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Vogue du vegan en Allemagne : adieu la « currywurst » ?

juillet 12, 2018 14:54, Last Updated: juillet 12, 2018 14:54
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L’accord de coalition signé par l’Union chrétienne-démocrate (CDU-CSU) et le SPD, en mars 2018, prévoit de faire de l’Allemagne l’un des pays pionniers en matière de bien-être animal.

Mais dans un pays champion de l’exportation de produits d’élevage et où la viande est particulièrement bon marché, cet objectif semble difficilement réalisable à court terme.

Un label bien-être animal

L’accord de coalition prévoit toute une série de mesures en faveur du bien-être animal : investissements pour améliorer les structures des élevages, renoncement aux interventions non-curatives (épointage, etc.), interdiction de l’élimination des poussins mâles, développement d’alternatives à la castration des porcelets, réduction de l’utilisation des antibiotiques, engagement au niveau européen pour une réduction des temps de transport des animaux, etc.

Parmi les mesures envisagées, la mise en place d’un label officiel concernant le bien-être animal fait figure de mesure phare. Il s’agit de labéliser les produits carnés dont les producteurs s’engagent, de façon volontaire, à aller au-delà des prescriptions légales en matière de bien-être animal.

Ce projet qui avait été amorcé sous le précédent gouvernement sans déboucher sur sa réalisation concrète est désormais de la responsabilité de la nouvelle ministre de l’Alimentation et de l’Agriculture, Julia Klöckner (CDU). Le label devrait distinguer trois niveaux de qualité et d’exigence. Les producteurs, désireux de s’engager davantage pour le bien-être animal pourraient donc apposer ce label sur leurs produits vendus dans les supermarchés ou distribués auprès des restaurateurs.

Les éleveurs participant à l’initiative privée, « Initiative Tierwohl », lancée en 2015 par plusieurs chaînes de supermarchés, dont Aldi et Lidl, seront les premiers à être concernés par le programme. Les produits carnés affichant ce label devraient apparaître dans les rayons des supermarchés en 2021.

Une ferme participant au programme Initiative Tierwohl (ici en 2016). (Ökodorf Brodowin/Wikimedia, CC BY-SA)

Toutefois, le marché potentiel est estimé à seulement 20 % de l’ensemble du marché de la viande – ce qui signifie que cette viande haut de gamme continuera de voisiner dans les magasins avec la viande à bas prix dont la production ne respecte guère le bien-être animal.

Les premiers animaux d’élevage concernés seront les cochons, dans la mesure où la viande de porc est traditionnellement la plus consommée en Allemagne. L’introduction d’un tel label intervient dans un contexte tendu pour la filière de l’élevage allemand. En effet, en 2017, la consommation de viande a baissé, de même que la production, tandis que la question même de l’acceptabilité de l’élevage est posée par le développement d’un fort mouvement vegan dans le pays.

Une baisse sensible de la consommation de viande en Allemagne

Les chiffres publiés par l’Agence fédérale pour l’agriculture et l’alimentation font état d’une baisse de la consommation de viande en Allemagne qui est passée sous la barre des 60 kg par an et par personne en 2017.

Il s’agit là du niveau le plus bas jamais atteint depuis vingt ans et comparable à la situation rencontrée lors de la crise de la vache folle. Si la viande de porc constitue toujours la viande la plus consommée dans le pays, on observe une hausse de la consommation de bœuf et de poulet.

Plusieurs raisons expliquent ce déclin de la consommation de viande : la plus grande fréquence des repas pris en dehors du domicile où l’on sert des portions de viande plus réduites, le vieillissement de la population dans la mesure où les personnes âgées consomment moins de viande, l’impact des scandales sanitaires et l’intérêt croissant pour les problématiques de santé qui font se diriger les consommateurs vers les alternatives à la viande de porc.

Une production qui a vraisemblablement atteint son apogée

Ces changements dans les habitudes de consommation ont des conséquences directes sur le sort des animaux d’élevage, puisqu’en 2017 8 millions d’animaux d’élevage de moins qu’en 2016 ont été abattus en Allemagne. Cette baisse concerne tous les animaux d’élevage, y compris les poulets, dont la viande est pourtant de plus en plus populaire. En effet, le poids des poulets abattus a augmenté par rapport à 2016, mais cela ne permet pas à l’Allemagne de couvrir ses besoins sans recours à l’importation.

