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En Turquie, douleur et colère des enfants ouïghours privés de parents par la Chine

décembre 31, 2019 11:38, Last Updated: décembre 31, 2019 11:49
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Dans une école de la périphérie d’Istanbul, des enfants de Ouïghours qui ont fui la Chine ont la rare opportunité d’étudier leur langue et leur culture. Mais parmi eux beaucoup ont un père ou une mère enfermé dans un camp là-bas.

La Turquie est une terre de refuge pour les Ouïghours qui ont fui les persécutions de l’Etat chinois dans le Xinjiang, région du nord-ouest du pays où vit la minorité musulmane. Quelque 50.000 essayent d’y refaire leur vie. Mais parfois ils prennent le risque de retourner en Chine pour voir leur famille ou pour les affaires et certains n’en reviennent pas.

Sur la centaine d’élèves de l’école, un quart ont un de leurs parents enfermé dans des camps, présentés par Pékin comme des centres de « rééducation », et sept ont perdu père et mère, selon le directeur Habibullah Kuseni.

Fatima, une petite fille ouïghoure de neuf ans, n’a que des bribes de souvenirs de son pays natal. Et de son père détenu là-bas.

-Fatima, une scolaire ouïghoure de neuf ans, s’entretient lors d’une interview dans une école du district de Silivri à Istanbul le 29 novembre 2019. Des enfants ouïghours suivent des cours avant et après leur école ordinaire, pour garder leur culture et leur langue vivantes. Il y a 107 enfants ici 33 ont perdu un parent dans les camps, sept ont perdu les deux. Photo par Ozan KOSE / AFP via Getty Images.

Plus petite, elle avait l’habitude de regarder la télévision avec lui.

Elle se souvient qu’elle insistait toujours pour regarder des dessins animés. Mais lui préférait suivre les informations, notamment concernant le président turc Recep Tayyip Erdogan, l’un des rares leaders du monde musulman à avoir pris position en faveur de la cause ouïghoure, au risque de s’attirer les foudres de Pékin.

Depuis leur déménagement en Turquie, il arrivait au père de Fatima de rentrer en Chine pour le travail. « Et puis un jour, il a disparu », poursuit-elle, les yeux embués. « Je pensais qu’il reviendrait, mais il n’est jamais revenu. »

Le nombre de détenus  « bien supérieur » au million évoqué

Personne n’a plus de nouvelle de cet homme depuis maintenant trois ans.

Selon des activistes ouïghours en exil, le nombre de détenus de cette minorité ethnique serait « bien supérieur » au million généralement évoqué dans les médias, répartis dans près de 500 camps dont l’existence est documentée.

Lorsque les premiers indices ont commencé à fuiter, en 2017, Pékin a d’abord nié en bloc l’existence de ces camps, avant d’évoquer des « centres de formation professionnelle » pour « lutter contre l’extrémisme » basés sur le « volontariat ».

-Des enfants ouïghours assistent à une leçon de langue religieuse dans une école du district de Silivri à Istanbul le 29 novembre 2019. Photo par Ozan KOSE / AFP via Getty Images.

Éradiquer la culture et la religion des Ouïghours et d’autres minorités

Pourtant, des documents chinois révélés récemment par des médias internationaux montrent que ces établissements sont gérés comme des prisons, dont le but serait d’éradiquer la culture et la religion des Ouïghours et d’autres minorités, principalement musulmanes.

Depuis juillet 2017 Tursunay, une jeune fille de 15 ans, est sans nouvelles de ses parents qui ont tenté une visite en Chine.

Après la confiscation de leur passeport par Pékin, ils s’étaient voulus rassurants : « Ne t’inquiète pas pour nous », avaient-ils insisté au téléphone. Puis, silence.

Tursunay a elle aussi quelques souvenirs de sa vie là-bas. Elle se rappelle quand elle a demandé à son père pourquoi des caméras avaient été installées à l’entrée de leur appartement. « Parce que nous sommes musulmans », lui avait-il répondu, peu de temps avant de mettre le feu à toute sa collection de CDs religieux.

