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États-UnisStratégie de sécurité nationale des États-Unis : Washington expose les lignes de sa nouvelle doctrine
DECRYPTAGE - Contrôle strict des frontières, hégémonie réaffirmée dans l’hémisphère occidental, mises en garde sur « l’effacement civilisationnel de l’Europe », désengagement du Moyen-Orient, rivalité structurante avec la Chine : la stratégie de sécurité nationale publiée par Washington marque un tournant doctrinal. Un document qui redessine les priorités américaines pour les années à venir dans un monde en recomposition.

Photo: SAUL LOEB/AFP via Getty Images
En publiant le 4 décembre sa stratégie de sécurité nationale, l’administration Trump a posé les fondements doctrinaux de sa politique étrangère pour les années à venir. Ce document de trente-trois pages, exercice obligé pour tout président américain, se distingue par sa clarté et son refus des ambiguïtés diplomatiques habituelles. Là où ses prédécesseurs multipliaient les objectifs et diluaient les priorités, ce texte assume des choix tranchés et une hiérarchie nette des intérêts américains.
Dans sa préface, Donald Trump revendique un bilan déjà substantiel : en neuf mois, son administration aurait contribué à la résolution de huit conflits internationaux, du différend cambodgien-thaïlandais à la guerre de Gaza, en passant par les tensions indo-pakistanaises et le dossier nucléaire iranien. Si ces affirmations appellent naturellement des nuances, elles traduisent une ambition diplomatique que même ses détracteurs peinent à nier : celle d’un président qui se veut artisan de paix par la démonstration de force.
Souveraineté et contrôle des frontières
Le rapport place la question migratoire au cœur de la sécurité nationale. « L’ère des migrations de masse doit prendre fin », est-il énoncé dans le document, qui fait du contrôle des frontières une priorité capitale de la stratégie de défense et exhorte le pays « à se protéger contre toute invasion ». Cette hiérarchisation, qui peut surprendre dans un texte traditionnellement centré sur les menaces militaires, répond à une logique assumée : pour l’administration Trump, la souveraineté d’un État se mesure d’abord à sa capacité à maîtriser qui entre sur son territoire.
Le texte dresse un constat sévère des politiques migratoires occidentales des dernières décennies. Selon le rapport, les flux migratoires non maîtrisés ont « épuisé les ressources nationales » des pays d’accueil, contraignant les budgets publics à financer l’intégration de populations nouvelles au détriment d’autres priorités. Le document pointe également une « augmentation de la violence et des crimes », établissant un lien entre immigration incontrôlée et insécurité, un sujet qui alimente les débats politiques des deux côtés de l’Atlantique.
Plus fondamentalement, le rapport identifie dans les migrations de masse une menace pour la cohésion sociale des nations d’accueil. L’arrivée rapide de populations aux cultures, langues et traditions différentes participe, selon le texte, d’un « affaiblissement de la cohésion sociale » et d’une « distorsion des marchés du travail », les travailleurs immigrés exerçant une pression à la baisse sur les salaires des emplois peu qualifiés.
Le document va plus loin en établissant un lien direct entre immigration et sécurité nationale au sens strict. Les frontières poreuses facilitent non seulement l’immigration clandestine, mais aussi « le terrorisme, le trafic de drogue, l’espionnage et la traite des êtres humains ». Le rapport rappelle que les cartels mexicains exploitent les routes migratoires pour acheminer le fentanyl vers les États-Unis, une drogue responsable de dizaines de milliers de morts par overdose chaque année.
Le texte propose également une lecture géopolitique du phénomène migratoire. Les flux de population sont parfois instrumentalisés par des acteurs étatiques hostiles, qui encouragent les départs vers l’Occident pour déstabiliser les sociétés d’accueil. Le rapport dénonce la « manipulation cynique » du système d’immigration américain par des intérêts étrangers cherchant à « constituer des blocs électoraux loyaux » au sein même des États-Unis. Une accusation qui inscrit donc la question migratoire dans le registre de l’ingérence étrangère.
