SCIENCES

Les plus vieux macro-organismes eucaryotes planctoniques datés de 2,1 milliards d’années, découverts au Gabon

mai 11, 2023 15:56, Last Updated: mai 11, 2023 15:56
By Abderrazak El Albani, Université de Poitiers

L’origine des cellules eucaryotes est un défi majeur en biologie évolutive, suscitant un débat tenace au sein de la communauté scientifique depuis des décennies. L’objectif est de savoir à quelle période de l’histoire de la vie, le monde bactérien n’est plus le seul à dominer la planète terre et que des cellules nouvelles de type eucaryote, dites « sophistiquées » émergent. C’est un moment clé pour nos connaissances à propos de l’histoire de l’évolution. L’objectif est de mieux comprendre la chronologie et le cheminement de la divergence des deux branches du vivant. Cette phase est déterminante pour la suite de l’histoire de la vie sur terre.

Ces cellules, comme celles qui composent notre corps, se caractérisent par la présence d’un noyau et d’organites délimités par des membranes cellulaires.

Notre équipe internationale, en collaboration avec le Gabon, a mis en évidence les plus vieux fossiles de protistes eucaryotes, qui vivaient dans l’eau de mer (plancton) il y a 2,1 milliards d’années. Un protiste est un organisme unicellulaire composé d’une cellule de type eucaryote.

Cette découverte fait reculer le curseur de l’émergence des organismes eucaryotes de plus de 300 millions d’années. Ces résultats sont publiés dans le numéro d’avril 2023 de la revue Earth Planetary Sciences Letter.

Un recul extraordinaire de l’apparition d’une vie pluricellualire

Il y a quelques années, mon équipe a découvert au Gabon les plus vieux fossiles d’organismes pluricellulaires nommés « Gabonionta ». Grâce à ce gisement situé dans le bassin de Franceville, la date d’apparition d’une vie pluricellulaire sur Terre avait alors été reculée d’environ 1,5 milliard d’années, passant de -600 millions à -2,1 milliards d’années.

Notre équipe avait également montré que cette formidable biodiversité, concomitante d’un pic de concentration en dioxygène dans l’atmosphère, s’était développée dans un milieu marin calme et peu profond. Cette biodiversité est représentée par l’abondance de macro-fossiles en excellent état de préservation et par la diversité de tailles et de formes.

C’est au sein de la même formation géologique que l’équipe internationale que je coordonne a découvert l’existence de fossiles de protistes macroscopiques dont la taille peut atteindre 4,5 centimètres. Leur milieu de vie semble avoir été dans l’eau et non sur le fond marin. Ceci est illustré grâce à leur présence dans différents contextes sédimentaires. En plus on constate qu’ils ont agrégé des fines particules argileuses très fines modifiant ainsi leur densité et entraînant leur chute sur le fond océanique.

L’apparition du plancton

Dans cet écosystème marin primitif, certains organismes eucaryotes étaient donc déjà biologiquement suffisamment sophistiqués pour pouvoir vivre de façon planctonique.

Ce résultat a été obtenu grâce à l’usage du zinc, considéré comme un élément indispensable pour le métabolisme biologique. Les données ont révélé que ces fossiles contiennent environ deux fois plus de zinc que le sédiment qui les contient.

De plus, en collaboration avec L’École Normale Supérieur de Lyon, les universités de Lille et Rennes et le Synchrotron SOLEIL, les données montrent qu’à l’intérieur de ces fossiles, les isotopes du zinc présentent un enrichissement en isotope léger par rapport à ce même sédiment. Le comportement du zinc est d’un grand intérêt, car il s’agit d’un micronutriment bio-essentiel, composant de plusieurs métalloenzymes qui remplissent des fonctions biologiques clés dans les cellules eucaryotes, dont la composition de certaines protéines indispensables pour le métabolisme du vivant.

Ainsi, la demande cellulaire en zinc dépend fortement de la taille de la cellule, de l’organisation, la complexité, la fonctionnalité et le métabolisme. À cet égard, l’augmentation de la taille de ces organismes a pu être corrélée à l’augmentation de la disponibilité du zinc.

Ces données ont permis de mettre en lumière le rôle fondamental du zinc comme marqueur biogéochimique de la biogénicité.

Parallèlement, un couplage de plusieurs techniques de pointe nous a permis à la fois de doser la concentration en zinc et d’identifier ces isotopes. Nous avons également cartographié le zinc grâce à des méthodes d’analyses réalisées au synchrotron Soleil à Paris. L’imagerie 3D a été réalisée par microtomographie aux rayons X, technique d’imagerie non destructive. Les résultats ont montré qu’il s’agit bien de structures ayant une compartimentalisation interne. Ces données d’imagerie apportent une confirmation supplémentaire de l’origine biologique de ces fossiles.

Photos de spécimens sur le terrain et images obtenues par scanner micro-tomographique à rayons X. Morphologie 3D des organismes protistes macroscopiques montrant l’aspect lenticulaire et segmenté de l’intérieur de l’organisme fossilisé. Précédemment, les protistes de ce type étaient datés d’environ 600 millions d’années (période de l’Ediacarien, caractérisée elle aussi par un pic de dioxygène et une explosion de biodiversité). Echelle : 1 cm.

A. El Albani & A. Mazurier, Fourni par l’auteur

À quoi ressemblaient concrètement ces êtres vivants ? Ils étaient peut-être similaires aux protistes de grande taille capables de flotter dans la colonne d’eau. Quand ces organismes agrègent des fines particules argileuses, ils chutent sous l’effet de leur densité d’une manière aléatoire sur les sédiments formant le fond marin. Jusqu’à présent, les plus anciens protistes eucaryotes planctoniques reconnus étaient datés de 570 millions d’années. Cette nouvelle découverte met en évidence une innovation biologique qui soulève de nouvelles questions sur l’histoire de l’évolution à savoir : des formes de vie planctonique perfectionnées existaient-elles déjà il y a 2,1 milliards d’années ?

Article écrit par Abderrazak El Albani, Professeur à l’Université de Poitiers, Université de Poitiers

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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