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Quand chercheurs et citoyens coopèrent

janvier 28, 2019 10:22, Last Updated: janvier 28, 2019 10:22
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Cet article a été co-écrit par Bertrand Bocquet, Martine Legris (Univ. Lille, CNRS, UMR 8026, Centre d’etudes et de recherches administratives, politiques et sociales, Lille), Mireille Havez (Maison régionale de l’environnement et des solidarités, Lille), Bénédicte Lefebvre (Univ. Lille, CNRS, UMR 8019, Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques) et Florence Ienna (COMUE Lille Nord de France, mission culture, patrimoine, société, F-59658 Villeneuve-d’Ascq).


Les science shops, boutique des sciences en français, sont des dispositifs indépendants qui permettent aux organisations de la société civile d’accéder à la recherche académique. Mais il ne s’agit pas ici de mobiliser les citoyens pour des projets de recherche. Ce sont les personnels de la recherche qui se mobilisent pour répondre aux demandes de la société. Une coopération fructueuse à la fois pour les citoyens qui développent leurs compétences et leur « pouvoir d’agir » et pour les scientifiques qui accèdent à des questions et des terrains d’études originaux tout en contribuant à résoudre des problèmes concrets. Comment organiser cette coopération ? C’est l’objet principal des science shops.

De nouveaux rapports entre chercheurs et citoyens

La vulgarisation scientifique est souvent vécue comme une communication des chercheurs vers le public. Mais face aux grands défis sociétaux, une demande de plus en plus forte émane de la société civile pour un dialogue bilatéral. La simple publication des résultats scientifiques et une communication à sens unique ne sont pas des réponses suffisantes à une telle demande.

Sous le double effet de la montée en puissance des dispositifs de démocratie participative, d’une part, et des politiques nationales et européennes d’ouverture de la recherche, d’autre part, on assiste aujourd’hui à de profondes transformations des rapports entre sciences et sociétés, qui se veulent plus coopératifs comme le souligne au niveau national le rapport Houllier sur les sciences et recherches participatives paru en février 2016. Dans ce rapport, les sciences participatives sont définies « comme les formes de production de connaissances scientifiques auxquelles des acteurs non-scientifiques-professionnels, qu’il s’agisse d’individus ou de groupes, participent de façon active et délibérée. »

Les sciences participatives ont pris un essor au cours des quinze dernières années notamment via des plates-formes numériques en ligne, permettant à tout un chacun de participer à des projets de recherche. Les participants sont mis à contribution pour la collecte de grande quantité de données (échantillons, photographies, informations géolocalisées) ou bien pour le traitement de données (par exemple via des jeux ou la mise à disposition d’une partie de la puissance de calcul de son ordinateur). Les exemples se multiplient.

Ces évolutions donnent lieu au développement de pratiques de recherches originales, mobilisant les énergies, savoirs et savoir-faire de la société civile aux côtés de la recherche académique. Ces partenariats suscitent aujourd’hui largement l’attention des pouvoirs publics et des instances de programmation de la recherche et font l’objet d’analyses à différents niveaux institutionnels (régional, national, européen).

Un concept qui n’est pas nouveau

Il existe un format de coopération entre chercheurs et citoyens, peu connu en France, qui accompagne les parties prenantes dans un travail non plus seulement de participation mais sur la création des savoirs, sur le travail de recherche en lui-même : les boutiques des sciences. Celles-ci se positionnent en tant qu’interface entre des organisations de la société civile qui ont une visée d’intérêt général (collectifs de citoyens, associations, établissements scolaires, conseils de quartier…) et la recherche académique (enseignants-chercheurs, ingénieurs de recherche, doctorants, étudiants). Ces boutiques sont de petites entités, sans but lucratif, qui accompagnent les recherches quelles que soient les disciplines, gratuitement et sur demande des organisations locales. Le fait de répondre aux besoins de la société par un processus ascendant est un élément clé qui les distingue des autres mécanismes de transfert de connaissances.

Les demandes des organisations de la société civile sont de l’ordre de la méthodologie, de l’expertise et de la recherche scientifique. Les boutiques des sciences aident ces organisations à traduire leur demande afin qu’elles accèdent à la recherche académique dans le cadre d’un véritable partenariat, puis accompagnent les acteurs tout au long du processus de recherche. Dans la recherche collective pour trouver des réponses aux questions posées, de nouvelles connaissances sont générées ou bien les connaissances existantes sont combinées et adaptées pour répondre à des objets de recherche plus transversaux.

Le concept est né dans les années 70 aux Pays-Bas et aux États-Unis. Puis il se développe dans les années 80 dans huit autres pays en Europe, dont la France. Dans les années 90, le concept essaime dans le monde entier (Canada, Corée du Sud, Afrique du Sud, Nouvelle-Zélande, Malaisie). Il continue de se développer en Europe dans les années 2000. Aujourd’hui plus d’une quarantaine de pays sont concernés. En France le concept renaît en 2005 à l’ENS Cachan portée par des étudiants avec l’aide de l’Association Sciences Citoyennes.

