Quels croisements de symboles au bord de la Charente ! Avant de traverser l’Atlantique, L’Hermione, «frégate de la liberté» sortie des brumes rochefortaises a fait rêver les badauds et le président français, présent en Charente-Maritime pour son départ samedi 18 avril. Là, derrière les murailles de Fouras, tout est déjà américain et jusqu’à l’air joué par l’orchestre local: «Pirate des Caraïbes»… Conséquence sans doute de l’habitude du spectacle qu’a amenée à la région la manne du Fort Boyard, ce «revival» de la traversée de La Fayette en 1780 est résolument tourné vers Hollywood. Du côté du spectacle aussi, très à propos, Ségolène Royal accompagnait François Hollande dans son déplacement, et en ponctuait le déroulé par l’envoi de tweets  et de photos du président sur les réseaux sociaux. Tiens, pourquoi Ségolène en vedette américaine du départ de l’Hermione? N’est-elle pas ministre de l’Écologie? chuchote une petite voix. Oui, répond une autre, mais elle est surtout  l’ancienne présidente de la région Poitou-Charentes, et ancre toutes ses ambitions nationales sur ce territoire. Elle fait penser à Hillary Clinton,  pouffe une troisième de ces voix insolentes, elle se prépare. Quel parallèle ! Toutes deux femmes – ou ex- de présidents, ont connu de lourds échecs, agacent avec constance et ne rêvent que de la fonction suprême. Il fallait un trois-mâts pour les relier.

La Fayette, le pauvre,  soupirerait en se souvenant du feu qui l’animait lorsque, à bord de la première Hermione, il traversait l’Atlantique pour annoncer à l’Amérique que la France l’aiderait à devenir nation. «Liberté» en ces siècles que le cynisme n’avait pas encore gangrenés n’était pas un mot de discours mais la foi des bâtisseurs d’un monde à conquérir, cultiver, faire fleurir. Aurait-il pris la mer, notre La Fayette, s’il avait su que, deux siècles et demi après, Européens et Américains en seraient à négocier la «liberté» absurde de vendre – à cinq mille kilomètres de chez soi – du blé ou du maïs à des populations qui en produisent plus que ce qu’elles peuvent consommer, et qui elles-mêmes vendent leur production à cinq mille kilomètres de chez elles? En même temps que sur l’Hermione on mettait les voiles, un peu partout dans les capitales européennes des dizaines de milliers de personnes manifestaient contre le TTIP, futur traité de libre-échange transatlantique qui doit créer la plus grande zone d’échanges commerciaux au monde. Tandis que Bruxelles et Washington parient chacune sur le fait que celle-ci permettra de gagner 0,3 points de PIB – soit un accord «gagnant-gagnant», nombreux craignent un nivellement par le bas des normes de protection des consommateurs: des médicaments moins sûrs, des banques sans bride, des importations massives de produits OGM, une hyper-domination des grands groupes au détriment des entreprises de dimension nationale... et au final, plus de pertes d’emplois que de créations. Hermione, fille d’Hélène enlevée par le fils d’Achille nous ramène des murailles Fouras jusque sous celles de Troie. Le TTIP rappelle un certain cheval, qui pourrait bien abriter des multinationales et l’intérêt des marchés plutôt que celui des populations.