Face à ces défis, le document appelle à une refonte complète de la politique migratoire. Il ne s’agit plus seulement de « réguler » ou de rendre les flux « ordonnés », mais de les réduire drastiquement. Le rapport plaide pour une coopération internationale d’un nouveau type, où les nations souveraines travailleraient ensemble non pas à faciliter les migrations, mais à les « stopper ». Les pays d’origine et de transit seraient mis à contribution pour retenir leurs populations et démanteler les réseaux de passeurs.
Cette vision restrictive s’accompagne d’une réflexion sur les critères d’admission. Le rapport réhabilite une conception historique de la citoyenneté, rappelant que « tout au long de l’histoire, les nations souveraines ont interdit les migrations incontrôlées et n’ont accordé la citoyenneté aux étrangers que rarement, et selon des critères exigeants ». L’immigration choisie, sélective et limitée, est présentée comme la norme historique dont les dernières décennies auraient constitué une aberration coûteuse.
Cette analyse, qui fait écho aux préoccupations d’une large partie de l’électorat américain, s’inscrit dans un mouvement plus vaste de remise en question observable dans de nombreuses démocraties occidentales. Le rapport ne fait pas de la fermeture des frontières une fin en soi, mais un préalable à toute politique de sécurité cohérente et à la préservation de ce qu’il nomme « la survie des États-Unis en tant que république souveraine ».
Europe : un diagnostic au vitriol
Le rapport se montre sans doute le plus incisif lorsqu’il aborde l’Europe, au risque de froisser certaines sensibilités. Plusieurs pages y sont consacrées, dressant un tableau clinique des faiblesses structurelles du vieux continent. Cette attention particulière traduit paradoxalement l’importance que Washington continue d’accorder à son allié historique : on ne s’inquiète pas avec autant de minutie pour un partenaire dont on se désintéresse. D’ailleurs, le gouvernement appelle à « promouvoir la grandeur européenne ».
Le constat économique ouvre le réquisitoire. Le document souligne que la part de l’Europe continentale dans le PIB mondial a chuté de 25 % en 1990 à seulement 14 % aujourd’hui. Ce déclin relatif, attribué en partie aux « réglementations nationales et transnationales qui sapent la créativité et l’esprit d’entreprise », témoignerait d’un décrochage structurel face à des économies plus dynamiques. La politique énergétique européenne est particulièrement pointée du doigt : selon le rapport, l’obsession pour la « neutralité carbone » et les idéologies écologistes auraient « grandement nui à l’Europe » tout en « subventionnant nos adversaires ».
Mais c’est sur le plan civilisationnel que le diagnostic se fait le plus sévère. La formule selon laquelle « le continent sera méconnaissable dans vingt ans ou moins » a provoqué de vives réactions, notamment à Berlin. Le ministre allemand des Affaires étrangères, Johann Wadephul, a rétorqué que l’Allemagne n’avait pas besoin de « conseils venant de l’extérieur » sur la « liberté d’expression » ou « l’organisation des sociétés libres ». Cette réaction souligne la sensibilité extrême du sujet.
Le rapport identifie plusieurs facteurs de ce qu’il qualifie de risque d’« effacement civilisationnel ». Les politiques migratoires figurent en première ligne : elles « transforment le continent et créent des tensions » sans que les sociétés d’accueil parviennent à intégrer pleinement les nouveaux arrivants. Le texte établit un lien direct entre immigration de masse et perte d’identité nationale.
La question démographique constitue un autre point de préoccupation majeur. L’« effondrement des taux de natalité » en Europe est présenté comme une menace existentielle à long terme. Cette analyse rejoint les travaux de nombreux démographes, qui s’inquiètent du vieillissement accéléré des populations européennes et de ses conséquences sur les systèmes de protection sociale, le dynamisme économique et, en fin de compte, sur la capacité de défense du continent.
Sur le plan stratégique, le rapport s’inquiète ouvertement de l’avenir même de l’Alliance atlantique dans sa forme actuelle. Selon le document, « il est plus que plausible que, d’ici quelques décennies, certains membres de l’OTAN deviennent majoritairement non-européens ». Il s’interroge avec une franchise déconcertante : ces pays « percevront-ils leur place dans le monde, ou leur alliance avec les États-Unis, de la même manière que ceux qui ont signé la charte » en 1949 ? La question sous-entend que l’OTAN pourrait perdre sa raison d’être si l’Europe cesse d’être culturellement européenne.
