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À Vittel, la gestion de l’eau trouble

juin 9, 2023 8:54, Last Updated: juin 9, 2023 9:43
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C’est un territoire qui a basé sa réputation et son activité économique sur la qualité des eaux de son sous-sol, mais après des décennies d’exploitation sans limite de la nappe phréatique, à Vittel (Vosges), l’heure est venue de rationner les prélèvements.

A 150 mètres sous terre, la nappe phréatique des grès du Trias inférieur (nappe GTI) est une bénédiction : une eau de très bonne qualité, abondante, prélevée aussi bien pour l’alimentation en eau potable que pour l’agriculture et les entreprises locales, dont la fromagerie l’Ermitage et son célèbre Munster, ou Nestlé Waters et ses bouteilles Vittel Bonne Source, exportées à l’étranger.

Mais depuis les années 1970, le constat est connu : les prélèvements sont excessifs, ils dépassent allègrement les trois millions de mètres cubes annuels, pour une capacité de recharge naturelle de 2,1 millions de mètres cubes. Chaque année, la nappe perd plus d’un million de mètres cubes, soit plus d’un milliards de litres, et son niveau baisse dangereusement.

Pas d’économies d’eau pour les industriels

Une directive européenne entrée en vigueur en 2000 imposait un retour à un « bon état quantitatif » des masses d’eau dès 2015 mais dans les Vosges, les choses ne sont pas aussi simples. Comment réduire les prélèvements sans mettre à mal l’activité de tout un territoire ? La question est posée depuis 2010, et la mise en place d’une commission locale de l’eau (CLE), censée élaborer une politique de gestion de l’eau, appelée, dans le jargon administratif Schéma d’aménagement et de gestion des eaux (Sage).

Ses travaux ont pris du temps. Dès le départ, la commission a fait le choix de ne pas contraindre les entreprises locales, pour préserver l’activité économique dans un département vieillissant. « Le comité technique n’a pas souhaité considérer d’économie d’eau pour les industriels », s’étonnait ainsi le BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières) dans un rapport publié en 2014, alors que la loi française donne la priorité au prélèvement pour l’alimentation en eau potable.

« Il n’y a pas de raison objective qui justifie que les efforts ne soient pas supportés par l’ensemble des usagers prélevant dans la nappe », soulignait le rapport.

Au fil des années, la commission a d’abord envisagé un projet d’oléoduc, pour faire venir d’un autre territoire une eau de moins bonne qualité. Face à la contestation populaire, le projet a finalement été abandonné. Finalement, après 13 ans de travail, la commission a élaboré sa politique. Pour diminuer les prélèvements, elle demande aux collectivités de réduire les fuites sur les réseaux d’eau potable (22% de fuite, dans la moyenne nationale), et aux habitants ou aux hôtels de diminuer leur consommation.

Des efforts à l’initiative des industriels

Rien n’est imposé aux industriels. Mais, conscients de l’enjeu et de leur responsabilité, ils ont eux-même engagé des politiques de réduction des prélèvements.

Nestlé Waters a ainsi réclamé à la préfecture de diminuer d’un million à 500.000 m3 son autorisation de prélèvement, qui devrait encore être ramenée dans les prochains mois, à sa demande, à 200.000 m3, aidée en cela par sa stratégie de désengagement d’un certain nombre de marchés étrangers. Elle s’est déjà retirée d’Allemagne et d’Autriche.

Dans de moindres proportions, la fromagerie l’Ermitage, qui pompait 480.000 m3 par an dans la nappe, a mis en place un programme d’investissements pour économiser 30.000 m3.

Mais pas sûr que ce soit suffisant pour reconstituer la nappe phréatique des GTI… Alors la commission a complété sa stratégie et développé « une approche multi-nappes » : pour préserver la nappe des GTI, rien de tel que de transférer les prélèvements dans une autre nappe, moins profonde !

La nappe du Muschelkalk, exploitable pour l’alimentation en eau potable, fait partie de la solution envisagée. Elle est d’ailleurs déjà prélevée pour approvisionner certaines communes, ou des entreprises : Nestlé y puise depuis des décennies pour sa marque Vittel Grande Source, ses bouteilles à bouchon rouge commercialisées sur le marché français. En 2021, les prélèvements pour l’embouteillage s’élevaient à près de 900.000 m3.

La CLE envisage d’y ajouter un prélèvement de 300.000 m3 pour l’alimentation de la commune de Vittel, auparavant pompés dans la nappe des GTI.

Les conséquences d’un pompage excessif

Mais cette issue est problématique aux yeux de certains. L’Autorité environnementale (AE), instance ministérielle chargée d’évaluer les projets ayant un impact sur l’environnement, regrette ainsi que le Sage n’offre aucune « analyse du fonctionnement hydraulique général » du territoire, notamment des « interconnexions entres nappes », ou des liens entres les nappes et les ruisseaux en surface.

En clair, elle s’interroge sur la pertinence de la solution préconisée : si les nappes communiquent entre elles, augmenter les prélèvements dans l’une ne permettra pas de régénérer l’autre. Et pomper davantage d’eau dans les nappes peu profondes pourrait également avoir des effets sur les zones humides et leur biodiversité.

Sur ces aspects, la CLE a répondu en annonçant la création d’un « observatoire hydrogéologique », chargé d’établir les relations entre les nappes phréatiques, et les effets des prélèvements sur les cours d’eau et les zones humides. Annoncée pour « début 2023 », la création de cet observatoire n’est pas encore concrétisée.

Mais d’autres préconisations ne seront pas suivies d’effet. En 2021, l’Autorité environnementale avait ainsi recommandé au préfet des Vosges de renouveler les autorisations de prélèvement de Nestlé dans la nappe supérieure seulement pour une courte durée, afin de se laisser la possibilité de réviser ces autorisations en fonction des connaissances futures des interactions entre nappes et de l’effet des prélèvements.

Le préfet n’a pas tenu compte de ces précautions : en octobre 2022, il a accordé à la multinationale un renouvellement de ses autorisation de prélèvements pour 10 ans, à hauteur de 1,7 million de m3 annuels.

C’est à lui qu’il revient désormais d’approuver ou non le nouveau schéma général de gestion des eaux, pour améliorer l’état quantitatif de la nappe GTI. Mais sans connaissance des effets qu’aura cette politique sur le fonctionnement hydraulique général du territoire et sur les zones humides.

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