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Palourdes Ming, éponges de verre, quand le vivant traverse les millénaires

mars 8, 2019 18:32, Last Updated: mars 8, 2019 18:32
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Embarquer dans une machine à remonter le temps pour apercevoir un mammouth de la Préhistoire ou remonter les siècles pour regarder travailler Léonard de Vinci dans son atelier d’Amboise… Un fantasme très humain, qu’il est possible d’assouvir dans de rares circonstances en observant certains organismes vivants d’aujourd’hui datant de temps ancestraux.

Mais au préalable, comment donner un âge à une espèce dont on soupçonne l’extrême longévité ? Certaines d’entre elles vont pouvoir l’être grâce à une structure spéciale qui compose leur corps ou encore à l’aide d’une particularité de leur environnement. C’est le cas d’un coquillage, la palourde Arctica islandica. Nous avons dû attendre près de 136 ans avant que les scientifiques n’arrivent à percer son secret.

La palourde Ming

Tout commence au début des années 2000 avec une étude sur les climats du passé. L’idée des chercheurs était de collecter des informations sur la composition chimique et la température de l’eau des océans anciens. Mais comment faire ? Ces paléoclimatologues ont utilisé les palourdes du Musée de Kiel qui avaient été collectées au cours d’une expédition océanographique autour de l’Islande en juillet 1868, puis conservées dans des tiroirs du Musée de Kiel en Allemagne. L’une de ces palourdes s’appelle Arctica islandica.

En 2004, l’équipe de chercheurs décide d’examiner ces palourdes avec l’objectif d’en savoir plus sur les changements passés de notre climat. Car, à l’instar des cernes des arbres, les palourdes agrandissent chaque année leur coquille en laissant une trace visible. En combinant l’analyse de ces traces de croissance avec des dosages de la composition chimique de leur coquille, les scientifiques ont eu la surprise de constater que l’âge de cette palourde était de 373 ans. Une palourde contemporaine de plusieurs Rois de France comme Charles VIII de Valois, François 1er, Henry IV, Louis XVI, et jusqu’à Napoléon III. Mieux encore : en 2006, la découverte d’un autre spécimen d’un âge estimé à 405-410 ans au large des côtes islandaises lui a valu d’être baptisé « Ming » en référence à la dynastie d’empereurs régnant en Chine du XIVe au XVIIe siècle.

Une palourde de l’espèce Arctica islandica. (Hans Hillewaert/Wikipedia, CC BY-SA)

Depuis cette découverte fortuite, des individus de près de 500 ans d’âge ont été identifiés. On pourrait sembler étonné de cette longévité extrême et imaginer qu’elle soit difficile à égaler ou même à dépasser… En fait, il n’en est rien ! En 2004, le sous-marin d’exploration océanographique Pisces V de l’agence américaine NOAA et du Hawaii Undersea Research Laboratory effectue des prélèvements de coraux au large de Hawaii à une profondeur comprise entre 400 et 500 mètres de profondeur. Deux espèces de coraux, fréquemment pillées pour en faire des bijoux, sont particulièrement recherchées : Gerardia sp. et Leiopathes sp. Après une analyse utilisant une nouvelle technique de datation au carbone 14, le résultat tombe. Ces espèces de coraux sont âgées respectivement de 2 742 ans pour Gerardia sp. et de 4 265 ans pour Leiopathes sp. !

Ces coraux sont un témoignage du passé et leur fragilité grandissante vis-à-vis des changements climatiques récents en font une sentinelle utile pour connaître les modifications du climat et les variations des températures de la mer. Mais ces organismes signent-ils ici la limite supérieure que les animaux vivants peuvent atteindre en matière de longévité ? Peut-être pas !

Une éponge de verre vieille de 11 000 ans

Spécimen de Monorhaphis chuni. (Hermann Ehrlich, CC BY)

En 1986, un dragage en mer de Chine Orientale par 1 100 mètres de fond autour d’Okinawa a permis à une expédition d’océanographes allemands, suisses et chinois de pêcher trois spécimens d’une éponge très particulière appelée Monorhaphis chuni. Cette espèce, encore appelée « éponge de verre », est la seule représentante de sa famille. Elle vit dans les grands fonds océaniques qui se caractérisent, comme les abysses, par une absence totale de lumière, un grand froid, et une haute pression. À mesure de sa croissance, l’éponge de verre génère une sorte de tige, une spicule, composée de calcium et de magnésium dont la longueur peut atteindre presque 3 mètres. Il s’agit d’une sorte de long fil fin et flexible ressemblant à une fibre de verre et qui permet à l’éponge de s’ancrer dans le fond marin. L’analyse chimique (4) de cette tige flexible a permis de définir l’âge de cette éponge qui est estimée à… 11 000 ans ! Dans une étude plus récente, des échantillons de cette espèce d’éponge, pêchés dans l’Est et le Sud de la mer de Chine à des profondeurs entre 1 110 et 2 100 mètres, ont révélé, après analyse chimique de la silice et du germarium contenu dans la spicule de plusieurs mètres, un âge estimé de 17 000 ans…

