Les ostracodes : quelques microns, une carapace et 480 millions d’années d’histoire

12 juillet 2018 15:14 Mis à jour: 13 avril 2019 13:47

Cet article est publié dans le cadre du 5ᵉ Congrès international de paléontologie qui se tient à Paris du 9 au 13 juillet 2018, organisé par le Centre de Recherche sur la Paléobiodiversité et les Paléoenvironnements (CR2P), laboratoire sous tutelle du Muséum national d’Histoire naturelle et de Sorbonne Université, partenaires de The Conversation France.


Quand on vous dit « fossiles », vous répondez… Les dinosaures, immenses, effrayants. Mais il en existe d’autres, de taille infime, riches en secrets et vieux de millions, voire de milliards d’années. Celle, ou celui, qui scrute ces formes de vie invisibles est micropaléontologue. Un scientifique qui partage sa vie entre travail de terrain, laboratoire, et longues heures passées derrière le microscope.

Parmi ces microfossiles, les ostracodes. Leur surnom vous fera sourire : « pistaches à pattes ». Pistaches ? Parce qu’ils possèdent une carapace calcaire ovoïde faite de deux valves articulées sur le dos. À pattes ? Parce que leur carapace protège parties molles et pattes, qui émergent souvent des valves entrouvertes des formes vivantes.

Ces crustacés, pour la plupart pas plus grands qu’un grain de sable, peuplent les mers depuis le début de l’Ordovicien. De vrais survivants ! Ils ont résisté aux cinq crises biologiques majeures qui ont jalonné les derniers 480 millions d’années de l’histoire de la Terre.

Il y a environ 350 millions d’années, au Carbonifère, ces cousins des crabes et des crevettes partaient à la conquête des milieux d’eau douce. Mais il y a environ 252 millions d’années, à la transition entre les ères Paléozoïque et Mésozoïque, survient la troisième crise biologique de l’histoire de la Terre. Cette extinction Permien-Trias est la plus dévastatrice connue à ce jour. Elle va marquer un tournant crucial de leur histoire.

Au Permien-Trias, une hécatombe du vivant

En effet, la crise a dévasté les milieux marins et continentaux : bien que les chiffres restent débattus, on estime que plus de 90 % des espèces marines ont disparu au cours de ces événements. Les ostracodes n’ont pas été en reste : plus de 70 % de leurs espèces en milieu marin ont été éradiquées. Parmi les victimes, les Palaeocopida, des ostracodes typiques des océans du Paléozoïque, caractérisés par un bord dorsal long, droit et un dimorphisme sexuel prononcé.

Si l’extinction Permien-Trias a été un cataclysme, elle est aussi à l’origine d’une restructuration profonde des écosystèmes, dont les conséquences sont visibles encore aujourd’hui. A la faune Paléozoïque, dominée par les brachiopodes, succède la faune Méso-Cénozoïque ou moderne caractérisée par les bivalves. Il en est de même pour les ostracodes : les Palaeocopida font place aux Cytheroidea qui restent très abondants et diversifiés de nos jours.

Ostracodes fossiles et récents, les barres d’échelle représentent 100µm, soit 0,1mm. A à C, Palaeocopida du Permien (entre 270 et 250 millions d’années), A et B représentent les espèces Knightina hongfui (famille Kirkbyidae) et Permoyoungiella bogschi de Chine du Sud, C : Geffenina bungsamphanensis de Thaïlande. D à F, ostracodes de grands fonds marins du Trias de Turquie (235 millions d’années), D : Gencella taurensis (Beecherellidae), E : Rectonariidae sp. 2, F : Striatobythoceratina sp. 1 (Bythocytheroidea). G à I, Cytheroidea fossiles et récents, G : Cytheropteron eximium du Crétacé des Etats-Unis (90 millions d’années, H et I représentent des espèces récentes de Polynésie française, Tanella ochracea et Neocyprideis spinulosa. (Auteure, Author provided)

Les recherches actuelles sur ces organismes portent à la fois sur les causes et mécanismes de l’extinction du Permien-Trias, et sur la rapidité de la récupération des écosystèmes (ceci fait écho aux questions du monde moderne). Dans ce questionnement, les ostracodes ont récemment joué un rôle important en apportant quelques bémols à l’hypothèse très répandue, pour expliquer l’hécatombe des espèces, d’une super-anoxie océanique (très peu voire pas d’oxygène dans les environnements) et en montrant l’existence de zones refuges. Plus avant, de nouvelles interrogations émergent sur la base de travaux sur les fossiles, au premier rang desquels les ostracodes, qui montrent la survie exceptionnelle de certaines lignées en parallèle de la grande extinction.

