EUROPE

Que peut la diplomatie pour arrêter la guerre en Ukraine ?

mai 30, 2023 18:23, Last Updated: mai 30, 2023 18:23
By Maxime Lefebvre, ESCP Business School

Quand un conflit ne se termine pas par la capitulation de l’adversaire, comme ce fut le cas de l’Allemagne et du Japon en 1945, il se termine par des négociations. C’est d’ailleurs l’issue la plus fréquente : entre autres exemples, ce sont des négociations qui ont abouti à la fin de la guerre de Corée en 1953, à la fin de la guerre Iran-Irak en 1988 et aussi, plus près de nous, à la fin de la guerre russo-géorgienne de 2008.

Voilà plus d’un an que la guerre en Ukraine a commencé. Il y a eu, dès le début du conflit, après l’échec de l’invasion russe, l’amorce de pourparlers entre les Ukrainiens et les Russes, mais ils n’ont eu qu’une portée limitée et n’ont débouché que sur quelques échanges de prisonniers.

Il y a eu aussi, assez vite, des négociations sous l’égide de l’ONU et de la Turquie pour conclure un accord sur l’exportation de céréales et d’engrais russes, régulièrement renouvelé depuis.

Il y a eu, enfin, des tentatives d’intercession françaises, israéliennes, turques et, tout récemment, le « plan de paix » assez vague mis sur la table par Pékin en février 2023, puis l’activisme du président brésilien Lula qui a envoyé un émissaire à Poutine et a suggéré une médiation tripartite Brésil-Chine-Émirats arabes unis.

Malgré tous ces efforts, le conflit se poursuit. Aujourd’hui, la question est moins de savoir ce que la diplomatie pourrait faire que de comprendre pourquoi le moment diplomatique n’est pas encore venu. Deux raisons l’expliquent fondamentalement. D’abord, le refus ukrainien d’entériner toute perte de territoire. Ensuite, l’impasse dans laquelle s’est enfermé le président russe Vladimir Poutine. Ce n’est que si ces deux obstacles sont surmontés que la question de la méthode pourra être posée.

Pas de cessez-le-feu envisageable dans l’état actuel des choses

Pour faire la paix, il faut d’abord que les parties considèrent qu’elles n’ont plus rien à gagner à la poursuite du conflit.

En cas de cessez-le-feu, même sans reconnaissance de la souveraineté russe sur les zones « annexées », l’Ukraine, qui n’a pas renoncé à l’objectif de restaurer la totalité de son intégrité territoriale, se verrait provisoirement, et peut-être définitivement, amputée d’une partie de son territoire.

À ce stade du conflit, le coût politique d’un cessez-le-feu serait beaucoup plus élevé pour Kiev que pour Moscou. C’est pourquoi l’Ukraine s’accroche à la perspective d’une contre-offensive et réagit fermement à l’idée d’un abandon de la Crimée, évoquée par le président brésilien Lula. Néanmoins, si cette contre-offensive ne venait pas, ou si elle échouait, le constat qu’il n’y a pas de solution militaire pourrait s’imposer dans les esprits, par une forme d’épuisement.

Mais comment fonder une paix durable sur un cessez-le-feu, si celui-ci n’est pas accompagné d’un accord sur les frontières et de garanties de sécurité ?

Au minimum, il faudrait prévoir le démarrage de discussions sur ces sujets, peut-être en mettant entre parenthèses le statut définitif des territoires ukrainiens actuellement contrôlés par la Russie (et en envisageant d’y organiser, à terme, des référendums d’autodétermination). Mais l’expérience des accords de Minsk, qui contenaient des dispositions allant en ce sens mais n’ont jamais été mis en œuvre, n’incite pas à l’optimisme. C’était déjà ardu avant la guerre en Ukraine, ce le sera plus encore après.

L’hypothèse d’une victoire ukrainienne, qui serait obtenue grâce aux armes occidentales, doit aussi être envisagée, mais elle pose deux difficultés. La première est que l’Ukraine n’est pas une île, et que la Russie, même si elle reculait, n’accepterait sans doute pas sa défaite et continuerait de menacer, à l’abri de ses frontières, le territoire ukrainien. La seconde est que la Russie est une puissance nucléaire et qu’à un moment donné (perte du Donbass ? De la Crimée ? Franchissement de ses frontières ?) elle pourrait considérer que ses intérêts vitaux sont menacés et que l’utilisation de l’arme nucléaire est justifiée dans une optique défensive. On touche là une donnée stratégique de base de ce conflit : il n’est pas possible de défaire la Russie comme les Occidentaux ont bombardé la Serbie de Milosevic et l’ont obligée à abandonner le Kosovo en 1999.

L’hypothèque Poutine

Par ailleurs, et c’est là un deuxième obstacle fondamental, Poutine apparaît comme un obstacle à la paix. Il a enfourché le nationalisme russe à la fois pour conforter son pouvoir interne et pour renforcer sa puissance externe. Quelle que soit la motivation profonde de ses actions, sa violation ouverte et non provoquée de la souveraineté de l’Ukraine (le crime d’agression) lui a fait franchir une ligne rouge, d’autant que des crimes de guerre se sont ajoutés à cette faute première.

