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Pierre Estève, l’homme qui fait chanter l’univers minéral

Écrit par Suzi Loo, La Grande Époque - Nice
16.07.2009
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  • Xylophone en pierre construit par Pierre Estève.(攝影: / 大紀元)

Pierre Estève est un créateur de sons, un visionnaire de l’extrême. C’est l’homme qui fait chanter les minéraux. La pierre, le vent, l’herbe, le bambou, l’eau lui dévoilent leurs secrets enfouis depuis tant et tant de millénaires. Par une patience et une force qui le magnétisent, Pierre saura extraire leurs mélodies, la beauté de leur souffle et l’offrir à l’écoute des oreilles des humains. Un univers magique, un espace de silence intérieur, une aventure au-delà des siècles.

LGÉ: Pierre Estève, pouvez-vous expliquer votre parcours, cette affinité avec les éléments naturels et Rock Gong?

Pierre Estève: Rock Gong est une installation interactive autour du monde minéral avec divers types de lithophones, des cercles de pierres, un gong de lave et une sculpture sonore que j’appelle «la pierre magique». Il s’agit d’une pierre sur laquelle le spectateur joue et qui nous fait entendre diverses sonorités minérales que j’ai pu enregistrer dans des grottes sur des stalactites et des stalagmites, des gouttes d’eau ainsi que du corail, du silex, du calcaire, bref, tout un tas de roches. J’invite le spectateur à jouer sur mes instruments afin de partager la jubilation que l’on ressent en faisant sonner ces matières brutes et éternelles. Comme ces instruments ne sont pas marqués culturellement, les gens osent et s’autorisent à en jouer, libérant ainsi leur créativité. Aujourd’hui je fabrique mes instruments à partir d’une vingtaine de roches différentes. Un peu par la force des choses, je suis devenu mon propre luthier et cette intimité avec la matière sonore brute participe grandement au lent processus de maturation de mes compositions.

 

LGÉ: Ce sont des recherches qui demandent beaucoup de temps?

Pierre Estève: Oui, tout à fait. Je compose avec les pierres depuis une dizaine d’années et en parallèle je travaille sur d’autres matières et éléments. Dans mes collections de Cds sur les matières sonores MADe IN, où chaque album se consacre exclusivement à des compositions à base d’un matériau ou d’un élément musical donné, j’ai déjà sorti BAMBOU et MÉTAL. Actuellement, j’explore le monde minéral et sortirai en 2010 l’album Stone, troisième opus de MADe IN. Le quatrième sera AIR, à base de vents et d’harpes éoliennes pour lequel je construis maintenant des sculptures à base de cordes et de tubes qui changent au gré du vent. Entre-temps, fin 2009, sortira STALACTICA dans lequel j’explore l’incroyable richesse sonore des grottes en jouant sur les différentes concrétions (stalagmites, stalactites, draperies) ainsi que sur les acoustiques des salles, en particulier avec les voix, en solo et divers ensembles. Dans la grande salle de la grotte d’Isturitz où je travaille depuis quatre années, le chant diphonique sonne merveilleusement bien, porté par une réverbération de plus de sept secondes.

 

LGÉ: Avez-vous suivi une formation de musicien?

Pierre Estève: Oui. J’ai étudié la musique à partir de l’âge de cinq ans, grâce à des cours privés de piano. Aux conservatoires d’Avignon et de Montpellier, j’ai obtenu diverses médailles d’or en guitare classique, solfège, musique de chambre, harmonie, contrepoint, fugue et analyse musicale. J’ai étudié le chant ainsi que le basson et la contrebasse pour pratiquer la direction d’orchestre. En parallèle à ce cursus classique, j’ai rapidement joué dans divers groupes et formations, je me suis passionné pour l’informatique musicale dès la sortie des premiers ordinateurs. J’ai ensuite découvert la culture du monde et j’ai commencé à les étudier, d’abord en autodidacte puis à la Sorbonne en musicologie. J’ai ainsi commencé à prendre conscience de la diversité, de la richesse et de la beauté de toutes ces différentes musiques. A cette époque, j’ai aussi débuté une collection de milliers d’instruments issus des cinq continents, dont un gamelan javanais historique. C’est un ensemble instrumental composé essentiellement de percussions.

