que d’autres souffrent encore de pannes intermittentes.

Après d’autres services de Google bloqué en juin dernier, c’est Gmail qui en fin d’année est devenu inaccessible aux Chinois. D’autre part, les cyberforces chinoises ont commencé à utiliser des stratégies d’intrusion contre les utilisateurs qui cherchent à se connecter à Yahoo, Google, Microsoft, ou aux services d’Apple en Chine – l’attaque consistant à intercepter et à espionner le trafic entre un utilisateur et les services de ces géants du net.

Lorsqu’elles arrivent en Chine, les entreprises occidentales des hautes technologies sont également contraintes de se soumettre à des contrôles de «sécurité» de leurs produits, et même à livrer leurs codes source. Cette demande pour une technologie «sécurisée et sous contrôle» a interpellé la Chambre de commerce américaine en Chine, et d’autres groupes, qui ont écrit une lettre demandant l’intervention du secrétaire d’État John Kerry.

L’étau se resserre

Les autorités chinoises expliquent rarement les raisons de leurs actions. Et même s’il est évident que ces restrictions d’Internet étaient en préparation depuis plusieurs années, ce n’est qu’aujourd’hui, dans un moment où l’étau idéologique et politique chinois se resserre fortement, qu’elle passent en phase de déploiement.

Dans les farouches nouvelles campagnes de propagande, les idées «occidentales» et libérales sont vilipendées et présentées comme des menaces contre la Chine. Les citoyens au penchant libéral ont été mis sous une énorme pression pour qu’ils soutiennent le Parti communiste, quelques éminents universitaires, bloggeurs et journalistes ayant été emprisonnés pour l’exemple.

La croissance économique chinoise a ralenti, mettant sous pression un régime qui de toute façon, traverse une transformation spectaculaire. Xi Jinping, le chef du Parti, continue sa féroce campagne d’élimination de ses adversaires – dont des dizaines de milliers ont été soumis à des enquêtes – et sa mainmise sur l’appareil du Parti.

La police d’État

Les nouvelles mesures qui restreignent l’Internet, associées à un appareil de censure et de surveillance déjà très efficace, forment une puissante combinaison.

Pour Paul Rosenzweig, chercheur invité à la Fondation du patrimoine à Washington, DC, et consultant en cyber-sécurité, la plus grande menace que le régime fait peser sur des outils comme Freegate n’est probablement pas technique, mais politique.

«Leur outil le plus efficace est d’utiliser la force de frappe de la loi pour créer une police d’État, qui punira les utilisateurs d’un VPN, et là c’est radical», estime Rosenzweig.

«Si tout au long de l’histoire, les régimes autoritaires se sont maintenus, ce n’est pas grâce à leurs prouesses technologiques, mais par l’omniprésence de leur surveillance. Par peur d’être dénoncé et de se retrouver dans un goulag, personne n’osera plus installer la dernière version d’un VPN».

«Il n’y aucun mystère technologique derrière les agissements du régime chinois», constate Rosenzweig. «Ce n’est qu’une foule de petites touches techniques qui, superposées les unes sur les autres, deviennent de plus en plus efficaces et veulent tuer la liberté d’information sur le réseau».

Et d’ajouter: «La Chine a consacré énormément plus de ressources que d’autres, et elle est très certainement en avance dans son déploiement et sa mise en œuvre».

Fidèle au poste

Malgré les récents efforts intensifs des autorités chinoises pour traquer et faire tomber leurs réseaux et toutes ces ressources, Freegate et Ultrasurf tiennent le coup.

Dans un entretien téléphonique, Bill Xia, président de Dynamic Internet Technology, et donc de Freegate confiait: «Chaque jour, nous servons encore des centaines de milliers d’utilisateurs».

Il a reconnu qu’en fonction de leur localisation en Chine, de nombreux internautes avaient toujours des difficultés à accéder à Freegate. Malgré les mesures strictes contre les autres VPN, explique-t-il, Freegate n’a pas connu d’explosion proportionnelle de son trafic à cause des mécanismes de blocage de la Chine. «Nous sommes encore en plein dedans, de sorte que nous ne voulons donner aucun détail», a déclaré Xia.

Cecilia Lan, une militante pour la démocratie qui faisait partie d’un groupe réclamant l’état de droit en accord avec la Constitution chinoise de 1947, et qui a quitté la Chine l’année dernière, affirmait: «Freegate était le meilleur VPN que j’ai jamais utilisé». Selon elle, ce n’était pas le seul dispositif du genre – parfois d’autres VPN ou GoAgent semblaient meilleurs. «Mais lorsque le régime a réussi à couper l’accès aux VPN, Freegate est sorti du lot, car il n’a jamais abandonné. Chaque fois que le Parti communiste améliorait son pare-feu, Freegate s’améliorait aussi».

Aujourd’hui, Cécilia Lan s’est installée à Washington. Elle cite un proverbe chinois qui stipule que «si le bien fait 1 pied de haut, le démon en fait 10», mais dans le cas de Freegate et du Parti communiste, elle estime que «c’est le démon qui fait 1 pied de haut, et le bien qui en fait 10!»