Les mots employés par les dirigeants américains (« boucher », « tueur », « brute »), la condamnation de l’action russe par une grande majorité des membres des Nations unies, l’inculpation de Poutine lui-même par la Cour pénale internationale, font que, dans ce conflit, c’est aussi le changement de régime en Russie qui est en jeu. Et c’est pourquoi les Occidentaux en font une question de valeurs et n’envisagent pas une fin du conflit dont Poutine sortirait gagnant.

En soutenant militairement l’Ukraine et en sanctionnant durement la Russie, la stratégie occidentale vise – sans le dire et sans faire directement la guerre – à provoquer des changements politiques en Russie, comme ils ont eu lieu en Serbie après 1999. Mais puisqu’il n’est pas possible de défaire complètement la Russie, cette perspective est très incertaine.

En outre, il ne faut pas exclure un scénario de radicalisation croissante à Moscou qui aboutirait à l’accession au pouvoir d’un successeur encore moins susceptible de négocier que Poutine. Et les exemples de la Biélorussie, de la Corée du Nord, de Cuba, de l’Irak avant 2003, de l’Iran, montrent qu’un régime autoritaire sous sanctions peut se maintenir longtemps en exploitant la fibre nationaliste.

Dès lors, serait-il envisageable de faire la paix avec Poutine et de le considérer à nouveau comme un interlocuteur fréquentable ? En politique, rien n’est impossible. Début mars, en marge d’une réunion du G20 à New Delhi, le secrétaire d’État américain Antony Blinken a rencontré son homologue russe Sergueï Lavrov, pourtant placé sur la liste des sanctions occidentales. Trois semaines plus tard, il a même évoqué devant le Congrès américain la perspective lointaine de discussions sur les frontières de l’Ukraine. Voilà qui montre que les États-Unis n’excluent rien.

Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, en discussion avec l’ambassadeur de la Russie aux Nations unies, Vassili Nebenzia, le 24 février 2023, jour anniversaire du début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. (Michael M. Santiago/Getty Images)

Compte tenu des critiques dans les rangs républicains sur l’engagement américain en Ukraine, il est possible qu’une administration républicaine qui viendrait à succéder à l’actuelle équipe de Joe Biden serait plus encline à s’engager sur la voie d’une issue diplomatique, mais ce n’est pas certain.

Préparer dès maintenant des négociations encore lointaines

Si l’heure de négociations arrivait, reste à savoir comment les organiser. La Russie de Poutine a déjà accepté des médiations : en 2008, la France, qui exerçait alors la présidence tournante de l’UE, avait joué ce rôle dans le conflit russo-géorgien ; et en 2014, c’est encore la France qui, avec l’Allemagne, avait cherché à régler le conflit russo-ukrainien dans le cadre du « Format de Normandie »

La polarisation du conflit actuel et le durcissement des positions entre la Russie et le camp occidental rendent difficilement envisageable un tel scénario aujourd’hui. Poutine a d’ailleurs déjà récusé la France en tant que médiatrice. Emmanuel Macron entend cependant rester dans le jeu diplomatique, comme l’a montré son récent déplacement à Pékin.

La Chine, nous l’avons évoqué, a proposé un plan de paix mais son positionnement n’est pas neutre : elle est liée à la Russie par une « amitié sans limites ». Elle a toutefois joué un rôle modérateur lors du sommet du G20 à Bali (les 15+16 novembre dernier), condamnant toute utilisation éventuelle de l’arme nucléaire. En conséquence de sa montée en puissance, elle apparaît désormais comme un acteur de premier plan des relations internationales et une des clés de la stabilité mondiale, et il n’est pas impossible que la solution du conflit en Ukraine passe par un dialogue direct entre Washington et Pékin.

D’autres pays pourraient prétendre au rôle de médiateur. Le Brésil et la Turquie s’y emploient déjà, nous l’avons dit. L’Inde, pour sa part, est dans une position plus neutre que la Chine, et pourrait chercher à s’impliquer davantage dans le dossier ukrainien, lors du sommet du G20 qui sera organisé à New Delhi en septembre prochain.

Restent les Nations unies, mais celles-ci sont dans un triste état : le Conseil de sécurité est paralysé par le droit de veto des grandes puissances, et les principes de la Charte ont été foulés au pied par la Russie dans son agression contre l’Ukraine. Le secrétaire général de l’ONU s’est rendu, dans les premières semaines du conflit, à Moscou puis à Kiev, mais sans obtenir grand-chose, sinon de positionner l’organisation dans l’accord sur les céréales.

En 1953, pour mettre fin à la guerre de Corée, l’armistice avait été conclu par les États-Unis (parlant au nom de l’ONU, puisqu’ils dirigeaient l’intervention armée au nom des Nations unies), la Corée du Nord et la Chine, avec l’Union soviétique en coulisses. Les négociations avaient démarré en 1951 mais n’avaient abouti qu’après la mort de Staline. Et la Corée du Sud, ne voulant pas renoncer à la réunification du pays, avait refusé de signer l’accord. Bref, la diplomatie n’avait pas tout réglé mais, au moins, les armes se sont tues…

On ne sait pas encore qui signera un jour l’accord qui mettra fin à la guerre en Ukraine. Et pourtant, si ce jour semble aujourd’hui éloigné, il n’est pas trop tôt pour l’envisager et pour le préparer.

Maxime Lefebvre, Affiliate professor, ESCP Business School

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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