 

  • Pierre Estève lors d’une écoute du son du Gong en pierre du Jurassique.(攝影: / 大紀元)

LGÉ: Cette approche des matériaux bruts, c’était déjà dans vos projets?

Pierre Estève: Non, j’en suis venue par la logique. Comme je vous l’ai dit, je collectionne les instruments du monde entier. Petit à petit, j’ai appris à les accorder, puis à en fabriquer certains. Les gongs de bronze m’ont amené au métal, les flûtes amérindiennes ou indonésiennes au bambou et au roseau. J’ai découvert qu’il existait en Chine des instruments en pierre, qu’il est possible de créer de la musique avec du vent, de l’eau, de l’herbe, des coquillages, des déchets recyclés. J’ai donc approfondi cette voie «naturelle» et minimaliste et je me rends compte que tout est musique. Mon prochain chantier est de mélanger ces sonorités avec l’orchestre symphonique et un chœur. À partir de septembre, je vais travailler l’écoute avec une formation de musiciens et de chanteurs afin qu’ils puissent s’accorder sur mes pierres en dehors du tempérament égal auquel notre oreille occidentale est tellement habituée. Je composerai alors pour cet orchestre.

 

LGÉ: La recherche sur la pierre qui chante doit certainement mettre du temps?

Pierre Estève: Cela prend beaucoup de temps, oui. Mais ce temps, à l'image du temps géologique, est nécessaire. Au début je travaillais sur de tout petits formats de pierres que je ramassais à même le sol dans la nature. Petit à petit j’ai voulu explorer d’autres pierres, d’autres sonorités et maintenant j’ai des pierres qui peuvent mesurer jusqu’à trois mètres et peser plus d'une tonne, que je taille et façonne. J’arrive à la notion de sculpture sonore, c'est-à-dire des sculptures en pierre qui produisent des sons accordés, avec lesquels on peut jouer. De vrais instruments.

 

LGÉ: Trouvez-vous facilement les endroits pour ce genre de pierres?

Pierre Estève: En premier, je fais une recherche pour savoir quelles sont les pierres qui peuvent effectivement sonner. Ensuite, j’essaye d’identifier des carrières où des lieux afin que je puisse en trouver, en France ou bien à l’étranger. Je pars donc extraire la pierre avec les carriers. Parfois je rencontre des scientifiques qui sont des spécialistes pour la taille du silex de la préhistoire et ils me taillent directement des lames, car il faut absolument connaître le savoir-faire. J’ai fait une belle rencontre aussi avec le CNRS, rapport déjà plus professionnel pour effectuer des publications scientifiques sur la préhistoire et la musique, des spécialistes en haute technologie pour travailler sur des logiciels afin de modéliser le son de la pierre. C’est vraiment un champ très vaste où l’on peut rencontrer des gens différents.

 

LGÉ: Vous n’avez donc pas le droit à l’erreur quand vous taillez?

Pierre Estève: On a l’impression que la pierre est solide, mais en fait elle est très fragile et solide à la fois. Il faut procéder avec doigté et avoir une grande écoute pour pouvoir jouer de ces instruments.

 

LGÉ: Quand vous vous déplacez, cela demande des véhicules conséquents?

Pierre Estève: Sur l’installation de mes prestations, il y a à peu près une à deux tonnes d’instruments. C’est tout nouveau pour moi, j’ai l’habitude de voyager léger en tant que compositeur, alors que là j’utilise des transpalettes, des outils de déménageurs, un camion.

 

LGÉ: Comment considérez-vous vos instruments?

Pierre Estève: Ce sont des instruments sophistiqués, et oui! En termes de timbres, c’est plus sophistiqué qu’un violon par exemple. Dans notre culture le violon passe pour un instrument très sophistiqué alors qu’avec la pierre on peut obtenir une variété de timbres bien plus grande avec plus de possibilités d’expression. Ce n’est pas un instrument primitif dans le sens où c’est un instrument «barbare» qui offrirait peu de possibilités, bien au contraire, ce sont des champs énormes d’investigations.

 

LGÉ: Comment accordez-vous vos instruments?