Le rapport dénonce également ce qu’il perçoit comme une dérive autoritaire au sein même des démocraties européennes. Il pointe la « censure de la liberté d’expression et la répression de l’opposition politique », en mentionnant les législations sur les « discours de haine » et la régulation des réseaux sociaux comme autant d’atteintes aux libertés fondamentales.
L’Union européenne et ses institutions sont explicitement désignées comme des facteurs d’affaiblissement de l’Europe. Classées parmi ces « organisations transnationales qui sapent la souveraineté », elles chercheraient à « dissoudre la souveraineté des États individuels ». Cette critique du projet européen tel qu’il s’est construit depuis Maastricht traduit une défiance profonde envers le fédéralisme bruxellois. Washington plaide pour une Europe composée de « nations souveraines alignées » plutôt qu’une entité supranationale aux compétences croissantes.
Le rapport manifeste sa sympathie pour les mouvements politiques qui contestent cette orientation. Il appelle à « cultiver la résistance à la trajectoire actuelle de l’Europe » et salue « l’influence croissante des partis patriotiques européens » comme un « motif de grand optimisme ».
Par ailleurs, il recommande de « mettre fin à la perception, et prévenir la réalité, d’une OTAN comme alliance en perpétuelle expansion », une critique implicite des élargissements successifs vers l’Est, présentés par Moscou comme une menace existentielle.
Sur le conflit russo-ukrainien, le rapport souligne qu’il est d’un « intérêt fondamental pour les États-Unis de négocier une cessation rapide des hostilités ». Selon le document : « L’administration Trump se trouve en désaccord avec des responsables européens qui nourrissent des attentes irréalistes à l’égard de la guerre, alors qu’ils siègent dans des gouvernements minoritaires instables, dont beaucoup bafouent les principes fondamentaux de la démocratie pour réprimer l’opposition. Une large majorité européenne souhaite la paix, mais ce désir ne se traduit pas en politique, en grande partie à cause de la subversion des processus démocratiques par ces gouvernements. Cela revêt une importance stratégique pour les États-Unis, précisément parce que les États européens ne peuvent pas se réformer s’ils sont coincés dans une crise politique. »
Les objectifs de Washington sont clairs : stabiliser les économies européennes, prévenir tout risque d’escalade ou d’extension du conflit, et « rétablir la stabilité stratégique avec la Russie ». Le rapport insiste aussi sur la nécessité de permettre « la reconstruction post-hostilités de l’Ukraine pour assurer sa survie en tant qu’État viable ».
Le document note en outre que la guerre a eu « l’effet pervers d’accroître les dépendances extérieures de l’Europe, notamment de l’Allemagne ». Privées de gaz russe, les industries chimiques allemandes construisent désormais leurs plus grandes usines en Chine, utilisant du gaz russe qu’elles ne peuvent plus obtenir chez elles. Cette ironie, souligne le rapport, illustre l’échec de la stratégie européenne de sanctions.
Malgré ces critiques acerbes, le rapport reconnaît que l’Europe « reste stratégiquement et culturellement vitale pour les États-Unis ». Le commerce transatlantique demeure un pilier de l’économie mondiale et de la prospérité américaine. Les secteurs européens, de l’industrie à la technologie en passant par l’énergie, comptent parmi les plus robustes au monde. L’Europe abrite également des institutions culturelles et des centres de recherche de premier plan. « Nous ne pouvons pas nous permettre de tourner le dos à l’Europe », concède le texte, avant d’ajouter : « Ce serait contraire aux objectifs de cette stratégie. »
Washington souhaite donc une Europe « forte », « confiante » et capable d’assurer sa propre défense. Le message, sous des dehors critiques, constitue aussi un appel à la responsabilisation. Les États-Unis veulent des alliés qui croient en eux-mêmes, défendent leur identité et leur souveraineté, et investissent massivement dans leur propre sécurité. « Nous voulons travailler avec des pays alignés qui souhaitent restaurer leur ancienne grandeur », conclut le rapport. Une main tendue, assortie de conditions exigeantes.