«En plus, Freegate est un joli nom!», se réjouit Cécilia  Lan. «Très simple et direct. La porte de la liberté».

La liberté en marche

Horowitz est parfaitement conscient des difficultés rencontrées par Freegate et ses pairs.

D’un côté, «le pare-feu chinois dispose effectivement d’un budget illimité». Et d’ajouter: «Et en face, il y a ces deux groupes fonctionnant avec un tout petit budget».

Une partie du problème des moyens vient de la faiblesse des financements que les deux entreprises obtiennent, en particulier du gouvernement américain. Jusqu’ici, ce dernier a montré peu d’entrain dans un soutien à grande échelle. Freegate est essentiellement financé par le privé, ce qui limite son impact – suffisant pour maintenir les opérations courantes, mais «pas assez pour lui permettre d’avoir un effet de masse critique», analyse Horowitz.

Si ces entreprises pouvaient se renforcer et intensifier leurs opérations, obtenir des millions, voire des dizaines de millions d’adresses IP pour leurs plates-formes, «cela ne vaudrait même pas la peine d’essayer» de couper leur accès, soupire Horowitz.

Lui et d’autres espèrent que les décideurs américains vont bientôt comprendre l’importance de Freegate et des logiciel semblables et alloueront du coup plus de fonds.

Même aujourd’hui, lors des pics de connexion, Freegate doit rationner l’accès à ses serveurs.

Cependant, les efforts de Freegate sous la pression du régime et le peu de moyens financiers dont il dispose l’ont rendu plus résistant que jamais. Horowitz estime que «c’est dans l’adversité que l’on apprend». Il est sûr que lorsque les décideurs américains voudront véritablement soutenir ces services, «ce sera infiniment plus difficile pour la Chine de faire quoi que ce soit».

Pour Rosenzweig, l’Amérique devrait s’intéresser à la situation de la liberté de l’Internet en Chine pour la même raison qu’elle s’est souciée de la libre circulation de l’information en Union soviétique. «Les régimes autoritaires maintiennent leur pouvoir en limitant l’accès de leurs citoyens à l’information».

  • Chen Guangcheng à Washington le 3 juin 2014. (Alex Wong/Getty Images)

Chen Guangcheng parle de Freegate

Chen Guangcheng est un célèbre militant chinois des droits de l’homme qui vit aux États-Unis depuis 2012, peu après son audacieuse évasion d’une résidence surveillée. Lorsqu’il était encore en Chine, il a utilisé Freegate et d’autres logiciels anti-censure pendant des années. Il partage ici son expérience dans un entretien téléphonique accordé à Epoch Times.

«Freegate était vraiment, vraiment commun. À l’époque, vous pouviez le télécharger n’importe quand et l’utiliser comme vous le souhaitiez. Le logiciel était très léger et facile à ouvrir. Il se mettait à jour tout seul. Si vos amis voulaient l’utiliser, il vous suffisait de leur envoyer un mail. Et le plus important est que le Parti communiste ne pouvait pas le bloquer. Du coup vous accédiez à toute l’actualité étrangère – à tous les sites d’information étrangers disponibles sur la première page. Il vous suffisait de cliquer dessus.

Freegate a eu un énorme impact sur la prise de conscience du peuple chinois. Le Parti communiste l’a fait disparaître des médias, interdisant toute mention du sujet, même négative. Si le Parti poursuivait des gens pour l’avoir utilisé, cela reviendrait à faire de la publicité gratuite parce que personne ne les croirait. Lorsque le Parti communiste ordonne d’aller à l’ouest, tout le monde sait qu’il faut aller à l’est. Et même si on n’en parle pas publiquement, tout le monde l’utilise encore aujourd’hui. Si dans un groupe d’amis, une personne l’utilise déjà, alors bientôt tout le monde l’utilisera. Et le logiciel se propage de groupe en groupe. Il a eu un impact énorme sur la Chine – c’est évident.

Nous avons commencé à l’utiliser en 2003. Plus tard, dans une discussion, il suffisait de dire: "Nous utilisons un certain logiciel...", pour entendre d’autres dire: "Oh, nous aussi, nous utilisons Freegate!" Il y avait d’autres VPN et logiciels comme Ultrasurf, mais j’ai toujours préféré Freegate car je le trouvais plus pratique. Je ne connais pas la situation actuelle en Chine. Mais déjà, à partir de 2006, je ne pouvais plus l’utiliser parce que mon ordinateur avait été volé. Bien sûr, après mon arrivée aux États-Unis, je n’ai plus eu besoin de l’utiliser.

Ces développeurs sont fabuleux. Le gouvernement des États-Unis doit absolument leur apporter son soutien. C’est l’argent des contribuables américains, et s’ils en mettent un tout petit peu pour soutenir Freegate, cela revient à investir dans les valeurs fondamentales de l’Amérique. Le pare-feu du Parti communiste ne pourrait que s’effondrer. C’est le mur de Berlin de l’Internet et il nuit gravement à la Chine».

Version originale: Stubborn Web Wizards in North Carolina Defeat China’s Censorship

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