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Toujours la tempête

Écrit par Michal Bleibtreu Neeman, Epoch Times
20.03.2015
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  • Toujours la tempête de Peter Handke, mise en scène d’Alain Françon. (Toujours la tempête © Michel Corbou)

Dans une lande, entre rêve et réalité, entre passé et présent, dans un espace temps non défini comme celui de la mémoire, Peter Handke fait surgir ses ancêtres dans sa dernière pièce: ses grands parents, sa mère, ses oncles et sa tante. Il leur donne la vie et la parole, et avec eux renaît l'histoire d’une minorité avec sa langue, sa culture et ses paysages.

Dans la mise en scène très sobre d’Alain Françon, Peter Handke retrace l’épopée mythique de ses origines et avec elles celle d’une résistance antihitlérienne peu connue et non reconnue. «Toujours la tempête», «still storm» sont les mots du roi Lear, errant dans la lande, emporté par une tempête d’épreuves et de souffrances. Dans un récit intime, Handke tente de se réconcilier avec son existence et de rendre justice, devant l’histoire, à une minorité dont il fait partie.

Une minorité divisée

Peter Handke est né à Griffen, en Carinthie, le plus méridional des neuf Länder autrichiens à la frontière de l’Italie et de l’ex-Yougoslavie. Il est né en 1942, en pleine guerre. Sa mère faisait partie de la minorité slovène de Carinthie et son père était un Allemand de passage – un amour qui dura «une nuit» mais comptera «plus que dix mille autres». Né «bâtard», comme le dit Handke, il est issu d’une union problématique. Il s’agit en effet d’une époque où l’Allemagne a annexé l’Autriche dans une politique de germanisation des minorités et dont l’objectif est d’éradiquer l’élément slovène au sud de l’Autriche. Sa mère cependant est celle qui, de toute la famille, parlait le slovène le plus pur.

C’est depuis les années 20, suite à la décision de Carinthie de rester attaché à l’Autriche, que les Slovènes de Carinthie se divisent entre «les bons» et «les méchants», entre ceux qui gardent leur culture et leur langue et ceux qui ont tendance à s’assimiler. La mère de Handke, bien qu’ayant épousé un Allemand, n’a pas «trahi» sa culture.

Pendant la Seconde guerre mondiale, le régime envoie les jeunes issus de la minorité slovène au front. Les deux frères de la mère de Handke y trouveront la mort, au nom de la «grande Allemagne». D’autres refusent la mobilisation ou désertent l’armée allemande et rejoignent les partisans communistes de Tito. C’est le cas du frère aîné de la mère et de sa sœur. La sœur est capturée par les nazis et torturée à mort. Le frère, qui survit, est désenchanté par les tournants de l’histoire et par l’ingratitude de son pays.

  • Pierre-Félix Gravière, Wladimir Yordanoff, Nada Strancar, Stanislas Stanic, Dominique Reymond,Gilles Privat, Dominique Valadié. Toujours la tempête Michel Corbou. (Toujours la tempête © Michel Corbou)

La résistance des Slovènes en Carinthie fut la seule résistance antihitlérienne en territoire allemand. Les circonstances politiques ont fait que cette résistance a été marginalisée et même instrumentalisée et ses membres qualifiés de communistes et de traîtres.

Une pièce lyrique

Dans ce contexte, le récit poétique de Handke devient une sorte d’exorcisme. Peter Handke, fruit d’un amour en période de guerre, quitte l’Autriche, passe d’un pays à l’autre, l’Allemagne, la France, les États-Unis, l’Autriche et encore la France. Il traduit en allemand des auteurs slovènes, c’est donc avec la langue de l’ennemi qu’il garde la mémoire de sa culture et de la cosmogonie de son pays natal, à l’instar de sa mère qui, dans le temps, a choisi l’ennemi pour continuer sa vie, a choisi l’amour quand les autres se combattaient.

«Une lande, une steppe, une lande-steppe, ou n’importe où. Maintenant, au Moyen âge, ou n’importe quand». C’est ici, dans ce paysage, entouré des montagnes de Carinthie et jalonné de pommiers qu’est né «Moi», le narrateur de ce récit épique à la fois intime et universel, mêlant les morts et les vivants, le mythe et la réalité, hier et aujourd’hui, les monologues et les dialogues. Un «Moi» qui convoque les fantômes de la mémoire.

Tout cela aurait pu se faire dans l’académisme ou, pourquoi pas, le militantisme, mais Handke a choisi le lyrisme, l’espace poétique.

Avec Laurent Stocker (Moi), Pierre-Félix Gravière (Benjamin), Gilles Privat (l’oncle Gregor) Dominique Reymond (la mère), Nada Strancar, (la grand-mère) Dominique Valadié (la tante Ursula), et Wladimir Yordanoff, (le grand-père) Stanislas Stanic (Valentin).

INFOS PRATIQUES

Texte français: Olivier Le Lay

Mise en scène: Alain Françon

Décor: Jacques Gabel

Lumières: Joël Hourbeigt

Costumes: Sarah Leterrier

Odéon-Théâtre de l’Europe

Ateliers Berthier

8 mars - 2 avril

Horaires du mardi au samedi à 19h30, dimanche à 15h

En tournée Comédie de Saint-Étienne

du 8 au 10 avril; Maison de la Culture d’Amiens du 15 au 18 avril; Théâtre national de Nice du 22 au 26 avril; Comédie de Clermont-Ferrand du 5 au 22 mai et à la MC 2 de Grenoble du 22 au 26 septembre.

  • (STR/AFP/ Getty Images)

À propos de Peter Handke auteur de Toujours la tempête

Peter Handke est né en Carinthie en 1942. Il a fait des études de droit à l'Université de Graz de 1961 à 1965, mais a interrompu ses études lorsqu'un éditeur a accepté son premier manuscrit de roman en 1965 (Les Frelons, 1966). La même année, la pièce légendaire Publikumsbeschimpfung (Outrage au public) était montée à Francfort dans une mise en scène de Claus Peymann. Depuis, il a publié plus d'une trentaine de récits et œuvres en prose et écrit beaucoup de pièces de théâtre et de scénarios, notamment le scénario du célèbre film de Wim Wenders Der Himmel über Berlin (Les Ailes du désir, 1987), qui a été primé. Plusieurs prix internationaux ont déjà récompensé son œuvre et il est considéré aujourd'hui comme l'un des grands noms de la littérature européenne. Handke vit à Chaville, près de Paris.

En septembre dernier, Peter Handke a reçu le prix international Ibsen qui a été créé par le gouvernement norvégien en 2007 et a déjà été attribué à Peter Brook, Ariane Mnouchkine, Jon Fosse et Heiner Goebbels. Dans sa justification, le jury écrit que le Prix International Ibsen 2014 est attribué à Peter Handke pour son «œuvre dont la beauté formelle et la réflexion sont sans pareils». Il ajoute: «Si Ibsen a pu être le dramaturge typique de son époque bourgeoise, et l'est resté, Peter Handke est incontestablement l'auteur épique le plus influent des scènes de théâtre d'aujourd'hui.»

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