L’hémisphère occidental : le retour de la doctrine Monroe
L’une des innovations conceptuelles majeures du document réside dans le « corollaire Trump à la doctrine Monroe ». Cette référence historique n’est pas anodine : en 1823, le président Monroe posait le principe d’une Amérique latine soustraite aux ingérences européennes. Deux siècles plus tard, Washington actualise cette doctrine face à de nouveaux acteurs, notamment la Chine, dont les investissements massifs dans la région inquiètent les stratèges américains.
Le rapport assume une volonté de réaffirmer la prééminence américaine dans son voisinage immédiat. Cette approche, qui peut sembler hégémonique vue d’Europe, répond à des préoccupations concrètes : sécurisation des chaînes d’approvisionnement, lutte contre les trafics de drogue et d’êtres humains, stabilisation de pays dont l’instabilité génère des flux migratoires vers le nord. Le texte propose une stratégie en deux volets, « enrôler et étendre », visant à associer les partenaires régionaux à ces objectifs communs plutôt qu’à leur imposer unilatéralement.
Sur la question des cartels, le rapport marque une inflexion notable en assumant le recours à des moyens militaires. Cette évolution, qui rompt avec l’approche exclusivement judiciaire des administrations précédentes, traduit la conviction que les méthodes traditionnelles ont montré leurs limites face à des organisations criminelles disposant parfois de moyens supérieurs à ceux de certains États.
Chine : rééquilibrer une relation déséquilibrée
Sans surprise, la Chine occupe une place centrale dans ce document stratégique. L’Asie-Pacifique, rappelle le rapport, représente déjà près de la moitié du PIB mondial en parité de pouvoir d’achat et un tiers en valeur nominale. Cette part ne fera que croître au cours du XXIe siècle, faisant de la région « l’un des champs de bataille économiques et géopolitiques clés » des décennies à venir. Pour prospérer chez eux, les Américains doivent réussir là-bas.
Le rapport se distingue par la sévérité de son diagnostic historique. Depuis l’ouverture économique de 1979, les relations commerciales sino-américaines auraient été « fondamentalement déséquilibrées ». Ce qui avait commencé comme un échange entre une économie mature et l’un des pays les plus pauvres du monde s’est transformé en une compétition entre quasi-égaux, sans que la posture américaine n’évolue en conséquence. Le texte accuse sans détour « les élites américaines – sur quatre administrations successives des deux partis » d’avoir été « soit des facilitateurs consentants de la stratégie chinoise, soit dans le déni ».
Le réquisitoire économique est méthodique. Le rapport dénonce les « subventions massives dirigées par l’État », les « pratiques commerciales déloyales », la « destruction d’emplois et la désindustrialisation » américaines, le « vol de propriété intellectuelle à grande échelle » et l’« espionnage industriel ». Il pointe également les menaces pesant sur les chaînes d’approvisionnement, notamment l’accès aux minéraux critiques et aux terres rares dont la Chine contrôle une part substantielle de la production mondiale.
Au-delà de l’économie, le document identifie des menaces d’ordre sécuritaire et sociétal. Les « exportations de précurseurs de fentanyl » qui alimentent l’épidémie d’opioïdes américaine sont explicitement mentionnées, tout comme les « opérations de propagande et d’influence » et les « formes de subversion culturelle ». Cette lecture globalisante fait de la Chine non seulement un concurrent commercial, mais un adversaire systémique dont l’influence s’exercerait sur tous les fronts.
Le rapport note que Pékin a su s’adapter aux droits de douane imposés à partir de 2017 en renforçant son emprise sur les chaînes d’approvisionnement mondiales, notamment dans les pays à revenus faibles et intermédiaires. Les exportations chinoises vers ces pays ont doublé entre 2020 et 2024, et la Chine continue d’exporter vers les États-Unis via des pays tiers comme le Mexique. Si les exportations directes vers l’Amérique sont passées de 4 % à 2 % du PIB chinois, l’interdépendance demeure, simplement plus diffuse et plus difficile à contrer.