Schéma d’une plate-forme continentale. (Pline, Jmtrivial, CC BY)

Tout au long de leur histoire, les ostracodes ont habité mers et océans, des zones )littorales aux abysses. Pendant le Paléozoïque, les Palaeocopida y sont ubiquistes mais d’autres familles se cantonnent aux zones de plus de 200 mètres de profondeur, sans lumière : Rectonariidae, Beecherellidae, Bythocytheridae. Longtemps, les chercheurs ont pensé que ces ostracodes avaient compté parmi les grandes victimes de la crise Permien-Trias, mais des études récentes laissent entrevoir une réalité bien différente.

Refuges pour ostracodes

Pour bien comprendre, il convient de garder en mémoire qu’au Permien et au Trias, la géographie du Globe est différente de l’actuelle : un continent unique, la Pangée, incisé dans sa partie orientale par deux grands bassins océaniques, la Paléo-Téthys au Nord et la Néo-Téthys au Sud, et entouré par l’Océan Panthalassa. Les travaux menés ont permis de caractériser les ostracodes du Permien et du Trias sur les plateaux continentaux. Ils nous montrent que des oasis de survie ont existé après l’extinction, grâce à la prolifération de bactéries photosynthétiques dans les milieux dévastés, apportant oxygène et nourriture aux faunes survivantes. Identifiés pour la première fois par l’étude des ostracodes, il a été montré que nombre d’autres groupes ont bénéficié de ces refuges.

Reconstruction de la position des continents au Trias, environ 240 millions d’années (d’après www.scotese.com). En rouge, la Roumanie ; en jaune, la Turquie ; en vert, la Chine du Sud. (Auteure, Author provided)

Les localités où étudier les grands fonds marins de cette période sont rares : la Dobrogée à l’est de la Roumanie, certaines zones de Chine de Sud ou de Turquie. Bien que connus depuis de nombreuses années, les ostracodes de ces localités n’ont été caractérisés et leur grande importance comprise que récemment. Leur étude a montré que les familles Rectonariidae, Beecherellidae et Bythocytheridae ont non seulement survécu dans les milieux profonds, mais s’y sont diversifiées, comme en témoignent les nouveaux genres et espèces retrouvés jusqu’à la fin du Trias.

Parmi les Palaeocopida, seule la famille des Kirkbyidae a survécu dans les zones profondes : ubiquistes au Paléozoïque, ces organismes se replient dans les grands fonds après l’extinction, traduisant une restriction particulière de leur répartition environnementale. Ces nouvelles conclusions sont cruciales : elles témoignent de la stabilité des milieux marins profonds à long terme pendant tout l’intervalle de l’extinction et soulignent à nouveau l’urgence de repenser la super-anoxie, incompatible avec cet enregistrement fossile.

Quand peut-on parler de faune moderne ?

La restructuration des faunes d’ostracodes du Paléozoïque au Mésozoïque reste une terra incognita : en savoir plus nécessite une étude de leur phylogénie, qui est rendue délicat par le manque de caractères discriminants chez la plupart de ces animaux. Mais les avancées récentes repoussent toujours plus loin les limites de l’apparition de la faune moderne. La particularité des ostracodes du Trias est qu’ils ne sont plus paléozoïques, mais ne sont pour autant pas encore modernes : les premières formes qui domineront au Trias apparaissent plus de 7 millions d’années avant l’extinction Permien-Trias, suggérant que des mécanismes complexes encore inconnus auraient été à l’œuvre dans cette transition biotique.

Les ostracodes modernes ne se diversifient qu’au Jurassique et nos connaissances se limitent aux zones européennes, relativement faciles d’accès. Des travaux inédits révèlent toutefois que l’importance des zones extrême-orientales est largement sous-estimée : les formes modernes pourraient y être apparues dès la fin du Trias et auraient envahi les eaux européennes à la faveur d’une montée du niveau marin à la toute fin du Trias.

Marie-Béatrice Forel, Maître de Conférences, Centre de Recherche sur la Paléobiodiversité et les Paléoenvironnements, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) – Sorbonne Universités

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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