La guerre en Syrie, une « apocalypse culturelle » pour les joyaux du patrimoine

Par afp
9 mars 2021 12:20 Mis à jour: 2 avril 2021 12:49

Une décennie de guerre en Syrie a détruit le présent et assombri l’avenir d’une population plongée dans la misère. Mais le conflit a aussi ravagé les reliques d’un passé légendaire, parfois perdues à tout jamais.

Terre de civilisations pluri- millénaires, des Cananéens aux Omeyyades, en passant par les Grecs, les Romains, les Byzantins, la Syrie regorge de trésors archéologiques qui en font un des joyaux du patrimoine mondial.

Sur le plan humanitaire, le conflit déclenché en 2011 aura eu un impact catastrophique. Mais les dommages infligés au patrimoine sont aussi parmi les plus graves jamais perpétrés depuis plusieurs générations.

Des sites archéologiques bombardés, des musées pillés

Dans le musée de Palmyre qu’il a dirigé pendant 20 ans, Khalil al- Hariri ne peut retenir l’émotion qui le submerge en évoquant les traumatismes de ces dernières années.

En mai 2015, les jihadistes du groupe Etat islamique (EI) sont en passe de conquérir la « perle du désert », dans le centre de la Syrie. Lui et son équipe resteront jusqu’aux derniers instants pour évacuer le plus d’artefacts possibles, les sauvant d’une disparition certaine.

La dernière fourgonnette quittera le musée dix minutes seulement avant l’arrivée de l’EI, qui transformera le bâtiment en tribunal et prison.

« Mais le jour le plus difficile, c’est quand je suis revenu à Palmyre et que j’ai vu les antiquités détruites et le musée en ruines », confie le sexagénaire.

« En voyant l’état du musée, je me suis écroulé à sa porte », lâche-t-il.

« Ils ont détruit et pulvérisé les visages de toutes les statues qui sont restées et que nous n’avions pas pu sauver. Certaines peuvent être restaurées, mais d’autres sont en miettes ».

Célèbre pour ses temples gréco-romains vieux de plus de 2.000 ans, Palmyre a connu son apogée au IIIe siècle sous le règne de la reine Zénobie qui défia l’empire romain.

Classée au patrimoine mondial de l’Unesco, la « Venise du désert » était renommée pour son avenue de 1.100 mètres flanquées d’imposantes colonnades.

Atteindre des sommets dans l’horreur

Quand les jihadistes sont arrivés, poursuivant leur expansion territoriale en Syrie et en Irak un an après avoir proclamé leur « califat », l’indignation est mondiale.

Les vestiges d’une civilisation antique raffinée et cosmopolite deviennent le théâtre où va s’exprimer la barbarie de combattants sanguinaires, cherchant à atteindre de nouveaux sommets dans l’horreur.

Les ruines accueilleront les exécutions publiques mises en scène et filmées par l’organisation pour assurer sa propagande sur Internet. Le corps décapité du célèbre archéologue Khaled al- Assaad sera exhibé pendant trois jours, après avoir été torturé par l’EI qui voulait lui faire avouer où avaient été transférés les artéfacts du musée.

Génocide culturel

Le secteur sera finalement reconquis en 2017 par les forces gouvernementales et leur allié russe. Mais engagés jusqu’au bout dans leur génocide culturel, les jihadistes auront détruit à coup d’explosifs les temples de Bêl et Baalshamin, réduisant en poussière l’Arc de triomphe.

Des scènes qui ne sont pas sans rappeler les destructions des Bouddhas de Bamiyan par les Talibans afghans en 2001.

Revendant au marché noir les pièces du musées qui pouvaient être transportées, les combattants de l’EI ont pulvérisé les objets trop gros pour être déplacés.

-Le restaurateur italien Antonio Iaccarino devant les deux reliefs funéraires du site archéologique de Palmyre qui seront restaurés à l’Institut supérieur de conservation et de restauration à Rome, le 16 février 2017. Photo Alberto Pizzoli / AFP via Getty Images.

Palmyre représente une des pertes les plus inestimables qu’a connu le patrimoine syrien. Mais le conflit n’a épargné aucune région.

« Environ 10% des antiquités en Syrie ont été endommagées », indique l’ancien patron des Antiquités Maamoun Abdel Karim, lors d’un entretien avec l’AFP à Damas.

« Tout au long des deux millénaires passés de l’histoire syrienne, il n’y a rien eu de pire que ce qui s’est passé durant la guerre », confie-t-il, évoquant « des destructions totales et globales ».

Destructions sur l’ensemble de la Syrie

« Ce n’est pas un tremblement de terre ou un incendie, dans cette région ou dans une autre, ou même une guerre dans une ville particulière. Les destructions concernent l’ensemble de la Syrie », déplore l’ancien responsable de 54 ans.

Le pays peut se targuer d’avoir six sites au patrimoine mondial de l’Unesco. En 2013, tous ont été inscrits sur la liste du patrimoine en danger.

« En deux mots, c’est une apocalypse culturelle », confirme l’historien Justin Marozzi, auteur de « Empires islamiques: 15 cités qui ont défini une civilisation ».

-Une photo d’archive le 23 avril 2012, montre le souk médiéval de la vieille ville d’Alep, l’ancien marché, reconnu par l’UNESCO comme site du patrimoine mondial qui a été gravement endommagé. Photo / STR / AFP via Getty Images.