Pierre Estève: Tout simplement à l’oreille.

 

  • Les enfants sont aussi particulièrement attirés par ces sons de pierres venant du millénaire.(攝影: / 大紀元)

LGÉ: Nous donnerez-vous une astuce pour reconnaître les bonnes pierres?

Pierre Estève: Je choisis les pierres qui vont sur les pierres maîtresses, c'est-à-dire celles qui vont donner les sonorités de base, «les chefs» on va dire. Je les reconnais à la vue. Elles sont belles, donc elles vont bien sonner. Je prends leur sonorité comme base principale, «la tonique», note fondamentale de la gamme. À partir de là, je vais chercher les pierres qui vont se marier avec cette tonique. S’il le faut, je les retaille, autrement j’essaie de les ramasser naturelles, celles qui ont des formes particulières. Ce sont des pierres qui datent toutes d’avant J.-C., qui proviennent des marécages jurassiques dans lesquelles ont trouve des fossiles, des traces de dinosaures, des empreintes de gouttes d’eau préhistoriques, des craquelures. Je commence à avoir un système avec un ordinateur où j’enregistre chaque pierre séparément pour savoir lesquelles je vais marier entre elles. Une fois que j’obtiens celles que je veux, je vais les chercher. Je mélange les nouvelles technologies avec des choses du premier et cela fonctionne parfaitement, aucune opposition entre les deux. Surtout pas de regards passéistes sur la pierre.

 

LGÉ: Avez-vous des concerts prévus?

Pierre Estève: Je suis justement en train de monter un répertoire avec des musiciens. Je vais principalement jouer avec une formation de cinq à six musiciens. L’idée est de travailler avec des chorales et des orchestres d’un lieu donné et de monter des pièces ensemble. Nous, nous aurons le répertoire que l’on maîtrisera dans son intégralité, on fera intervenir les chorales et des orchestres sur une partie du concert.

 

LGÉ: Et au-delà de cette démarche?

Pierre Estève: Au-delà de l’aspect musical qui reste premier dans la démarche artistique, j’aime travailler sur deux aspects, l’aspect relationnel et la démarche environnementale.

 

Au sujet de l’aspect relationnel, on remarque dans cette société, qu’alors qu’il y a peu de dialogue entre les gens, que les clivages sont nombreux. Par exemple une installation comme la mienne, lorsqu’elle est présentée dans un lieu qui n’est pas toujours idéal – car je pense qu’elle se trouverait bien mieux dans un endroit sacré ou dans la nature – donne la possibilité de faire découvrir un des ces endroits particuliers à ceux qui ne feraient pas habituellement cette démarche. Je trouve cela très intéressant pour les gens qui sont parfois amusicaux et qui n’écoutent que la radio. Ils sont quand même touchés par les instruments et par la musique avec la matière. Cela permet de jouer ensemble et d’installer le dialogue, c’est dans ce sens que je veux aller. Le but est de faire de la bonne musique.

 

Quant à la démarche environnementale, j’utilise des choses naturelles que je ramasse et à travers cela je découvre les vraies valeurs. J’évite le gaspillage. Je crée de la musique recyclée avec des bouteilles. Cela permet de sensibiliser les gens à des valeurs écologiques, mais sans être «donneur de leçon», juste passeur d’idées.

 

Une palette de vie sonore bien remplie

Pierre Estève a été le premier en France à réaliser des librairies sonores pour sampler sur CD-Rom. Après une signature chez WEA en tant qu’artiste, il devient un compositeur très prisé par le multimédia particulièrement dans les musiques de jeux vidéo d’aventure. Il composera également de multiples musiques ethniques pour des documentaires (plus de 50 films), des bandes sons de jeux vidéo, des longs métrages ainsi que pour des publicités. Chercheur et pédagogue, il est aussi directeur de collection à l’IRCAM et responsable du département son de l’Institut du Multimédia. Il s’occupe aussi de recherche sur la composition de la musique en Intelligence Artificielle et développe des applications sonores interactives comme pour le Carrousel du Louvre «Café Show».

Pour en savoir plus:

www.shooting-star.com

www.pierreesteve.com/esteveplayer.html

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