Si en comparaison européenne, l’Allemagne occupe en 2017 la huitième place en ce qui concerne la consommation, elle fait partie des trois plus grands producteurs de viande avec la France et l’Espagne. L’Allemagne présente des atouts manifestes pour l’industrie de la viande, notamment des abattoirs aux coûts de revient particulièrement compétitifs. En effet, ce sont le plus souvent des travailleurs étrangers d’Europe de l’Est qui travaillent dans les abattoirs allemands dans des conditions particulièrement rudes.

Toutefois, de nombreux experts estiment que la production de la viande en Allemagne a atteint son apogée et qu’elle ne pourra vraisemblablement que décliner dans les années à venir, notamment en raison des exigences environnementales et relatives au bien-être animal de plus en plus fortes. La production de viande qui avait continué à progresser jusqu’en 2016 a donc baissé en 2017, de même que l’exportation de produits d’élevage ou bien le commerce des animaux vivants (import et export). Toutefois, les premiers chiffres disponibles au sujet du premier semestre 2018 indiquent une tendance inverse avec une légère hausse de 1,8 %.

Un mouvement vegan particulièrement fort

Si l’Allemagne a considérablement développé, ces dernières années, son industrie de la viande et du lait, elle se caractérise également par l’émergence d’un mouvement vegan particulièrement fort. En ce qui concerne la production de lait, l’Allemagne occupe la première position au sein de l’Union européenne. De nombreuses fermes usines pouvant compter jusqu’à 3 000 vaches ont été construites dans le nord et l’est du pays.

Ce fort productivisme explique certainement aussi, en partie, l’importance du mouvement vegan en Allemagne. D’après l’association végétarienne allemande VEBU, le pays compte 8 millions de végétariens (10 % de la population) et 1,3 million de vegans (1,6 %). C’est en Allemagne que le nombre de nouveaux produits vegan (sans aucune substance animale) mis sur le marché chaque année est le plus important en Europe.

Dans un restaurant vegan à Berlin, dans le quartier de Kreuzberg (en 2014). (Tony Webster/Flickr, CC BY-SA)

Berlin, avec ses très nombreux restaurants et magasins vegan, est souvent considérée comme la capitale du mouvement sur le continent européen. Les livres de cuisine vegan sont de véritables best-sellers (par exemple ceux d’Attila Hildmann, vendus à plus d’un million d’exemplaires), tandis que les supermarchés non-spécialisés distribuent de plus en plus de produits vegan, alimentaires ou cosmétiques. Un newsmagazine mensuel consacré à la question animale, Das Vegan Magazin, a réussi à s’installer durablement dans le paysage médiatique.

Le mouvement vegan rencontre particulièrement de succès auprès de la jeune génération. A Berlin, un restaurant universitaire 100 % végétarien/vegan a ainsi ouvert ses portes en 2010. Dans cette ville, et ailleurs en Allemagne, il est ainsi désormais possible de trouver relativement facilement des currywurst en version classique, végétarienne ou vegan.

Un impact politique limité

S’il apparaît probable que la consommation de viande continue ainsi de chuter dans les années à venir, on peut se demander si ce fort mouvement social en faveur du bien-être animal parviendra à faire bouger les lignes au niveau politique. Dans le monde germanique, ce sont plutôt l’Autriche et la Suisse qui font jusque-là figure de pionniers du bien-être animal.

Il faut noter, cependant, qu’un parti animaliste existe en Allemagne depuis plus de 25 ans et que les Verts allemands lors de la dernière campagne électorale avait inscrit dans leur programme la fin de l’élevage industriel d’ici vingt ans. Le programme de la coalition actuellement au pouvoir est évidemment bien plus mesuré. Reste à savoir quelle sera la portée des mesures envisagées ?

Julien Sellier, MCF d’allemand, Faculté d’AEI, IMAGER, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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