Un pétrole inépuisable, écologique et bon marché

Écrit par Henri Durrenbach - Collaboration spéciale
30.03.2006
  • Station d’épuration écologique des eaux usées de Honfleur(STF: MYCHELE DANIAU / ImageForum)

Ceux de nos lecteurs qui suivent nos pages scientifiques se souviennent de l’étude parue en la page Environnement de notre numéro 48 du 23-29 novembre sous le titre Le problème planétaire du CO2, rendant compte des efforts actuellement tentés ou envisagés pour diminuer significativement les impacts écologiques de la production mondiale de gaz carbonique, essentiellement due à la consommation du pétrole fossile à laquelle des intérêts très fortement ancrés poussent à ne pas renoncer tant que ses gisements ne seront pas totalement épuisés.

   

Nous en avions profité pour signaler deux solutions alternatives apparues il y a une soixantaine d’années, permettant un véritable développement durable par leur mise en œuvre conjuguées mais immédiatement écartées d’un revers de main dès le stade pilote, ce dont nous payons de plus en plus le prix de nos jours, et nous avions promis de leur consacrer des développements dans nos éditions ultérieures : il s’agissait d’utiliser un pétrole obtenu –en abondance– par la fermentation anaérobie (c’est-à-dire à l’abri de l’air) de la biomasse (travaux du Docteur Jean Laigret) et de la mise en service de centrales nucléaires à fluorures fondus de thorium –et non oxydes « enrichis » d’uranium– les déchets radioactifs étant alors de « période » très courte, le thorium de très moindre coût et les réacteurs rustiques et peu encombrants, le processus réactionnel s’y déroulant excluant par ailleurs en soi tout « accident » du type « Tchernobyl ».

Nous nous attachons présentement à sauver de l’oubli l’apport potentiel immensément gratifiant du Docteur Jean Laigret dès la fin de la Seconde Guerre mondiale… il était en effet parvenu à reproduire en laboratoire les phénomènes naturels ayant fait naître les nappes pétrolifères et avait finalement obtenu avec un magnifique rendement des combustibles liquides tout à fait semblables à ceux dont l’activité humaine a tant besoin mais dont l’usage ne mettrait pas pour autant en danger l’équilibre planétaire Carbone-Oxygène –le CO2 rejeté dans l’atmosphère est celui qui en a été retiré par la photosynthèse– et de même n’entraînerait pas de pollution thermique.

Le procédé Fischer-Tropsch, qui transforme coûteusement –et partiellement- la houille en combustibles liquides ne résout pas un tel problème et fait encore appel à une matière première fossile et épuisable.

Nous n’évoquons que pour mémoire des techniques pratiquement abandonnées (gaz peu caloriques produits par la fermentation aérobie –c’est-à-dire en présence d’air– de pailles et lisiers ou par les fameux « gazogènes » de la Seconde Guerre mondiale).

Un cheminement expérimental historique

Dès 1943, Jean Laigret est chargé par le gouvernement d’étudier les bactéries qui interviennent dans la fabrication du gaz de fumier. En fait, au départ – et comme presque toujours en l’occurrence– Jean Laigret cherche autre chose que ce qu’il va trouver. Dans le cadre de la mission qui lui avait été confiée, le Docteur Laigret fut amené à s’intéresser à l’un des bacilles anaérobies les plus communs dans la nature, le bacille perfringens, déjà bien connu comme ferment destructeur des matières organiques.

Une première série d’épreuves fut effectuée sur des liquides organiques, dont la fermentation donnait du gaz carbonique et de l’hydrogène, mais très vite le liquide devenait acide et la fermentation s’arrêtait. Aussi, dans une deuxième série d’épreuves, on ajoutait des formiates alcalins ou ammoniacaux. Les dégagements de gaz ne se produisaient plus qu’à partir du deuxième jour, mais le débit en était régulier et prolongé. Dans une troisième série d’épreuves, on ajoutait au mélange des traces d’iode, qui servait de catalyseur. On obtenait un premier dégagement de même nature que le précédent, puis, après un arrêt d’une douzaine de jours, un deuxième dégagement de gaz très riche en méthane (plus de 80 %).

Le Docteur Laigret décida alors de poursuivre ses recherches en partant de corps solides et d’abord d’un acide gras : l’acide oléique. Le produit utilisé était du savon ordinaire du commerce, fabriqué avec de l’huile d’olive. Ses travaux étaient conduits dans les mêmes conditions que précédemment et avec le même bacille. Il constata que la fermentation ne produisait pas de méthane mais du gaz carbonique et qu’il se déposait à la surface du milieu fermenté un liquide noir dont l’analyse montra qu’il s’agissait d’un pétrole. Plus précisément, cent grammes de savon donnaient 75 cm3 de pétrole. L’expérience fut renouvelée plusieurs fois avec le même résultat.

Ainsi se trouvait confirmé le fait que l’on avait jusque-là simplement supposé : les gisements de pétrole proviennent, de façon pratiquement certaine, de la fermentation anaérobie de matières organiques et le processus qui l’avait permis pouvait être reproduit en laboratoire. Ceci ne voulait pas dire, bien entendu, que d’autres types de fermentation ou de bacilles ne conduisaient pas au résultat, mais il était désormais certain que le bacille perfringens provoquait la synthèse du pétrole.

La question des rendements

Nous avons vu que les rendements en « huile » se sont révélés dès l’origine remarquablement élevés : cent grammes de savon oléique donnant les ¾ de leur masse en pétrole !