Boutique des sciences, nord de France. (Author provided)

Puis grâce à l’action du réseau mondial des boutiques des sciences, Living Knowledge, et du programme européen « Science with and for society » trois boutiques sont créées : la première en 2011 à Grenoble porté par une association, la seconde en 2013 à Lyon portée par l’Université de Lyon et la troisième en 2015 à Lille portée par la ComUE Lille Nord de France et la Maison européenne des sciences de l’homme et de la société (MESHS). Une nouvelle boutique est également en cours de création à Montpellier portée par la MSH Sud.

Depuis les années 2000, les boutiques des sciences sont soutenues par la Commission européenne via les appels à projets. On peut citer dernièrement le projet InSPIRES du programme H2020 « Science with and for society ».

Des modèles adaptés aux contextes locaux

Il existe de nombreux modèles dans la manière dont les boutiques des sciences sont organisées et fonctionnent puisqu’elles dépendent fortement des contextes locaux dans lesquels elles se situent. On peut néanmoins définir deux structures organisationnelles dominantes : celles portées par une association et celles portées par des structures universitaires. Les formats de projets mis en œuvre pour répondre aux demandes peuvent être des stages d’étudiants en master 2 recherche (Lyon, Lille), des projets intégrés dans les cours de l’université quel que soit le niveau (Québec), des recherche-action (Grenoble).

Le terme science est utilisé dans son sens le plus large, englobant les sciences sociales et humaines, ainsi que les sciences naturelles, physiques, de génie et techniques. Voici quelques exemples de sujets ayant été traités par les boutiques des sciences françaises : analyse des causes de mortalité hivernale des abeilles ; la trame verte et bleue dans le bassin minier : quelle appropriation par les habitants ; étude des nuisances sonores nocturnes d’éoliennes ; l’engagement associatif des femmes issues des migrations subsahariennes ; transmission de l’histoire des luttes des immigrations (et des quartiers populaires) ; les projets de coopération internationale : diagnostic d’une base de données associatives.

Un véritable travail de coopération où chacun apporte son expertise

Comment induire une coopération entre des parties prenantes qui ont des fonctionnements, des cultures et des attentes très différents ? C’est toute l’originalité du travail d’accompagnement proposé par les équipes des boutiques des sciences. Nous prenons ci-dessous plus spécifiquement le cas de la boutique des sciences Lille Nord de France où les projets se formalisent par des stages d’étudiant en master 2 avec un double tutorat associatif/chercheur d’une durée de six mois. La coopération repose sur l’engagement à respecter les objectifs des différentes parties prenantes :

  • offrir au chercheur un sujet de recherche original qui peut donner lieu à une publication,
  • offrir à l’étudiant un travail de stage de recherche, directement utile à la société et en lien avec des professionnels en dehors des laboratoires, qui valorise son projet professionnel,
  • offrir à l’association une méthodologie et des connaissances qui lui permettent une première réponse à la question posée, de mieux comprendre son terrain et de faire évoluer ses pratiques et ses activités.

Tout d’abord un travail de sollicitation de la demande est nécessaire : rencontrer les acteurs associatifs pour faire connaître et expliquer le dispositif. Toutes les associations ne sont pas éligibles. Elles doivent servir l’intérêt général, être à but non lucratif et être en capacité d’accueillir un étudiant en stage pendant six mois. Ensuite lorsque des demandes sont formulées, des rencontres entre la boutique des sciences et les associations ont lieu pour comprendre les demandes et les traduire ensemble en questions de recherche. Cette première étape est enrichissante pour les associations qui découvrent alors un autre regard porté sur leur sujet d’étude leur permettant ainsi une prise de recul.

Une fois la question formulée, la boutique des sciences sollicite des équipes de recherche qui pourraient être concernées de par leur discipline. L’enseignant-chercheur intéressé par le sujet doit être en mesure d’encadrer un étudiant et de participer aux rencontres avec l’association.

Une fois tous les protagonistes trouvés, la boutique des sciences les accompagne et suit le projet jusqu’à la fin. L’étudiant s’engage à rédiger un document synthétique et accessible, destiné à l’appropriation des savoirs par les acteurs associatifs, en plus de son mémoire de recherche. Les parties prenantes s’engagent à organiser un rendu public des résultats.

Les résultats sont publics, accessibles à tous, pouvant ainsi être repris par d’autres organisations et d’autres chercheurs. À la fin de la collaboration, le demandeur doit être capable de s’approprier et d’utiliser les résultats.

Une recherche avec et pour la société

Ce dispositif original est une opportunité pour le secteur associatif de mieux comprendre son terrain et donc de modifier son activité, de développer son « pouvoir d’agir ». Il lui permet également de mieux comprendre les démarches scientifiques, le champ d’action de la recherche et ses limites. Pour la communauté scientifique (chercheur·e·s et étudiant·e·s), c’est un moyen d’accéder à des terrains et des sujets de recherche encore peu étudiés, faisant ainsi évoluer leurs disciplines, tout en étant directement en lien avec les questions issues de la société. Les boutiques des sciences permettent un enrichissement croisé, et favorisent les approches interdisciplinaires. Elles reposent sur un engagement mutuel fondé sur le bien commun et basé sur une éthique de la recherche, qui met les différents types de connaissances en dialogue et les partenaires dans un rapport de parité.

Bertrand Bocquet, Professeur des Universités, Physique & Science, Technologie et Société, Université de Lille

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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