Pour lui, les destructions de la guerre ne sont pas sans rappeler une époque plus ancienne, celle des envahisseurs Mongols venus étendre au Moyen-Orient l’empire de Genghis Khan.

« Je ne peux m’empêcher de penser immédiatement à Timour (aussi connu sous le nom de Tamerlan), qui a semé l’enfer ici en 1.400 », poursuit M. Marozzi.

La référence aux conquérants Mongols est inévitable quand on pense à Alep, ancien poumon économique du nord de la Syrie. Sa vieille ville est une des plus anciennes et mieux préservées au monde.

Il y a six siècles, Tamerlan attaquait la métropole. Mais ce n’est pas un envahisseur étranger qui est responsable des dévastations de la décennie écoulée.

Dominée successivement par les Grecs, les Romains, les Omeyyades ou encore les Mamelouks, la ville est célèbre pour ses souks animés, son marché couvert, sa Grande Mosquée des Omeyyades reconstruite au XIIe siècle, ses madrasas, palais et bains publics.

« Je ne peux pas oublier le jour où le minaret de la mosquée des Omeyyades à Alep est tombé, ou le jour où le feu a dévoré les vieux souks », se souvient M. Abdel Karim.

-Une ruelle dévastée du vieux marché d’Alep, dans la ville du nord de la Syrie, classée au patrimoine mondial de l’UNESCO, le 27 février 2014. Photo Zein Al-Rifai / AFP via Getty Images.

Dans sa reconquête d’Alep, le gouvernement syrien a pu compter sur le soutien de l’aviation russe alliée. Le siège brutal imposé aux quartiers rebelles, entre 2012 et 2016, défigurera la cité. La veille ville, une des lignes de front les plus féroces, sera dévastée.

Mais la guerre en Syrie, c’est aussi plus de 40.000 artéfacts pillés des musées et des sites archéologiques, selon un rapport publié en 2020 par la Fondation Gerda Henkel et la Société syrienne pour la protection des Antiquités, basée à Paris.

Le trafic a généré des millions de dollars en revenus: pour l’EI mais aussi d’autres groupes armés, des forces pro régime, alimentant également des réseaux de contrebande dominés par des nouveaux seigneurs de guerre.

La Syrie un paradis archéologique

Sur ses territoires, l’EI avait même son propre département administrant les fouilles archéologiques, preuve s’il en faut que les bénéfices à tirer du business, même s’ils n’ont jamais été précisément évalués, étaient suffisamment conséquents.

Au paroxysme des violences, l’anarchie généralisée permettait aux objets les plus facilement transportables — d’antiques pièces de monnaie, des statuettes, des fragments de mosaïques — de voyager partout pour être revendues au marché noir des antiquités.

Si des efforts internationaux ont été lancés pour enrayer le trafic, et même dans certains cas rapatrier des pièces subtilisées en Syrie et en Irak, les pertes sont énormes.

Les conséquences économiques sont aussi graves pour l’avenir de la Syrie. Avant la guerre, les richesses du patrimoine commençaient à peine à attirer davantage de touristes, même si le potentiel n’a jamais été exploité à sa juste valeur.

L’actuel patron des Antiquités, Mohamed Nazir Awad, regrette l’époque où la Syrie, véritable « paradis » archéologique, attirait des missions étrangères.

-Une vue générale de la forteresse médiévale des Croisés « Krak des Chevaliers », le 20 octobre 2020. Photo Louai Beshara / AFP via Getty Images.

Aujourd’hui, seuls les archéologues de la mission hongroise, engagée en Syrie depuis les années 2000, continuent de venir dans le pays « de temps à autres ».

C’est notamment cette mission qui a aidé à la restauration du Krak des chevaliers, imposante forteresse médiévale érigée par les croisés au XIIe siècle.

Devenue une position stratégique que se disputaient le régime et les rebelles, le site dans la province centrale de Homs a finalement été reconquis en 2014 par l’armée.

 Palmyre blessure pour toute l’humanité

Outre Palmyre et Alep, les veilles villes de Damas et de Bosra ont connu des destructions. Tout comme les villages antiques du nord de Syrie, surnommés les « villes mortes ». Ou encore l’ancienne cité romaine d’Apamée, sur les bords de l’Oronte, où l’EI a mené des fouilles clandestines.

A l’apogée de sa gloire, Palmyre était le symbole d’une civilisation cosmopolite et plurielle, carrefour commercial sur l’historique route de la soie, un foyer culturel majeur du monde antique.

Son architecture témoignait de fusions et mélanges entre les techniques gréco-romaines et les traditions locales et les influences de la Perse.

-Des journalistes sur le site de l’amphithéâtre romain endommagé de l’ancienne ville de Palmyre, le 4 mars 2017. Photo Louai Beshara / AFP via Getty Images.

Ce que la guerre a détruit à Palmyre, et par extension dans toute la Syrie, illustrait un riche passé multiculturel, un certain idéal de civilisation.

« Nous devrions tous nous soucier des destructions du patrimoine syrien », plaide M. Marozzi dans un entretien à l’AFP: « Des sites comme Palmyre ont une signification et une valeur universelle. Ils font partie de notre civilisation mondiale, ils représentent des jalons dans l’histoire de l’humanité. Tout dommage qui leur est infligé représente une blessure pour toute l’humanité. »

 

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