Face à ce constat, le document ne préconise pas une rupture brutale, mais un « rééquilibrage » fondé sur la réciprocité et l’équité. L’objectif est de restaurer l’indépendance économique américaine tout en maintenant des échanges commerciaux « équilibrés et concentrés sur des secteurs non sensibles ». Le rapport fixe un cap ambitieux : porter l’économie américaine de 30 000 milliards de dollars en 2025 à 40 000 milliards dans les années 2030, consolidant ainsi la première place mondiale.
Cette ambition économique s’accompagne d’une stratégie d’alliance. Le texte rappelle que les États-Unis et leurs partenaires, alliés formels et pays amis, représentent ensemble 65 000 milliards de dollars de PIB, soit plus de la moitié de l’économie mondiale. Cette masse critique doit être mobilisée pour « contrecarrer les pratiques économiques prédatrices » et empêcher que les économies alliées ne deviennent « subordonnées à une puissance concurrente ». Le Quad (États-Unis, Japon, Australie, Inde) est mentionné comme un format prometteur de coopération.
Sur le plan militaire, le rapport insiste sur le maintien d’une capacité de dissuasion crédible dans l’Indo-Pacifique. La question taïwanaise est abordée avec une prudence calculée : Washington confirme sa politique traditionnelle, refusant de soutenir « tout changement unilatéral du statu quo dans le détroit de Taïwan ». Mais le texte souligne l’importance stratégique de l’île, qui « fournit un accès direct à la deuxième chaîne d’îles et divise l’Asie du Nord-Est et du Sud-Est en deux théâtres distincts ». Sa domination de la production mondiale de semi-conducteurs ajoute une dimension économique cruciale à l’enjeu sécuritaire.
Le contrôle de la mer de Chine méridionale constitue un autre point de vigilance. Le rapport rappelle qu’un tiers du commerce maritime mondial transite par ces eaux, et qu’une puissance hostile pourrait y imposer un « système de péage » ou en fermer l’accès à volonté. Pour prévenir ce scénario, le texte appelle à renforcer les capacités navales américaines et à approfondir la coopération avec tous les pays riverains, « de l’Inde au Japon ».
Le document exhorte également les alliés de la première chaîne d’îles (Japon, Corée du Sud, Philippines, Taïwan) à accroître significativement leurs dépenses de défense et à investir dans des capacités de déni d’accès. L’objectif est de « construire une force militaire capable de repousser toute agression » dans cette zone, tout en répartissant le fardeau de manière plus équitable. L’armée américaine, insiste le rapport, « ne peut pas et ne devrait pas avoir à faire cela seule ».
Enfin, le texte met l’accent sur la compétition technologique. Les États-Unis doivent préserver leur avance dans les domaines qui définiront l’avenir de la puissance militaire : intelligence artificielle, informatique quantique, systèmes autonomes, technologies sous-marines et spatiales. Le rapport appelle à des investissements massifs dans la recherche fondamentale et à une dérégulation ciblée pour stimuler l’innovation. La course technologique avec la Chine est présentée comme une clé de voûte de la compétition stratégique.
Moyen-Orient : un désengagement mesuré
Pendant un demi-siècle, le Moyen-Orient a dominé la politique étrangère américaine. Les raisons en étaient évidentes : la région fournissait l’essentiel de l’énergie mondiale, constituait un théâtre majeur de la compétition entre superpuissances, et abritait des conflits menaçant de déborder sur le reste du monde, voire de frapper le territoire américain. Le rapport constate que deux de ces trois dynamiques ne tiennent plus.
Les sources d’approvisionnement énergétique se sont considérablement diversifiées. Les États-Unis sont redevenus exportateurs nets d’énergie grâce à la révolution du schiste, réduisant leur dépendance au pétrole du Golfe. Cette autonomie retrouvée modifie fondamentalement le calcul stratégique : Washington peut désormais se permettre un regard plus distant sur une région qui a consumé tant de ressources américaines.
