Le futur, c’est le passé

Écrit par Patrice-Hans Perrier, La Grande Époque - Montréal
26.11.2007

 

  • La maison de Steve Baer(攝影: / 大紀元)

Une exposition au Centre Canadien d’Architecture fait le point sur la crise énergétique 

La crise anticipée des réserves d’énergies fossiles et le réchauffement de la planète nous mettent en face d’une situation aux conséquences inextricables. Nous ne pouvons plus poursuivre notre fuite en avant sur le mode de la consommation à outrance. Mais, «il n’y a rien de neuf sous le soleil», pourrait-on dire, puisque la crise pétrolière de 1973 nous avait déjà prévenus de la suite des choses… aurions-nous perdu la mémoire?

C’est un peu la question que se pose Mirko Zardini, le directeur du Centre Canadien d’Architecture (CCA) et le commissaire de l’exposition intitulée «1973 : Désolé, plus d’essence». Cette exposition coup de poing risque fort de faire courir beaucoup de monde à Montréal, et c’est tant mieux. Pour une fois qu’un musée se préoccupe de mettre en relation la recherche dans le domaine de l’architecture et de l’urbanisme avec les limites énergétiques qui confrontent nos modèles de développement. L’exposition se poursuit au moment de mettre sous presse et tout semble indiquer qu’elle marquera de nouveaux jalons dans le monde muséal.

La domination de l’économie sur la vie

Comme aime à le souligner Mirko Zardini, «il faut comparer le développement durable à la notion de décroissance ou de croissance zéro, qui souligne l’invraisemblance d’une croissance illimitée et la nécessité de débattre de la domination de l’économie sur la vie». C’est ainsi qu’il faudrait percevoir derrière la crise énergétique, bien plus qu’une raréfaction des combustibles fossiles, la dérive d’un système de consommation qui a été érigé comme un étalon de mesure indiscutable. Et, tout le propos de cette exposition prend forme sur le mode d’une vaste réflexion à propos des limites de nos modèles de développement depuis l’après-guerre de 1945.

À la logique du «développement soutenu», du boum économique des années 1950, s’oppose désormais celle du développement durable, notion ambiguë s’il en ait. En effet, cette notion à la mode nous est souvent présentée comme une panacée contemporaine qui serait susceptible de résoudre nos problèmes énergétiques et environnementaux sans se poser la question des finalités de notre système de production. Ainsi donc, toujours selon M. Zardini, «le développement durable semble [être] une variation sur les mêmes principes» que cette fameuse «prospérité universelle» que nous promettait Harry Truman, le président des États-Unis en 1949.

Aurons-nous le temps de trouver de nouvelles sources d’énergie alternatives? Y aura-t-il encore assez de matière à recycler dans les prochaines décennies? Où logeront les 9 milliards d’êtres humains qui peupleront la terre en 2300, selon une projection médiane tirée d’un nouveau rapport de l’ONU? Bref, pourrons-nous poursuivre notre fuite en avant encore longtemps?

Certains précurseurs osent

Mirko Zardini aime bien ramener sur la table les propos de Irving Kristol, un analyste qui prédisait que «l’avenir proche [1980] serait un reflet du passé récent [les "Trente Glorieuses" qui ont suivi la guerre]». Et de poursuivre que «si effectivement l’avenir est le passé, nous pourrions au moins choisir le passé que nous voulons comme avenir». Ce qui amène le commissaire de l’exposition à nous inviter à «revoir ces expériences menées il y a quelque 30 ans par une foule d’individus qui pensaient autrement…». Et cette exposition démontre que certains francs-tireurs de l’architecture et du génie n’ont pas hésité à sonder de nouvelles façons d’habiter et de coexister au gré de leurs expérimentations.

Au-delà du choc pétrolier et d’une première crise et prise de conscience, les années 1970 auront été un théâtre d’expérimentation fertile dans le domaine des bâtiments verts et de la réingénierie du développement urbain. Des architectes et des ingénieurs de la trempe des Michael Reynolds, Malcolm Wells ou Oswald Mathias Ungers n’ont pas hésité à s’investir dans des projets et des modèles qui détonnaient face aux grandes idées du «modernisme» triomphant de l’entre-deux guerres. Les fantasmes de production illimitée en série, de vitesse et de grands ensembles urbains étaient abandonnés au profit d’une vision plus lucide, à l’instar du célèbre livre de l’économiste E. Fritz Schumacher, Small Is Beautiful, publié en 1973.

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  • La maison de Steve Baer(攝影: / 大紀元)

Un nouveau paradigme de développement

Adepte de la pensée systémique, Schumacher affirme que le «système matérialiste que nous connaissons aujourd'hui, dans lequel le niveau de vie se mesure par le volume annuel de la consommation, s'efforce par conséquent de maximiser la consommation en optimisant simultanément la production. L'autre système est celui de l'économie bouddhiste, fondée sur les notions de "subsistance convenable" et de "voie moyenne"; il vise à maximiser le bien-être de l'homme en optimalisant la production». Et de poursuivre que «l'écologie devrait être une matière obligatoire dans les études d'économie».

La même année du triste discours du président Truman, en 1949, Buckminster Fuller et son équipe construisaient le premier dôme géodésique au monde, un édifice remarquablement futuriste qui pouvait supporter son propre poids sans pratiquement aucune contrainte dynamique. Son invention allait permettre au gouvernement américain d’ériger le pavillon des États-Unis, lors de l’Exposition universelle de Montréal, en 1967.

Véritable visionnaire, avec un demi-siècle d’avance, Buckminster Fuller concevait son architecture futuriste en tenant compte de la notion de développement durable. Cet architecte iconoclaste nous a légué des prototypes de bâtiments qui nous forcent à questionner nos habitudes de consommation. À une époque où il devient impératif de protéger les milieux naturels, Fuller a réussi à mettre en scène une architecture qui utilise le moins possible de matériaux, faisant preuve d’une économie de moyens qui force l’admiration.

Et, c’est ce que l’exposition du CCA démontre, il ne fut pas le seul à se préoccuper du rapport entre le développement durable et la conception de nouvelles unités d’habitation générant moins de déchets en phase de construction, étant moins énergivores et plus saines pour leurs occupants.

Une exposition dynamique

Le propos de cette exposition iconoclaste tient en fait dans la présentation de plus de 350 artefacts, qui vont des dessins d’architecture aux séquences télévisées tirées d’archives, en passant par une foule de photographies. C’est l’architecte montréalais Gilles Saucier, du cabinet Saucier + Perrote Architectes, qui a conçu le design de cette exposition qui se veut, avant tout, dynamique et interactive. Une étrange structure serpente d’une salle à l’autre, défiant notre système habituel de perspective, et fait office de présentoirs ou de postes de visionnement.

Une série d’écrans a été alignée dans une des spacieuses salles du CCA : on peut y visionner les déclarations des principaux chefs d’État au moment de la crise pétrolière de 1973. Il est tout de même savoureux d’écouter un extrait d’un discours télévisé du président américain Jimmy Carter, lequel affirmait, le 18 avril 1977, «Je sais que certains d’entre vous doutent que nous soyons vraiment menacés par une pénurie énergétique… le problème est plus grave aujourd’hui parce que le gaspillage s’est accru et que plusieurs années se sont écoulées sans que nous pensions à l’avenir.» Curieusement, le même discours pourrait nous être servi à la télévision de Radio-Canada, trente ans plus tard!

1973 : Désolé, plus d’essence, une exposition incontournable qui est présentée au CCA du 7 novembre 2007 au 20 avril 2008.

Pour de plus amples informations : Tél. : 514 939-7000; Internet : [www.cca.qc.ca]