« Ce sont les huiles végétales qui ont le meilleur rendement en pétrole lors de leur fermentation. En moyenne, une tonne d’huile fermentée donne 800 litres de pétrole brut et 200 m3 de gaz combustible. Mais les huiles sont des produits relativement chers et la collecte des végétaux qui les contiennent est une opération artisanale, donc onéreuse. D’où l’idée qu’eut le Docteur Laigret d’étudier la fermentation de produits organiques bon marché.

C’est ainsi qu’il constata que les déchets de viande de cuisine pouvaient fournir 450 litres de pétrole et 140 m3 de gaz combustibles par tonne. Les déchets de poissons fournissaient environ 70 % de leur poids de carbures. Les écorces d’oranges et de citrons 37 % et les feuilles mortes 25 % de leur poids… »

Les boues d’égout

Une pléthorique source de matières organiques fort encombrantes et dont la valorisation est infiniment souhaitable est à l’évidence constituée par les boues d’égout, surtout celles correspondant aux grandes concentrations urbaines.

On sait qu’aujourd’hui une partie, amenée à une teneur en matières sèches d’environ 50 % en est brûlée, tandis que le reste est converti en un engrais agricole peu séduisant, vendu à bas prix et dont l’utilisation n’est pas sans inconvénients…

Pourraient être ajoutés aux boues d’égout et dirigés de concert vers des cuves de fermentation adéquates divers déchets organiques, ordures ménagères, « fonds de pile » des huileries, déchets d’abattoirs –dont le sang dont on ne sait vraiment que faire, de même, de nos jours, que les « farines de viande », calamité moderne… mais aussi les carcasses de vaches « folles » ou de moutons aphteux… ou les cadavres de poulets « aviaires », ainsi que les algues marines intéressantes en tant que matériau organique fermentescible, et contenant en outre les traces d’iode dont la présence favorise le processus de fermentation. Nous y revenons plus loin et abordons préalablement :

La question des prix de revient

L’incidence des frais –considérables- de recherche de gisements pétroliers et de forage étant bien entendu nulle, mais celle de l’établissement ou de l’aménagement des structures industrielles où se réaliseraient les fermentations étant à prendre en compte, il est probable que le prix de revient de produits finis comparables aux actuels produits pétroliers ne serait pas d’un ordre très différent de celui qui a été de mise… à des époques de relative sérénité… c’est-à-dire avant 1973, et même avant août 1990. il faut d’autre part considérer l’immense avantage économique que constituerait l’endiguement des sorties de devises consécutives aux achats de brut.

Sur quelles quantités compter ?

« C’est une question capitale, si l’on considère que le procédé étudié par le Docteur Laigret est destiné à remplacer à plus ou moins long terme les carburants utilisés par nos moteurs. Or, on peut estimer à quelque 30 millions de tonnes la quantité de pétrole nécessaire. Notons qu’il s’agit ici de la seule énergie ‘embarquée’, c’est-à-dire celle que nous employons annuellement pour la propulsion des véhicules ».

Il s’agit de données émanant de l’IFP et correspondant à la consommation annuelle française moyenne des années 1990, ce qui représente quelque 60 à 100 millions de tonnes de déchets en matières organiques. En regard, de quoi disposons-nous ? On peut estimer à huit millions de tonnes le volume en France des boues d’égout, qui, même à l’état non trié, en présence de toutes les impuretés non susceptibles de fermenter (sables, verres, métaux, etc.) peuvent fournir 106 litres de pétrole brut et 124 m3 de gaz par tonne (Jean Lagarde, Science & Vie, juillet 1949).

Nos besoins couverts plus de dix fois !

On le voit sans peine, boues d’égout, ordures ménagères, déchets agricoles et agroalimentaires permettraient de couvrir plus de 10 fois nos besoins en pétrole affecté au secteur circulation et transports…

Les algues

Mais d’autres sources encore de matières organiques sont à notre disposition. Nous pensons aux algues qui, comme déjà dit, ont le mérite « de fournir l’iode indispensable à la synthèse biologique du pétrole. Or, les algues sont des végétaux très prolifiques. C’est en trillions de tonnes que l’on évalue la production annuelle d’algues : pour les seules algues microscopiques, on évalue cette production à 200 milliards de tonnes ». Répétons-le à satiété : « A la différence du pétrole minéral, les sources de pétrole de fermentation sont inépuisables. »

Qu’est devenu le docteur Laigret ?

Nous n’épiloguerons pas sur les raisons qui firent tomber dans un incroyable oubli sa découverte majeure et historique. Mais il est clair qu’elle ne pouvait guère, en 1950, servir d’intérêts politico-financiers… Quid de notre temps très problématique ? Homme de talent et de vérité, peu préoccupé de sa carrière personnelle, il n’en était pas moins « déjà connu pour ses travaux sur les maladies tropicales lorsqu’il entreprit d’étudier la fermentation méthanique. Il avait dirigé d’importants travaux et il était correspondant de l’Institut lors de son décès en 1966, il y a maintenant 40 ans ».

Bibliographie

Comptes-rendus de l’Académie des Sciences : Vol. 221, séance du 24 septembre 1945, pages 359 à 361 : Microbiologie, note de M. Jean Laigret présentée par M. Gabriel Bertrand.

Comptes-rendus de l’Académie des Sciences : Vol. 225, séance du 11 août 1947, pages 398 et 399 : Chimie biologique, note de M. Jean Laigret présentée par M. Gabriel Bertrand.

Science & Vie, juillet 1949 : Article de Jean Lagarde, pages 3 à 8 : Le pétrole de fermentation peut être produit partout

France-Soir, 28 août 1947 : Essence à partir de l’huile d’arachide

Journal Carrefour du 3 septembre 1947