Un vieil ami de la famille rencontré en exil veille sur elle

Maintenant, Tursunay n’a plus qu’un vieil ami de la famille rencontré en exil pour veiller sur elle et sa petite sœur.

La jeune ouïghoure souffre de l’absence de ses parents à tel point qu’elle doit résister à l’idée de leur en vouloir d’avoir disparu ainsi.

« J’essaie de rester optimiste et de me rappeler que ce n’est pas eux qui sont responsables de ça », explique-t-elle à l’AFP.

De nombreux enfants dans la région du Xinjiang vivraient sans parents, que ces derniers soient en exil ou internés dans les camps, selon Human Right Watch.

Selon l’ONG, les autorités chinoises ont placé un grand nombre de ces enfants dans des centres administrés par l’Etat, sans consentement des proches ni possibilité de visite.

De nombreux Turcs disent ressentir un lien historique avec les Ouïghours, parce qu’ils sont musulmans et parlent une langue de la famille turcique.

-Les enfants ouïghours prient après les cours le 29 novembre 2019 dans le quartier Silivri à Istanbul. Photo par Ozan KOSE / AFP via Getty Images.

« Les pleurs de nos frères du Turkestan oriental ne sont-ils pas parvenus jusqu’à vous ? », s’écrie Musa Bayoglu lors de l’une récente manifestation pro-Ouïghours devant le consulat chinois à Istanbul, désignant la région du Xinjiang par le terme utilisé par les séparatistes ouïghours.

Au début de l’année 2019, le ministère turc des Affaires étrangères a qualifié la répression chinoise menée contre l’ethnie musulmane de « honte de l’humanité » mais la Turquie depuis évite le sujet.

Céder aux pressions économiques de la Chine

Beaucoup craignent que le président turc n’ait cédé à des pressions économiques de la Chine, même si les Ouïghours en Turquie lui sont reconnaissants.

« (Les Turcs) permettent à 50.000 Ouïghours de vivre en paix », rappelle un militant ouïghour rencontré à Istanbul. « Aucun autre pays, ni musulman ni occidental ne peut en dire autant. »

-Un enfant ouïghour musulman scande des slogans alors qu’il tient un drapeau du Turkestan oriental le 13 décembre 2019 lors d’une manifestation devant le consulat chinois à Istanbul. Photo par Ozan KOSE / AFP via Getty Images.

A l’école ouïghoure d’Istanbul, les récits sur les exactions chinoises ont fini par fatiguer certains enfants.

Rufine, 12 ans, explique se sentir mal à l’aise dès que le sujet est abordé. « Ça m’angoisse, ça me fait mal au ventre », dit la fillette. Sa mère s’est volatilisée il y a trois ans, alors qu’elle rendait visite à la grand-mère malade de Rufine.

Le directeur de l’école, Habibullah Kuseni, ne peut s’empêcher de rire quand on lui demande quel genre d’objets présents dans la classe seraient susceptibles d’être interdits en Chine.

« Le simple fait d’aller en vacances dans un pays musulman comme la Turquie suffit à vous envoyer dans un camp », assure-t-il.

« Alors, ce genre de choses… », dit-il en désignant le drapeau ouïghour accroché au mur, accompagné d’inscriptions en caractères arabes. Il mime un égorgement.

Une « politique d’extermination » à l’encontre des Ouïghours

Selon Mahmut Utfi, un professeur de 39 ans, il y a une « politique d’extermination » à l’encontre de son peuple.

« Nous risquons l’extinction », dit-il. « Notre culture, notre langue… Pour moi, c’est un devoir de les protéger. »

Quant à Fatima, la répression a fait grandir en elle un sentiment de défiance.

« Attendez encore un peu. Vous croyez qu’on est faibles mais vous allez voir. Notre nation, notre patrie survivra, vous ne pourrez pas l’arrêter », lance-t-elle à l’attention des autorités chinoises, comme une promesse.

 

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