Russie: commerce trouble et lutte d’influence autour des orques et bélugas

22 février 2019 10:15 Mis à jour: 22 février 2019 10:27

Le sort de dizaines d’orques et de bélugas capturés pendant l’été en Russie pour alimenter des aquariums au delà de ses frontières a mis en lumière un commerce trouble et provoqué une intense lutte d’influence au sein des autorités, divisées sur leur libération.

La Russie est le seul pays où ces mammifères marins peuvent être capturés en plein océan à des fins « pédagogiques », une faille juridique utilisée par les trafiquants pour vendre des animaux à l’étranger, en particulier en Chine, où se développe un réseau de parcs à thème marins. Cette pratique a récemment déclenché une vague de protestations après la diffusion de photographies de 11 orques et 87 bélugas entassés dans de petits points d’eau à Nakhodka, une ville de l’Extrême Orient russe.

« Il n’y a jamais eu dans le monde autant d’animaux capturés en une seule saison et gardés en un seul endroit », souligne Dmitri Lissitsyne, à la tête de l’organisation environnementale Sakhalin Watch, en campagne pour la libération des mammifères. Sous la pression de l’opinion publique, les enquêteurs russes ont lancé deux enquêtes pour « braconnage » et « mauvais traitement » des cétacés, tandis que les autorités ont annoncé avoir refusé d’émettre des permis pour leur exportation.

L’enquête pourrait toutefois durer plusieurs mois, comme un éventuel procès. Si le ministère de l’Environnement appelle à leur libération immédiate, l’agence gouvernementale chargée de la pêche, qui dépend du ministère de l’Agriculture, fait valoir la légalité de leur capture. La population d’orques se divise entre celle qui se nourrit de poissons et celle qui se nourrit de phoques, et elles ne se reproduisent pas entre elles.

Le ministère de l’Environnement a tenté de classer comme espèce en danger les consommateurs de phoques, dont la population est estimée à seulement 200 adultes et qui est tout autant visée par les braconniers. Le ministère de l’Agriculture voit pour sa part les orques comme un « gros problème » pour les réserves de poisson de la Russie et refuse de les reconnaître comme une espèce en danger d’extinction. Les deux ministères ne sont pas parvenus à un compromis.

Si les chercheurs considèrent qu’une libération ne devrait pas poser problème, l’agence russe chargée de la pêche assure pour sa part que leur remise dans la nature « risque fortement de mener à leur mort en masse ». Si une exportation semble désormais peu probable, le sort des cétacés reste incertain, et selon M. Lissitsyne, c’est le président Vladimir Poutine qui pourrait trancher.

Ce bras de fer a pris une tournure géopolitique lors d’une récente conférence à Moscou, lorsque Alexandre Pozdniakov, un entrepreneur lié aux sociétés gardant les baleines à Nakhodka, y a vu un enjeu de concurrence avec les Etats-Unis pour le marché chinois. « Ce marché va être repris par des entreprises américaines », a-t-il plaidé… sans préciser que la capture d’orques sauvages avait cessé aux Etats-Unis dans les années 1970 en raison de l’opposition de l’opinion publique.

Il y a en Chine 74 parcs à thème marins avec baleines et dauphins, selon les chiffres officiels, et d’autres sont en construction. Tous les 17 orques exportés par la Russie depuis 2013, à plus d’un million de dollar pièce, l’ont ainsi été à destination de la Chine. « Les orques sont les stars des shows », a relevé Oganes Targoulian, militante de Greenpeace, lors d’une récente manifestation.

Si l’opposition à la captivité des mammifère marins est très forte dans les pays occidentaux, le public russe est davantage divisé. Et les compagnies qui les gardent en captivité ne lâchent pas prise: elles ont lancé le weekend dernier un compte Instagram promouvant les installations de Nakhodka. Mi-février, des dizaines de personnes ont perturbé une manifestation en faveur de la libération des baleines, tenant des panneaux « Chaque orque représente dix emplois ».

Les scientifiques, eux, s’organisent en vue de la libération des baleines. « Il n’y a jamais eu autant de libérations d’animaux dans le passé », relève Dmitri Glazov, chercheur à l’Institut Severtsov. Tout en nécessitant une période d’adaptation, la libération d’une telle quantité de mammifères marins serait « inestimable pour la science », juge le scientifique. « Mais il faut d’abord qu’une telle décision soit prise. »

D.C avec AFP

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