Des hauts dirigeants chinois accusés de génocide convoqués par un juge espagnol

Écrit par Charlotte Cuthbertson, La Grande Époque
25.11.2009
  • L'avocat, Me Carlos Iglesias et le dissident chinois Wei Jingsheng sont en compagnie des pratiquants de Falun Gong victimes de persécution, Lu Shiping, Dai Ying et Li Jianhui (攝影: / )

MADRID – Après une enquête de deux ans, un juge espagnol a accepté les accusations de génocide et de torture déposées contre cinq hauts fonctionnaires du Parti communiste chinois (PCC) pour leur rôle dans la persécution de pratiquants de Falun Gong en Chine.

C'est la première fois qu'un tribunal considère la campagne de persécution contre le groupe comme cadrant légalement dans la définition de génocide. Si les accusés se trouvaient en Espagne, la cour pourrait les appeler à comparaître.

«Cette décision historique d'un juge espagnol signifie que les dirigeants du Parti communiste chinois responsables de crimes brutaux sont maintenant à un pas de plus d'être traduits en justice», a déclaré Carlos Iglesias, l'avocat des plaignants.

Entre 2003 et 2007, 15 victimes de la persécution ont déposé des plaintes criminelles contre chacun des cinq fonctionnaires, conformément à une loi espagnole qui permet aux individus ou à leurs avocats d'entamer des poursuites privées (acciones populares). Quatre plaintes ont été réunies dans une seule poursuite, dont les faits ont été examinés par un juge de la Cour nationale d'Espagne (Audiencia Nacional) depuis 2006; la cinquième plainte a été ajoutée plus tard.

Le 11 novembre, Me Carlos Iglesias a reçu une lettre de la Cour nationale indiquant que les accusations de génocide et de torture étaient acceptées.

Parmi les accusés, l'ex-dirigeant du PCC, Jiang Zemin. Jiang est en général considéré comme l'instigateur et le principal architecte derrière la campagne lancée en 1999 pour «éradiquer» le Falun Gong. Selon les statistiques du régime chinois à l'époque, environ 70 à 100 millions de personnes pratiquaient cette discipline qui allie des exercices énergétiques et des enseignements spirituels.

Pour mettre en œuvre la décision de Jiang Zemin d'anéantir le groupe, les médias d'État, l'appareil policier et le réseau de «camps de rééducation par le travail» ont été mobilisés.

Organisations de défense des droits de l'homme et médias ont documenté l'utilisation systématique de la torture pour les forcer à renoncer à leur croyance. Selon les sources du Falun Gong, plus de 3000 pratiquants ont été tués en détention depuis 1999.

«Les protagonistes du génocide et de la torture feront face à deux procès», explique Me Iglesias. «Le premier devant les tribunaux et le deuxième devant l'histoire, pour avoir commis la plus grande de toutes les atrocités : la persécution de millions de personnes dont l'intention est seulement d'améliorer leurs qualités morales et spirituelles et de cultiver des valeurs universelles.»

Faisant également face aux accusations de génocide et de torture dans le procès espagnol, Luo Gan, ancien chef du Bureau 610, une agence extrajudiciaire mise sur pied pour coordonner la campagne contre le Falun Gong. Des avocats chinois ont comparé le Bureau 610 à la Gestapo de l'Allemagne nazie par ses opérations, sa brutalité et son autorité extraordinaire.

Les trois autres accusés sont Bo Xilai, actuel secrétaire du Parti à Chongqing et ex-ministre du Commerce ayant visité Montréal en 2007, Jia Qinglin, le no 4 du Parti, et Wu Guanzheng, chef d'un comité interne disciplinaire du Parti. Les accusations contre ces derniers sont basées sur leur participation active à la campagne anti-Falun Gong pendant leur mandat comme responsables de Liaoning, Pékin et Shandong respectivement.

Selon la preuve présentée devant la cour, il a été rapporté que Jia Qinglin a prononcé des discours pressant les fonctionnaires subalternes de persécuter le Falun Gong. Il a félicité les forces de police pour leur «réussite» dans «le combat» contre la pratique spirituelle. En 2002, il a fait de cette campagne une des cinq priorités de Pékin.

Un article du Wall Street Journal écrit en 2000 par Ian Johnson, qui a gagné un Prix Pulitzer, documente comment les pénalités financières et les pressions politiques imposées par Wu Guanzheng sur ses subordonnés ont incité les autorités de la ville de Weifang à torturer – et parfois tuer – les résidants qui pratiquent le Falun Gong.

Les étapes suivantes

Selon Me Iglesias, chacun des cinq dirigeants recevra une lettre requérante du juge Ismael Moreno par voie diplomatique. La lettre inclura plus de 20 questions concernant l’implication de l’individu dans la persécution du Falun Gong et sera écrite en espagnol et en chinois. Un manquement à répondre aux questions inciterait le juge Moreno à émettre des mandats d’arrêt internationaux. Me Iglesias a fait savoir que les accusés auraient entre quatre et six semaines pour répondre.

Le juge Moreno a enquêté sur le cas durant deux ans, à la suite d’une décision de la Cour constitutionnelle (Tribunal Constitucional) en juin 2006 qui ordonnait aux cours espagnoles d’accepter la plainte en vertu d'une loi leur permettant d’exercer une juridiction universelle. Ce principe légal permet aux cours espagnoles d’entendre des causes de génocide et de crimes contre l’humanité peu importe où ils se sont produits et peu importe la nationalité de l'accusé.

Les preuves considérées par le juge au cours de son enquête incluent les témoignages écrits de quinze pratiquants de Falun Gong ainsi que sept témoignages oraux. Le juge s’est aussi basé sur des rapports d’Amnesty International, de Human Rights Watch, de Human Rights Law Foundation et du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies pour en arriver à sa décision, mentionne Me Iglesias.

«L'application de la juridiction universelle amène maintenant ce cas à un stade décisif et démontre que le système judiciaire espagnol défendra les victimes d’un génocide qui se produit en Chine au 21e siècle, et qu’il n’y aura pas d’impunité pour ces crimes», a relevé Me Iglesias. «Lorsque quelqu’un commet le crime de génocide ou de torture, c’est un crime contre la communauté internationale et pas seulement envers les citoyens chinois. L'Espagne émerge en tant que défenseur des droits de l’homme et de la justice universelle.»

La cause découle à la fois d’une tendance plus générale en Espagne et d’un effort plus grand des pratiquants de Falun Gong et de leurs avocats pour chercher à obtenir réparation à l’extérieur de la Chine. Les cours espagnoles ont lancé le mouvement de poursuite en justice des crimes internationaux dans les cours nationales lorsqu’un juge a émis une demande d'extradition pour le dictateur chilien, Augusto Pinochet, en 1998. Plus récemment, ils ont commencé des enquêtes sur des plaintes de génocide au Guatemala et au Tibet. Pendant ce temps, plus de 70 poursuites du Falun Gong ont été intentées dans au moins 30 pays.

Me Iglesias affirme que les plaignants pourraient demander que des mandats d’arrêt internationaux pour crimes soient immédiatement émis contre les accusés. «En Espagne, vous ne pouvez pas avoir un procès sans que les accusés soient présents», a-t-il fait savoir. Si les accusés ne voyagent pas en Espagne, le système judiciaire travaillera de pair avec d’autres pays ayant des traités légaux avec l’Espagne afin de les extrader s’ils s'y rendent.

«Nous devons être vigilants lorsqu’ils voyagent», a souligné Me Iglesias. «La justice et les avocats n’arrêteront pas – ils frappent à la porte des criminels.»

Zulema Núñez en Espagne a contribué à ce reportage.