Trudeau s’en prend aux inégalités

27 mars 2016 01:31 Mis à jour: 28 mars 2016 02:39

OTTAWA – Le premier budget du gouvernement libéral vise à s’attaquer aux inégalités grandissantes et à renforcer la classe moyenne. Les progressistes y voient un pas dans la bonne direction, les conservateurs dénoncent le déficit que cela va engendrer et l’ex-directeur parlementaire du budget se demande ce qui en résultera vraiment.

Les critiques au sujet du déficit projeté de 30 milliards de dollars sont prévisibles et discutables, mais le flou concernant à qui profite le budget est un problème différent.

Le gouvernement a refusé de définir, d’une manière quantifiable, ce qui constitue la classe moyenne. Presque chaque Canadien estime faire partie de la classe moyenne mais, en réalité, c’est un groupe beaucoup plus étroit qui profitera de mesures prochainement adoptées comme la baisse d’impôts pour la classe moyenne.

C’est un problème pour un budget intitulé Assurer la croissance de la classe moyenne, selon l’ex-directeur parlementaire du budget Kevin Page, la personne autrefois chargée de fournir au Parlement une perspective indépendante sur les finances du pays et les programmes fédéraux.

« Il est difficile de comprendre ce qu’ils vont accomplir avec ce budget », affirme M. Page en entrevue.

Il suggère que le gouvernement puisse indiquer un niveau de revenu ou certaines caractéristiques pour décrire ceux qu’ils ciblent.

Le député libéral Rob Oliphant mentionne que définir la « classe moyenne » est plus facile à dire qu’à faire en raison des importantes différences régionales au Canada. Utiliser des indicateurs comme le revenu ou l’accès à une propriété est compliqué lorsqu’une maison au Nouveau-Brunswick coûte le cinquième d’une maison à Vancouver.

« C’est pratiquement un art, et non une science, de déterminer ce qu’est la classe moyenne », estime M. Oliphant.

Beaucoup de gens ont demandé au ministre des Finances, Bill Morneau, de définir la « classe moyenne ». Il évite normalement la question, mais le 22 mars lors d’une conférence de presse sur le budget, il a affirmé à Epoch Times qu’il se réfère aux gens qui peinent à maintenir une qualité de vie décente.

« Que veut dire la classe moyenne ? Ça veut dire les gens inquiets de ne pas avoir d’emploi pendant 20 ans. Contrairement à la génération précédente, ils ne peuvent s’attendre à conserver le même emploi durant 20 ans », a-t-il dit.

« Ce sont les gens qui disent “Ma retraite ne sera pas aussi facile que celle de la génération précédente en raison de la volatilité de la bourse”. Ce sont les gens inquiets de ne pas avoir assez d’argent pour envoyer leurs enfants à l’université. »

M. Morneau affirme que ces Canadiens sont affectés par les coûts de la vie qui augmentent et des revenus qui n’ont pas vraiment suivi durant les 30 dernières années. Ce n’est pas vraiment le genre de définition qu’espérait Kevin Page ni ce que les économistes ou les vérificateurs peuvent mesurer, mais ça peut résonner chez les Canadiens.

« C’est une série de mesures »

Cela devient confondant pour les alliés progressistes des libéraux lorsque la baisse d’impôts de 2 % pour ceux qui font entre 45 000 $ et 90 500 $ est qualifiée de « baisse d’impôts pour la classe moyenne » alors qu’elle ne touche pas ceux qui se trouvent dans la médiane nationale (environ 30 000 $).

M. Morneau a indiqué que la baisse d’impôts va profiter à 9 millions de Canadiens avec une moyenne de 330 $ par année pour un individu et 540 $ pour une famille, mais seuls ceux qui font plus de 90 400 $ – les 10 % les plus riches – verront le plus gros avantage, selon le Centre canadien des politiques alternatives (CCPA).

« Ça profite certainement plus aux Canadiens les plus riches », souligne David MacDonald, économiste principal au CCPA.

Le député libéral Rob Oliphant affirme que le budget de son parti vise à aider un grand nombre de Canadiens. (Matthew Little/Epoch Times)
Le député libéral Rob Oliphant affirme que le budget de son parti vise à aider un grand nombre de Canadiens. (Matthew Little/Epoch Times)

Rob Oliphant affirme que la baisse d’impôts doit être considérée dans le contexte des autres mesures du budget, comme l’Allocation canadienne pour enfants.

« C’est une série de mesures. Nous ne pouvons isoler l’Allocation canadienne pour enfants des mesures sur l’impôt sur le revenu, cela fait partie d’une structure sociale qui va aider tout le monde. »

L’allocation pour enfants est l’une des mesures du budget les plus applaudies. Elle est libre d’impôts et offre des paiements plus élevés pour les parents aux revenus moindres, elle disparaît pratiquement pour ceux qui font près de 200 000 $. Elle remplace trois programmes existants, dont la Prestation universelle pour la garde d’enfants du gouvernement conservateur qui offrait une somme égale, peu importe le niveau de revenu.