Il a été proposé que les informations contenues dans cette tige flexible qui grandit chaque année pouvaient servir d’archive paléo-environnementale pour l’ensemble de la période géologique de l’holocène (période qui a commencé il y a 10 000 ans et qui se poursuit encore aujourd’hui). Grâce à l’analyse de cette spicule, il est en effet possible de définir les conditions régnant dans l’Océan durant la période de 11 000 ans mais aussi de dater les modifications de température et de composition de l’eau qui ont pu intervenir. Ce type d’organisme vivant est évidemment une aubaine pour ceux qui tentent de trouver des traces du climat et de ses changements biogéochimiques dans le passé. Ils sont littéralement une formidable opportunité de remonter le temps.

Quel est le secret de ces organismes ? Peu d’études sont disponibles. Mais, pour la palourde multicentenaire, son grand âge pourrait être lié à sa capacité à se protéger et à éliminer les dommages causés par l’oxydation. Des défenses permettraient de retarder les dommages causés à son ADN ou à leurs protéines par les radicaux libres. Il est toutefois possible que ces organismes utilisent d’autres mécanismes comme supports de leur longévité.

Réveiller la vie venue du fond des âges

Une autre caractéristique de la longévité est liée à la capacité de « s’endormir ». Il existe quelques rares organismes capables de rester en état de vie ralentie ou de vie suspendue pour ensuite se réveiller lorsque les conditions le permettent. Et, pour les étudier et leur donner un âge, il faut s’intéresser à leur environnement.

Une équipe de scientifiques russes a effectué des sondages entre 2002 et 2015 dans le permafrost de deux régions de Sibérie. Les scientifiques ont effectué des datations au carbone des couches dans lesquelles ils effectuaient leurs explorations. Ils ont ainsi pu découvrir des vers congelés à 3,5 mètres de profondeur dans le sol gelé. Après une mise en culture adaptée, ils ont réussi à réveiller deux espèces de vers qui ont produit des descendants. Ces deux espèces (Panagrolaimus et Plectus) de vers congelés étaient âgées respectivement de 32 000 et 42 000 ans !.

Un autre « réveil » : dans la « vallée de la mort », à la frontière entre le Nevada et la Californie, des géologues ont effectué des sondages dans des couches de sol correspondant à d’anciens lacs salés datant de 9 000 à 3 000 ans. Dans des cristaux de sel, ils ont remarqué des inclusions qui révélaient au microscope de très petits bâtons de 0,005 millimètre de long.

Prokaryotes dans des inclusions salines. (fourni par l’auteur, CC BY)

Après avoir dissous les cristaux de sels dans des milieux de culture appropriés et attendu quelques mois, ils ont eu la surprise de voir les cultures devenir troubles, attestant de la présence d’organismes. Il s’agissait en fait d’Archées qui venaient de se réveiller après plus de 42 000 ans de sommeil dans des cristaux de sel. Même si elles en ont l’allure, les Archées sont très différentes des bactéries.

Oserez-vous déguster un centenaire ?

La datation du vivant, c’est aussi de savoir ce qu’il y a dans notre assiette. Gourmets, le saviez-vous ? Déterminer l’âge d’un homard est difficile, la technique qui le permet n’existant que depuis très récemment. Des chercheurs ont découvert que des dents qui sont situées dans son estomac pouvaient attester de l’âge du crustacé. Et les estimations effectuées indiquent que l’espèce américaine Homarus americanus peut vivre plus de cent ans. Deux anecdotes racontent qu’un homard de 132 ans aurait été relâché après avoir passé près de 20 ans dans l’aquarium d’un restaurant de Long Island à côté de New York, et qu’un autre avoisinant les 100 ans aurait été sauvé de la casserole d’un restaurant canadien par une généreuse donatrice. Alors, réfrénez votre appétit !

Simon Galas, Professeur de Génétique et de Biologie moléculaire de l’Aging, CNRS – Faculté de Pharmacie, Université de Montpellier

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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