Dans le sud de l’Irak, les jeunes innovent pour assurer leur gagne-pain

Par afp
18 juin 2018 10:27 Mis à jour: 1 avril 2021 18:53

L’un a transformé une voiture en café ambulant, l’autre un couloir en librairie et un troisième crée des sculptures avec des déchets métalliques: dans le sud pétrolier de l’Irak, les jeunes innovent pour assurer leur gagne-pain. Rien à voir avec l’époque de leurs parents sous le régime baasiste de Saddam Hussein, où les diplômés de l’université étaient embauchés quasi-automatiquement dans le secteur public tandis que le privé était quasi-inexistant.

Durant les dix années qui ont suivi l’invasion américaine et la chute en 2003 du dictateur, les nouvelles autorités ont continué à multiplier les postes de fonctionnaires par clientélisme. Mais, aujourd’hui, tout cela est terminé. Le secteur public ne recrute quasiment plus et le privé n’a pas pris le relais en matière d’embauche.

Il y a trois ans, diplôme de commerce en poche, Karrar Alaa, 26 ans, était convaincu qu’il obtiendrait un emploi de fonctionnaire dans sa ville côtière de Bassora (sud).  Fatigué d’attendre, il a finalement rassemblé toutes ses économies et emprunté à des proches. Avec 20.000 dollars, il a acheté une voiture pour la transformer en café ambulant.

« C’est une première à Bassora, j’ai découvert l’idée grâce à une vidéo tournée en Europe et diffusée sur Facebook », raconte-t-il à l’AFP, devant son véhicule surmonté d’une tasse géante en plastique. En distribuant ses gobelets en carton autour de la machine à café installée dans son coffre ouvert, il assure engranger « chaque jour 150.000 dinars », soit environ 120 dollars.

C’est à peine moins que ce que Machreq Jabbar gagne dans sa petite librairie, installée dans un couloir du centre commercial à la mode à Bassora.  « Louer un magasin ici coûte 6.000 dollars par mois, alors que je ne paye que 2.500 dollars pour mon couloir », affirme à l’AFP ce jeune homme frêle de 26 ans, en réalignant livres scolaires, romans d’amour et recueils de poésie.

Diplômé de géologie, il a lui aussi espéré pendant des années décrocher un emploi de fonctionnaire. Il était sûr que sa spécialité ferait de lui une pépite recherchée pour les nombreuses compagnies pétrolières des environs.  Mais en Irak, si le secteur des hydrocarbures assure 89% des ressources budgétaires et même 99% des exportations, il ne représente que 1% des emplois, ses entreprises recourant généralement à la main-d’œuvre étrangère.

Officiellement, 10,8% des Irakiens sont sans emploi. Dans un pays où 60% de la population a moins de 24 ans, le chômage est deux fois plus élevé parmi les jeunes.  Et avec l’explosion des universités privées, Bagdad à elle seule en compte une trentaine, le taux est encore plus grand chez les diplômés. De la capitale jusqu’à l’ouest désertique, en passant par Mossoul dans le nord ou par l’est agricole, il n’est pas rare de croiser des ingénieurs reconvertis en chauffeurs de taxi ou des diplômés de littérature préparant des sandwiches sur un stand ambulant.

Car, à travers le pays, ils sont nombreux à attendre des années un hypothétique emploi dans le secteur public, obligés de rester chez leurs parents sans perspective de fonder une famille dans un avenir proche.  Et très peu se tournent vers le secteur privé, quasiment inexistant avant l’invasion de 2003.  « L’état d’esprit le plus répandu est qu’il n’y a pas d’autre choix que de travailler dans le public », décrypte Ahmed Abdel Hassan, professeur d’économie à l’Université de Bassora.

« Même les jeunes qui vont travailler dans le privé se disent que c’est momentané avant d’obtenir une affectation dans le public », affirme ce spécialiste à l’AFP. « Comme fonctionnaire, on a un salaire garanti tous les mois », plaide Machreq Jabbar. « Et la sécurité sociale et la retraite », renchérit Karrar Alaa.  L’Irak offrait avant l’embargo international des années 1990 un système de santé et d’éducation de qualité et gratuit, aujourd’hui en lambeaux.

Omar Abdallah, à la fin de ses études aux Beaux-Arts, se voyait professeur d’arts plastiques.  Mais à 28 ans, sans nouvelle de l’administration qu’il a souvent relancée, il a décidé de trouver un autre moyen de gagner sa vie, sans capital de départ. « Je ne pouvais compter que sur moi-même et mon talent », assure-t-il à l’AFP installé dans une pièce de la maison familiale qui lui sert à la fois d’atelier de sculpture, de salle de soudure et d’espace d’exposition.

Les bons mois, il réussit à vendre une demi-douzaine de ses sculptures: des motos faites de boulons, des libellules en couverts de table, des scorpions réalisés avec des chaînes de vélos, qu’il propose entre 200 et 250 dollars. « Les gens aiment mes sculptures. Ils me disent: comment est-ce que tu as pu faire quelque chose d’aussi beau avec des déchets? », rapporte-t-il fièrement.

DC avec AFP

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