Le Ghana servira de pays d’accueil pour des expulsés Ouest africains venus des États-Unis

Le président ghanéen John Mahama a confirmé mercredi que son pays avait accepté sur demande de Washington d'accueillir des ressortissants originaires d'Afrique de l'Ouest expulsés des États-Unis.
Photo: NIPAH DENNIS/AFP via Getty Images
Le président ghanéen John Mahama a confirmé mercredi que son pays avait accepté sur demande de Washington d’accueillir des ressortissants originaires d’Afrique de l’Ouest expulsés des États-Unis. Cette décision place Accra en position de « pays tiers sûr » dans la stratégie migratoire controversée de l’administration Trump, qui multiplie les expulsions vers des nations africaines faute d’accords avec les pays d’origine.
Un accord pragmatique sur fond de pressions américaines
« Nous avons été sollicités par les États-Unis pour accueillir les ressortissants de pays tiers expulsés des États-Unis. Et nous avons convenu avec eux que les ressortissants d’Afrique de l’Ouest étaient acceptables », a déclaré M. Mahama lors d’une conférence de presse à Accra. Selon lui, 14 personnes sont déjà arrivées au Ghana dans le cadre de cette politique, dont « plusieurs » Nigérians, retournés depuis dans leurs pays d’origine.
Cette collaboration s’inscrit dans une stratégie plus large de l’administration Trump, qui a déjà conclu des accords similaires avec l’Ouganda, l’Eswatini et d’autres pays africains. Le gouvernement ougandais a officialisé un accord avec les États-Unis pour héberger temporairement des migrants qui n’obtiendraient pas l’asile sur le sol américain, illustrant la multiplication de ces partenariats controversés.
La libre circulation régionale comme atout
Un accord régional permet aux ressortissants d’Afrique de l’Ouest de circuler dans la région sans visa, facilitant ainsi le transit des expulsés vers leurs pays d’origine. Cette spécificité de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) transforme le Ghana en plateforme logistique naturelle pour les retours forcés organisés par Washington.
L’expulsion de personnes vers des pays tiers – dans lesquels elles n’ont souvent jamais vécu – constitue l’une des mesures phares du président Donald Trump contre l’immigration clandestine. L’administration Trump a annoncé l’expulsion d’immigrés en situation irrégulière originaires de pays d’Asie ou des Caraïbes vers diverses destinations africaines, avec des centaines d’expulsions déjà réalisées vers le Panama, le Salvador et le Soudan du Sud.
Des relations bilatérales sous tension
Paradoxalement, cet accord intervient dans un contexte de dégradation des relations Ghana-États-Unis. Washington a augmenté les droits de douane sur les produits ghanéens et restreint le nombre de visas accordés aux ressortissants du pays. M. Mahama a reconnu mercredi que les relations entre Accra et Washington étaient « tendues », soulignant que le Ghana devait chercher à diversifier ses partenariats économiques, notamment vers la Chine.
Cette stratégie de diversification reflète une tendance plus large observée sur le continent africain, où plusieurs pays remettent en question leur dépendance traditionnelle aux États-Unis et à l’Europe. Les pays africains constituent l’essentiel d’une liste de nations qui pourraient faire face à de nouvelles interdictions de visa dès août, selon les projets de l’administration Trump.

Le ministre nigérian des Affaires étrangères, Yusuf Tuggar, a déclaré que son pays ne céderait pas aux pressions de l’administration Trump pour accepter des déportés vénézuéliens ou des prisonniers de pays tiers en provenance des États-Unis. ( EMMANUEL CROSET/AFP via Getty Images)
Le Nigeria maintient sa résistance
Contrairement au Ghana, le Nigeria voisin a refusé à ce stade tout accord avec Washington. Sollicité en juin pour accueillir des ressortissants vénézuéliens, il avait par la voix de son ministre des Affaires étrangères, Yusuf Tuggar, dénoncé « une pression considérable sur les pays africains ».
Le Nigeria a fermement rejeté les pressions américaines pour accueillir des migrants expulsés des États-Unis, dont certains sortent directement de prison. Avec plus de 230 millions d’habitants, le pays est déjà confronté à des pressions considérables, notamment l’insécurité alimentaire croissante.
Le ministre nigérian des Affaires étrangères Yusuf Tuggar a déclaré que son pays ne céderait pas aux pressions de l’administration Trump pour accepter des déportés vénézuéliens ou des prisonniers de pays tiers en provenance des États-Unis, citant les rappeurs américains des années 1990 Public Enemy pour illustrer la fermeté de sa position.
Tensions intracommunautaires au Ghana
Cette politique d’accueil ne va pas sans créer des difficultés internes. Des manifestations ont eu lieu ces derniers mois au Ghana contre la communauté nigériane, accusée d’être responsable d’une hausse de la criminalité et de la prostitution, et de provoquer une concurrence économique déloyale. Ces tensions xénophobes compliquent la mise en œuvre de l’accord avec Washington.
Fin juillet, le gouvernement ghanéen et les responsables nigérians avaient tenu des pourparlers pour tenter d’apaiser ces tensions intercommunautaires. L’arrivée supplémentaire d’expulsés nigérians risque de raviver ces conflits latents dans un contexte économique déjà difficile pour le Ghana.
Une stratégie américaine controversée
« Ces individus sont si singulièrement barbares que leurs pays d’origine ont refusé de les accueillir de nouveau », a déclaré une porte-parole de l’administration Trump pour justifier les expulsions vers des pays tiers. Cette rhétorique agressive illustre la radicalisation de la politique migratoire américaine.
La stratégie de Trump consiste à contourner les réticences de certains pays à récupérer leurs ressortissants expulsés en les envoyant vers des nations tierces acceptant de coopérer moyennant des contreparties économiques ou diplomatiques. Cette approche soulève des questions juridiques et humanitaires majeures.
Les enjeux géopolitiques plus larges
L’accord ghanéen s’inscrit dans une reconfiguration plus large des relations américano-africaines. Alors que la Chine et la Russie renforcent leur influence sur le continent, Washington utilise tous les leviers disponibles, y compris la pression migratoire, pour maintenir son influence.
Le choix du Ghana comme partenaire n’est pas anodin : pays anglophone stable politiquement, membre influent de la CEDEAO et traditionnellement pro-occidental, Accra représente un allié fiable pour Washington malgré les tensions actuelles. Cette coopération pourrait servir de modèle pour d’autres accords similaires dans la région.
Un précédent inquiétant pour l’Afrique
Cette politique d’externalisation des expulsions américaines vers l’Afrique crée un précédent préoccupant. Elle transforme certains pays africains en « dépotoirs migratoires » pour les États-Unis, soulevant des questions sur la souveraineté nationale et la dignité des personnes expulsées.
Pour le Ghana, cet accord représente un équilibre délicat entre les pressions américaines et les réalités régionales. Tout en ménageant Washington, Accra tente de préserver ses relations avec ses voisins ouest-africains et de maintenir sa stabilité interne face à la montée des tensions xénophobes.
L’évolution de cette coopération Ghana-États-Unis constituera un test crucial pour l’avenir des relations américano-africaines et pourrait déterminer si d’autres pays de la région suivront l’exemple ghanéen ou résisteront comme le Nigeria aux pressions de l’administration Trump.

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