Plutôt que de tenter de mesurer les effets du budget sur certaines tranches de revenus, M. Oliphant affirme que le budget devrait être évalué sur une base qualitative.

« Est-ce que les gens se sentent moins bien, pareils ou mieux après ce budget. »

M. Oliphant admet que cette évaluation est éphémère mais, selon lui, les perceptions sont importantes.

« C’est ce qui suscite la confiance des investisseurs, ce qui suscite la confiance des consommateurs. »

Il ajoute que la seule mesure objective qui compte vraiment est la performance économique à grande échelle au cours des trois prochaines années.

Grandes ambitions

Les libéraux ont de grandes ambitions pour leur nouveau mandat. Renforcer la classe moyenne implique de lutter contre les tendances internationales qui réduisent les revenus de la classe moyenne alors que les emplois dans le secteur manufacturier disparaissent.

De nos jours, les emplois à revenus moyens nécessitent des études poussées et une éducation permanente. Les libéraux tentent de répondre à ce besoin en augmentant la Bourse d’étude canadienne non remboursable de 50 %, soit de 2000 $ à 3000 $ pour les étudiants venant de familles à faibles revenus. Cette mesure a été applaudie par les deux plus grandes associations étudiantes du pays.

Il sera toutefois difficile de renverser des tendances plus grandes, comme l’endettement croissant des ménages. La Banque du Canada a conservé ses taux d’intérêt bas pour encourager l’emprunt afin d’atteindre ses objectifs d’inflation, mais en conséquence les Canadiens ont emprunté des sommes records.

Le problème est assez important pour que le Fonds monétaire international avise, en mars 2015, que le Canada doit augmenter sa vigilance pour éviter les risques systémiques aux marchés financiers.

Cela affecte aussi les sentiments des Canadiens, souligne Kevin Page.

« Il y a un stress dans la classe moyenne », affirme-t-il, utilisant le terme de manière générale. « Ils sont stressés parce que leurs dettes augmentent plus vite que leurs revenus. »

Le budget se penche en partie sur cela en tentant d’abaisser les dépenses des Canadiens en augmentant l’aide par l’entremise de programmes sociaux.

Équilibre impossible

Les libéraux ont aussi promis que les plus riches paieraient davantage avec, par exemple, un nouveau palier d’imposition de 33 % sur les revenus supérieurs à 200 000 dollars. Plus importantes sont les mesures dans le budget pour renforcer l’Agence du revenu du Canada (ARC).

Le budget alloue 440 millions de dollars sur cinq ans pour aider l’ARC à s’attaquer à l’évasion et à l’évitement fiscal.

« C’est assez bon », affirme Dennis Howlett, directeur exécutif de Canadiens pour une fiscalité équitable.

L’ARC obtiendra également 351,6 millions sur cinq ans pour mieux percevoir les impôts en souffrance. Combinées, ces deux mesures pourraient augmenter les revenus du gouvernement de 10 milliards de dollars sur cinq ans.

Les groupes progressistes comme celui de M. Howlett sont toutefois déçus que les libéraux aient abandonné la promesse d’imposer pleinement les gains en option d’achat d’actions de plus de 100 000 dollars.

« C’est un milliard de dollars qui vont au 1 % des plus riches pdg. C’est la niche fiscale la plus flagrante », dénonce M. Howlett.

Le ministre de Finances a annulé cette mesure après que se sont plaintes les nouvelles entreprises qui utilisent les options d’achat d’actions pour attirer les individus doués.

Cette décision met en lumière l’équilibre impossible que cherchent les gouvernements : financer les programmes sociaux que désirent les Canadiens dans le cadre d’une économie mondiale chancelante et d’une opposition presque inébranlable aux impôts plus élevés.

Les déficits et les hausses d’impôts offriront de bonnes munitions aux conservateurs dans l’opposition, les libéraux devront travailler dur pour prouver que ceux-ci aident vraiment l’économie. Cela devient encore plus probant lorsque des déficits, spécialement comme celui-ci, ne semblent pas avoir de fin.

Kevin Page affirme que les baisses d’impôts, les améliorations à l’assurance-emploi, l’Allocation canadienne pour enfants et d’autres programmes ne semblent pas couverts par les revenus actuels.

« Nous finançons ces changements avec un déficit et le déficit semble structurel. Il ne va pas disparaître parce que ces programmes se poursuivent. »

De ce point de vue, les libéraux ont pris un pari. Ils doivent financer les programmes qu’ils ont promis aux Canadiens sans tomber trop dans le rouge. Cela implique de faire croître l’économie, d’augmenter les impôts ou de trouver d’autres manières d’épargner.

Seule la croissance économique est universellement approuvée. Si le gouvernement doit s’en remettre aux hausses d’impôts ou aux coupes dans les dépenses, la lune de miel de Trudeau avec l’électorat pourrait prendre fin plus tôt que prévu.

Version originale : Trudeau Takes Aim At Inequality

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