La compétition entre grandes puissances, elle aussi, s’est déplacée. L’Indo-Pacifique a supplanté le Moyen-Orient comme principal théâtre de rivalité stratégique. La Russie et la Chine y maintiennent certes une présence, mais le rapport suggère que celle-ci peut être contenue sans mobilisation américaine massive. Les partenaires régionaux – Israël, pays du Golfe, Turquie – disposent de capacités suffisantes pour assurer l’essentiel de leur propre sécurité.
Le document dresse un bilan positif des récentes évolutions régionales. L’Iran, identifié comme « la principale force déstabilisatrice de la région », aurait été « considérablement affaibli » par les actions israéliennes depuis le 7 octobre 2023 et par l’opération américaine « Midnight Hammer » de juin 2025, qui aurait « significativement dégradé le programme nucléaire iranien ». Cette neutralisation du principal fauteur de troubles permettrait d’envisager une reconfiguration stratégique.
Le conflit israélo-palestinien, reconnaît le texte, demeure épineux. Mais le cessez-le-feu négocié par l’administration Trump et la libération des otages auraient ouvert la voie à des progrès vers une paix plus durable. Le rapport note que les principaux soutiens du Hamas ont été affaiblis ou se sont désengagés. Quant à la Syrie, bien que ce pays demeure « un potentiel problème », elle pourrait, avec le soutien américain, arabe, israélien et turc, « se stabiliser et reprendre sa place légitime comme acteur positif et intégré de la région ».
Les Accords d’Abraham, héritage du premier mandat Trump, sont célébrés comme une percée historique que le rapport appelle à élargir. L’objectif est d’étendre cette normalisation à d’autres pays de la région et du monde musulman, créant un réseau d’alliances capable de contenir les dernières poches d’instabilité. La capacité du président Trump à « unir le monde arabe à Charm el-Cheikh en faveur de la paix et de la normalisation » est présentée comme une condition du recentrage américain sur d’autres priorités.
Pour autant, le document rappelle que certains intérêts américains au Moyen-Orient demeurent non négociables. Les approvisionnements énergétiques du Golfe ne doivent pas tomber aux mains d’un ennemi déclaré. Le détroit d’Ormuz doit rester ouvert à la navigation internationale. La mer Rouge doit demeurer praticable. La région ne doit être ni un incubateur ni un exportateur de terrorisme contre les intérêts américains. Et la sécurité d’Israël reste un engagement fondamental.
Le rapport tire les leçons des « guerres sans fin » qui ont épuisé les ressources américaines depuis deux décennies. Ces conflits, affirme le texte, peuvent et doivent être abordés « idéologiquement et militairement » sans recourir à des décennies de « nation-building » stérile. L’Amérique conservera une capacité d’intervention, mais refusera désormais les enlisements au profit d’engagements ciblés et limités dans le temps.
Une vision réaliste des relations internationales
Le rapport assume également une forme de pragmatisme diplomatique : plutôt que d’imposer un modèle démocratique à des pays aux traditions différentes, Washington entend nouer des partenariats fondés sur des intérêts communs. Cette approche, moins moralisatrice que celle de ses prédécesseurs, pourrait faciliter certains rapprochements tout en suscitant des interrogations légitimes sur la place des valeurs dans la diplomatie américaine.
Le texte accorde également une attention particulière à la dimension économique de la sécurité nationale. Réindustrialisation, souveraineté énergétique, protection des chaînes d’approvisionnement : autant de priorités qui traduisent une prise de conscience des vulnérabilités révélées par la crise du Covid-19 et les tensions géopolitiques récentes. L’objectif de « dominance énergétique », notamment, vise à faire des États-Unis non seulement un pays autosuffisant, mais un exportateur majeur capable de réduire la dépendance de ses alliés envers des fournisseurs hostiles.
Reste à observer comment cette doctrine se traduira dans les faits. Car un document stratégique n’est jamais qu’une déclaration d’intentions, que les réalités géopolitiques se chargent souvent de nuancer.

Etienne Fauchaire est un journaliste d'Epoch Times basé à Paris, spécialisé dans la politique française et les relations franco-américaines.
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