Le mariage des arts sacrés et des mathématiques : « Le Baptême du Christ » de Piero della Francesca

Par Jani Allan
15 mai 2021 21:00 Mis à jour: 15 mai 2021 21:00

« Nous n’allons pas vers l’art pour nous informer. C’est davantage pour l’expérience. » – Roger Scruton, philosophe

Le Baptême du Christ de Piero della Francesca, qui se trouve à la National Gallery, Trafalgar Square à Londres, constituait une sorte de lieu saint juste pour moi. Je m’y rendais souvent « pour l’expérience ».

Lorsqu’il y avait trop d’agitation dans la salle de rédaction, je prenais le métro pour aller à la National Gallery. Dix minutes plus tard, je suis debout là et je fixe le tableau. Un calme apaisant parcourt mes veines. Le tableau est un rappel, comme cet hymne du poète quaker John Greenleaf Whittier :

« Fais pleuvoir tes rosées de tranquillité… toutes nos luttes s’arrêtent ;

Ôte de nos âmes tension et crispation… que nos vies ordonnées reconnaissent la beauté de Ta paix. »

Piero laisse entendre cette petite voix calme et régulière.

Un homme de génie

Piero della Francesca, initialement nommé Piero di Benedetto, fut un peintre italien du début de la Renaissance. Son immense talent sautait aux yeux, mais pour ses pairs il était également doué pour les mathématiques et la géométrie et sans lui, son entourage n’aurait jamais eu vent d’Euclide.

Né en 1415 à Sansepolcro, Piero est mort dans sa ville natale en 1492. Il était le fils d’un marchand d’étoffes tanneur à la fois. Sa vie sera marquée par le prestige et la richesse.

Piero fut un peintre révolutionnaire, mais un révolutionnaire calme. Il fut le premier artiste à agencer la perspective dans un cadre mathématique harmonieux pour mettre en valeur les sujets représentés. En fait, il fut le premier artiste à écrire un traité sur la perspective, sur la technique permettant de créer l’illusion d’un espace à trois dimensions sur une surface plane.

Il rédigea trois traités qui ont survécu jusqu’à nos jours : le Trattato d’Abaco (traité de l’abaque), le Libellus de Quinque Corporibus Regularibus (Les Cinq Polyèdres réguliers) et le De Prospectiva pingendi (de la perspective en peinture). Il y traite principalement d’arithmétique, d’algèbre, de géométrie et aborde quelques ouvrages innovants en matière de perspective.

« Le Baptême du Christ »

Le Baptême du Christ, 1448, par Piero della Francesca. National Gallery, Londres. (Domaine public)

Le Baptême du Christ fut commandé par une petite église de la ville natale de Piero, Sansepolcro, en Toscane. Tempera sur bois, le panneau mesure 167 x 116 cm, c’est la plus ancienne œuvre que nous ayons conservée de ce peintre du XVe siècle.

La technique de la tempera consiste à utiliser de l’œuf dilué avec de l’eau. Des pigments secs seront broyés dans la solution visqueuse. La vitesse à laquelle l’œuf se dessèche peut provoquer des changements inattendus dans les tonalités. Il faut retoucher le tableau avec bien des couches avant d’obtenir l’effet recherché. Et contrairement à la peinture à l’huile, la tempera à l’œuf ne tolère pas l’erreur.

Le fait que Piero ait commencé cette peinture profondément cérébrale alors qu’il n’avait que 20 ans témoigne de son génie.

Unir les spectateurs à la scène

Le tableau représente le moment où le Christ est baptisé par son cousin. Jean verse doucement l’eau d’un bol sur la tête du Christ sous le regard des anges.

Le baptême du Christ ne semble pas se dérouler en terre sainte, mais à l’époque du peintre. Chez Piero, chaque allusion compte ; l’image est une distillation de la chose représentée. Son monde et celui du Christ ne sont pas séparés.

Le Jourdain est représenté par un ruisseau du pays dans lequel se reflète un morceau des collines toscanes. L’arbre blond qui renvoie au corps du Christ est un noyer italien. Les sept plantes minutieusement dépeintes sont toutes des plantes de la région et le paysage est vraiment celui de Sansepolcro. On remarquera qu’une de ces plantes est celle qu’utilise le peintre lui-même pour obtenir de l’indigo.

Piero a utilisé le paysage local pour que les spectateurs se sentent unis à l’épisode.

Symétrie et perspective

La peinture de Piero se caractérise par son humanisme serein, l’utilisation de formes géométriques et la perspective.

Le trois anges se comportent entre eux comme des humains. Un des anges appuie son bras sur l’épaule de son compagnon pour mieux voir, un autre a l’air un peu troublé.

Le corps du Christ forme une ligne verticale au centre du tableau, au-dessus de sa tête le bol et la colombe. Cette ligne de symétrie conduit notre regard vers le ciel. Pour équilibrer l’accent mis sur la verticale, une ligne horizontale divise le tableau, tracée par les ceintures des anges jusqu’à celle de Jean-Baptiste et accentuée par l’homme sous le centre du tableau qui enlève sa chemise pour se faire baptiser.

Derrière l’homme enlevant sa chemise, et ajoutant de la profondeur, se trouvent des personnages plus petits, des étrangers, ils portent des chapeaux propres aux grecs. Les spécialistes restent perplexes quant à leur identité. Certains pensent qu’il pourrait peut-être s’agir des mages.

L’arc continu en haut du tableau fait partie d’un cercle parfait qui passe par la ligne marquée par le pagne légèrement tombant du Christ.

Ainsi, Piero utilise les principes mathématiques pour ordonner sa création et créer une image visuellement harmonieuse.

De plus, une lumière fraîche et claire unifie l’ensemble. La palette de Piero est d’un blond laiteux, mais chaque couleur est aussi claire que possible par rapport aux autres, comme des notes qui s’accordent parfaitement.

Sa peinture aérée monumentale et incroyablement rationnelle est sans aucun doute l’une des plus hautes réalisations des idéaux artistiques du début de la Renaissance, une époque où l’art et la science étaient profondément liés.

Jani Allan est journaliste, chroniqueuse, écrivain et animatrice radio.

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