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En Tunisie, un passionné de la pourpre ressuscite ce pigment antique

juillet 26, 2020 12:52, Last Updated: avril 2, 2021 18:45
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Sa passion pour l’histoire antique, Mohamed Ghassen Nouira la vit dans sa cuisine: c’est là que ce Tunisien redécouvre peu à peu, après des années de tâtonnements, les secrets millénaires pour fabriquer la pourpre, prestigieux pigment extrait d’un coquillage, le murex.

Un marteau, une pincette et un petit mortier en pierre sont ses principaux outils de travail: la première étape pour cette couleur typique des dignitaires phéniciens, carthaginois et romains, c’est d’ouvrir les murex, sorte de bulots à la coquille ornée de pointes.

-L’artisan tunisien Mohamed Ghassen Nouira extrait l’escargot des coquilles de Murex pour produire de la teinture violette dans son atelier de la capitale Tunis, le 11 juillet 2020. Photo par FETHI BELAID / AFP via Getty Images.

Un animal marin dégageait une couleur aussi précieuse

La suite est un secret jalousement gardé au point qu’il avait disparu depuis presque 600 ans,  mais après 13 ans d’essais, M. Nouira en maîtrise une partie.

En août 2007, il a trouvé sur une plage un murex mort dégageant une couleur rouge violacée, lui rappelant un cours d’histoire qui l’avait marqué à l’école, sur la pourpre.

Il en a alors acheté quelques spécimens à des pêcheurs, et s’est mis à explorer ce « trésor marin » dans une petite cuisine dans le jardin de son père,  son atelier de travail encore aujourd’hui.

L’artisan tunisien Mohamed Ghassen Nouira verse une noisette de colorant violet qu’il a extrait de coquillages de Murex dans son atelier de la capitale Tunis, le 11 juillet 2020. -Photo par FETHI BELAID / AFP via Getty Images.

« Au début, je ne savais pas par où commencer. J’écrasais toute la coquille et j’essayais de comprendre comment ce petit animal marin dégageait une couleur aussi précieuse », explique ce directeur d’une société de consulting.

Il lui a fallu surmonter de nombreux échecs, parfois démoralisants, mais aussi s’habituer à l’odeur pestilentielle.

La pourpre en relation avec nos ancêtres les Carthaginois

« Des experts en teinture, en archéologie et en histoire, ainsi que des chimistes, m’ont aidé et encouragé, mais aucun ne connaissait la technique », raconte-t-il.

L’industrie de la pourpre, utilisée pour teindre les vêtements des puissants, fut parmi les principales sources de richesse des phéniciens et des empires carthaginois puis romains, explique à l’AFP le professeur Ali Drine, directeur de la division de recherche à l’Institut national du Patrimoine.

L’artisan tunisien Mohamed Ghassen Nouira expose une boîte de fils et de tissus teints d’une couleur violette qu’il a extraite de coquilles Murex dans son atelier de la capitale Tunis, le 11 juillet 2020. Photo par FETHI BELAID / AFP via Getty Images.

Symbole de pouvoir, de prestige et de beauté, la pourpre était « sous la coupe des empereurs parce qu’elle rapportait beaucoup d’argent à la caisse impériale », dit-il.

En conséquence, aucun document historique ne détaille clairement les méthodes de la production de ce pigment, explique le professeur Drine.

« Peut-être parce que les artisans ne voulaient pas divulguer les secrets de leur savoir-faire, ou bien ils avaient peur car les activités de la pourpre étaient rattachées directement aux empereurs, qui refusaient toute rivalité ».

Seules pistes pour en exhumer les techniques: des éléments archéologiques en Méditerranée, cuves, coquillages traités et traces de feu surtout à Tyr, dans le sud de Liban, et dans le site de Meninx, sur les rivages de l’île tunisienne de Djerba.

Ce sont en effet des phéniciens venus de Tyr, haut lieu de la pourpre, qui ont posé les bases de ce qui allait devenir l’empire carthaginois, sur les côtes tunisiennes.

M. Nouira se dit « satisfait et fier » d’avoir fait « revivre quelque chose en relation avec nos ancêtres les Carthaginois! ».

Chacun a ses techniques secrètes

Même de nos jours, le pigment est un luxe: il peut atteindre 2.800 dollars (2.430 euros) le gramme chez certains revendeurs européens, voire 4.000 dollars (3.470 euros) selon M. Nouira, qui le vend à des prix plus modestes.

Symbole de puissance et de prestige, la célèbre couleur pourpre était traditionnellement utilisée pour les robes royales et impériales. Photo par FETHI BELAID / AFP via Getty Images.
L’artisan tunisien Mohamed Ghassen Nouira teste un colorant violet qu’il a extrait de coquillages Murex dans son atelier de la capitale Tunis, le 11 juillet 2020. –

Ils sont une poignée dans le monde à produire de la pourpre, parmi lesquels une peintre allemande et un passionné japonais, chacun avec ses techniques secrètes.

Lorsque M. Nouira leur a demandé de l’aide, l’un d’eux a rétorqué « +ce n’est pas une recette de cuisine à faire passer+ », se souvient-il.

« Cela m’a rendu plus déterminé encore, ça m’a poussé à lire plus et multiplier mes expériences » notamment sur deux types de murex, Rankulus et Bolinus Brandaris.

Dans la mallette en bois où il conserve son stock, qui va du bleu indigo au rouge violet, il garde précieusement son premier échantillon obtenu en 2009, « cher souvenir de ma première réussite ».

« J’ai alors amélioré mes méthodes jusqu’à trouver la bonne technique et la maîtriser à partir de 2013-2014 », dit-il.

Cent kilos de murex pour 1 gramme de pourpre

Pour obtenir un gramme de pourpre pure, il doit décortiquer cent kilos de murex, ce qui lui prend deux weekends.

Il faut laver, trier les coquillages par espèces puis par tailles, et casser délicatement la partie supérieure de la coquille dans le petit mortier, afin d’en extraire la glande, qu’il fait sécher avec du sel. C’est elle qui produit la couleur, après oxydation.

M. Nouira a produit en tout quelques dizaines de grammes de pourpre pure, qu’il vend dans le monde entier.

Mais ce qu’il espère avant tout, c’est voir son travail exposé dans des musées tunisiens, et il regrette le manque d’intérêt des autorités pour son travail.

« La pourpre a un grand potentiel touristique », estime M. Nouira qui rêve d’animer un jour des ateliers dans un lieu inspiré de ceux de l’Antiquité.

En attendant, il garde ses secrets de fabrication, qu’il espère transmettre à ses enfants.

« Ghassen a voulu, a essayé et a réussi », souligne le Pr Drine.

 

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