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Au Pakistan, le delta de l’Indus se vide, dévoré par le sel

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Le 25 juin 2025, Habibullah Khatti, un habitant de la région, prie sur la tombe de sa mère avant d'abandonner le village d'Abdullah Mirbahar dans la ville de Kharo Chan, dans le delta de l'Indus, au sud du Pakistan.

Photo: ASIF HASSAN/AFP via Getty Images

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Durée de lecture: 9 Min.

Une dernière fois, Habibullah Khatti visite la tombe de sa mère. Avant de quitter son village d’un pas lourd qui fait craquer la croûte de sel recouvrant désormais un lieu jadis fertile : le delta de l’Indus au Pakistan.
A une quinzaine de kilomètres de son îlot d’Abdullah Mirbahar, le fleuve mythique de l’Asie du Sud se jette dans la mer d’Oman. Avant, ici, on pêchait et on cultivait à foison.

Le 25 juin 2025, Habibullah Khatti, un habitant de la région, marche sur les croûtes de sel déposées dans le village d’Abdullah Mirbahar, dans la ville de Kharo Chan, dans le delta de l’Indus, au sud du Pakistan. (ASIF HASSAN/AFP via Getty Images)

Mais aujourd’hui, ce lacis de cours d’eau naturels qui sillonne les paysages indo-pakistanais sur plus de 3.000 kilomètres se tarit entre érosion côtière et salinisation.
La pêche faisait vivre les 150 foyers du village
« L’eau salée nous encercle désormais de tous les côtés », se lamente M. Khatti, ancien pêcheur forcé de se reconvertir dans la couture.

Des bateaux de pêche sont attachés à une plage dans un village de pêcheurs près de Keti Bandar dans la province pakistanaise de Sindh, le 16 juin 2023, après l’arrivée du cyclone Biparjoy. (RIZWAN TABASSUM/AFP via Getty Images)

A 54 ans, il a connu l’époque où la pêche faisait vivre les 150 foyers du village. Mais depuis les années 1950, tout a changé dans le delta.
Débit de l’eau réduit de 80%, salinité  augmentée de 70%
En amont, barrages, systèmes d’irrigation et effets du changement climatique ont réduit le débit d’eau de 80%, rapportait en 2018 le US-Pakistan Center for Advanced Studies in Water.
Donc en aval, la mer et surtout son sel a pu de plus en plus facilement s’infiltrer. Depuis 1990, la salinité de l’eau de l’Indus a augmenté de plus 70%, rendant les terres stériles et attaquant la biodiversité, notamment les populations de crevettes et de crabes.
« Le soir, le silence est oppressant »
Aujourd’hui, seules quatre familles sont encore là. Et celle de M. Khatti s’apprête à s’installer à Karachi, la capitale économique à 150 km de là.
« C’est terrifiant. Le soir, le silence est oppressant », raconte M. Khatti au milieu des chiens errants qui hantent les cabanes traditionnelles en bambou à l’abandon.
Le départ de plus de 1,2 million d’habitants
En 20 ans, plus de 1,2 million d’habitants ont dû se résoudre à quitter le delta de l’Indus, selon le Jinnah Institute, think-tank d’une ex-ministre du Changement climatique d’Islamabad.
« Le delta est à la fois en train de s’enfoncer et de s’assécher », prévient Muhammad Ali Anjum, du Fonds mondial pour la nature (WWF).

Le 25 juin 2025, Muhammad Ali Anjum, un écologiste local du WWF, lors d’une interview avec l’AFP dans la ville de Keti Bandar du district de Thatta, près du delta de l’Indus, dans le sud du Pakistan. (ASIF HASSAN/AFP via Getty Images)

Déjà une quarantaine de hameaux du district de Kharo Chan ont sombré –la population y a fondu de 26.000 à 11.000 habitants entre 1981 et 2023.
Plus de 16% des terres fertiles devenues stériles en 2019
L’Indus prend sa source au Tibet, traverse le Cachemire, puis tout le Pakistan, irriguant avec ses affluents environ 80% des terres agricoles du pays. Son delta, formé par les riches sédiments déposés par le fleuve à son embouchure, regorgeait avant de mangroves.
Mais plus de 16% des terres fertiles sont devenues stériles lorsque l’eau de mer a commencé à se déverser dans le fleuve, rapportait le gouvernement en 2019.
L’eau potable par bateau puis à dos d’âne
Pire encore, dans la ville de Keti Bandar, pourtant au cœur du delta, l’eau potable doit être transportée par bateau puis à dos d’âne sur des kilomètres alors qu’une couche blanche de cristaux de sel recouvre désormais le sol.

Le 25 juin 2025, Haji Karam Jat (à dr.), un pêcheur, et les membres de sa famille marchent le long d’une digue dans la ville de Keti Bandar, dans le district de Thatta, près du delta de l’Indus, dans le sud du Pakistan. (ASIF HASSAN/AFP via Getty Images)

« Qui abandonne volontairement sa terre natale? Il faut vraiment être au pied du mur », lance Haji Karam Jat qui a dû reconstruire une maison en bois à l’intérieur des terres après que la sienne a été engloutie par la montée des eaux.

Le 25 juin 2025, Haji Karam Jat (à g.), un pêcheur, utilise des bâtons de bambou pour construire sa nouvelle maison dans la ville de Keti Bandar, dans le district de Thatta, près du delta de l’Indus, dans le sud du Pakistan. (ASIF HASSAN/AFP via Getty Images)

« Nous avons perdu notre culture »
Selon le Pakistan Fisherfolk Forum, qui défend les communautés de pêcheurs, des dizaines de milliers de Pakistanais ont déjà quitté les zones côtières à cause de la salinisation du delta.
« Nous n’avons pas seulement perdu nos terres, nous avons perdu notre culture », regrette l’une de ses membres, la militante Fatima Majeed, dont le grand-père a émigré de Kharo Chan vers la banlieue de Karachi.

Le 27 juin 2025, Fatima Majeed (à dr.), militante pour le climat, s’entretient avec des pêcheurs dans la ville d’Ibrahim Hyderi, à Karachi, au Pakistan. (ASIF HASSAN/AFP via Getty Images)

La restauration des mangroves
Le gouvernement provincial du Sindh a lancé un projet de restauration des mangroves, une barrière naturelle contre l’eau salée qui remonte, mais peine à endiguer constructions anarchiques et accaparement des terres.

Le 26 juin 2025, des mangroves nouvellement plantées dans la ville de Keti Bandar, dans le district de Thatta, près du delta de l’Indus, dans le sud du Pakistan. (ASIF HASSAN/AFP via Getty Images)

Les colons britanniques ont été les premiers à modifier le cours de l’Indus en construisant canaux et barrages, suivis ces dernières années par des dizaines de projets hydroélectriques.
La guerre de l’eau fait rage
De nouvelles menaces sont sorties des eaux cette année : l’armée a voulu creuser des canaux d’irrigation dans le Pendjab en amont, avant de reculer face à des manifestations d’agriculteurs du Sindh, là où le fleuve et la mer se rencontrent. Un épisode qui a une nouvelle fois mis en lumière la compétition entre provinces pour l’eau.

Le 28 mai 2024, des agriculteurs trient des mangues destinées à l’exportation, à Tando Ghulam Ali, dans la province pakistanaise de Sindh. (ASIF HASSAN/AFP via Getty Images)

Et fin avril, l’Inde a annoncé révoquer unilatéralement le traité de 1960 qui régit le partage des eaux de l’Indus entre les deux voisins ennemis.
Plus que jamais, dans le delta, la guerre de l’eau fait rage.