OPINION

Entretien avec Paul Sugy: « L’antispécisme, c’est la négation de l’homme »

avril 6, 2023 7:23, Last Updated: avril 25, 2024 16:19
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Paul Sugy est journaliste au Figaro, ancien élève de l’École normale supérieure et diplômé de Sciences Po Paris. Dans L’extinction de l’homme: le projet fou des antispécistes paru aux éditions Tallandier, il explore les différents courants de l’antispécisme, une idéologie voulant abolir la différence entre l’homme et l’animal. Le lecteur peut y découvrir la disparité des thèses antispécistes et comment elles aboutissent à une société dystopique, opposée à l’homme, à l’animal et à l’environnement. Sans botter en touche sur le respect dû aux animaux et les dérives de l’homme depuis les deux derniers siècles, l’ouvrage décrit le projet antispéciste comme un projet « fou » et un péril anthropologique pour les générations à venir. Un péril à prendre au sérieux, tant ce courant prospère chez les élites et prend de plus en plus de place dans l’espace médiatique et politique. Pour mieux comprendre de l’intérieur les différents courants de pensée de l’antispécisme, Paul Sugy a répondu à nos questions.

Epoch Times: Dans votre livre L’extinction de l’homme. Le projet fou des antispécistes, vous explorez les théories et les courants de l’antispécisme. Qu’est-ce qui vous a poussé à vous intéresser à ce thème et à en informer le grand public ?

Monsieur Paul Sugy : Parmi les motifs de préoccupation qu’offre notre époque, une tendance de fond se distingue : ce réflexe psychologique qui consiste à se méfier de toutes les distinctions qui fondent l’identité. Négation des repères sexués, remise en cause de la légitimité des frontières et des nations, droit d’inventaire exercé dans la culture et dans l’histoire… La sensibilité contemporaine au bien-être animal paraît d’abord ne pas relever de cette vaste entreprise de déconstruction (ce serait une simple prise de conscience empathique de la souffrance que ressentent les animaux), mais un examen minutieux des thèses qui sous-tendent le courant en faveur de la « libération animale » montre que si.

L’antispécisme – la théorie qui entend remettre en question l’idée d’une dignité supérieure de l’homme par rapport aux autres espèces – applique la logique de déconstruction aux espèces. Il n’y a plus l’animal d’un côté, l’homme de l’autre, et entre les deux une frontière intangible qui fait de l’humanité un ensemble de personnes dépositaires d’un destin commun. L’antispécisme ne distingue plus l’humain de l’animal : il y aurait les animaux humains et les animaux non-humains. Entre eux, seulement des différences de degré (l’homme est plus intelligent, plus responsable…) mais aucune différence de nature. Et les animaux seraient des personnes. On ne mesure pas encore les conséquences révolutionnaires de cette théorie, qui pourrait faire voler en éclat les grands principes qui sont au socle de notre modèle politique. À l’aune de la cause animale, les « droits de l’homme » n’ont par exemple plus guère de sens… Et on ne mesure pas non plus sa force d’attraction : au rythme où vont les choses, et vu le faible nombre de sentinelles qui s’avancent pour prendre la défense de l’homme, la bataille semble mal engagée. C’est pour cette raison que j’ai voulu y prendre ma part.

Certains Français ont une vision positive de la protection animale, du végétarisme ou du véganisme, et ils peuvent faire l’amalgame avec les antispécistes. Pourquoi est-ce important d’expliquer la différence entre le respect animal, la protection de l’environnement et les théories antispécistes ?

Le souhait légitime de protéger les animaux et de mieux garantir leur bien-être, en particulier dans les activités humaines qui les impliquent (animaux de compagnie, animaux d’élevage…) est un progrès de la civilisation humaine. Les premières sociétés de protection des animaux sont nées au XIXe siècle. En France, la loi Grammont qui pénalise la cruauté envers les animaux date de 1850… La protection animale n’est donc pas une lubie contemporaine mais une aspiration ancienne des sociétés à consolider notre amitié avec les animaux par des règles, des marques de respect et d’attentions. C’est reconnaître que nous sommes responsables d’eux.

L’antispécisme n’a rien à voir avec ça : être antispéciste, c’est refuser à l’homme tout « privilège » moral ou juridique fondé sur sa seule appartenance à l’espèce humaine. C’est un refus de la hiérarchie dont on ne comprend d’ailleurs pas très bien pourquoi il coexiste, chez les antispécistes, avec l’idée que malgré tout l’homme devrait être responsable des souffrances de tous les animaux. Après tout, si nous sommes des animaux comme les autres, pourquoi serions-nous tenus par des contraintes morales à l’égard d’autrui ? Car c’est un fait insurmontable : les considérations éthiques sont le propre de l’homme. Dès lors, je ne dénonce pas l’intérêt porté au bien-être animal, mais il m’apparaît important de ne pas mettre la souffrance animale au même plan que la souffrance humaine. Faire travailler un animal ou l’abattre pour faire croître la société des hommes n’est pas immoral. Et nous ne nous serions jamais développés autant, historiquement et même biologiquement, si nous avions été végétariens depuis les débuts de l’humanité.

Quant à l’écologie, elle n’a vraiment rien à voir avec l’antispécisme : en un sens, les deux se contredisent. On peut vouloir d’ailleurs réguler les populations animales au nom de la préservation de l’environnement, alors que les antispécistes considèrent que l’élimination des espèces nuisibles est un crime. Surtout, parce qu’ils refusent de s’attarder sur le critère de l’espèce, les antispécistes se désintéressent de la biodiversité : pour eux, seul compte le bien-être des individus, pas des espèces.

« L’extinction de l’homme. Le projet fou des antispécistes » aux éditions Tallandier (Avec l’aimable autorisation de Paul Sugy)

Pour quelles raisons le bien-être animal est-il devenu si important de nos jours ? Est-ce que l’élevage intensif n’a pas aussi des torts ? On peut prendre l’exemple de l’élevage intensif en Chine qui crée des épidémies comme la peste porcine et qui interroge sur les questions de sécurité sanitaire.

L’antispécisme prospère selon moi sur les ruines d’une authentique pensée de l’homme. Je décris brièvement dans mon livre l’impasse d’un humanisme autotélique, qui trouve en l’homme sa propre justification. Cette pensée moderne de l’homme a cru que la gloire de l’homme, et en particulier le prestige de la civilisation européenne, suffisaient à justifier l’homme – à l’asseoir sur son trône. Mais cet homme-là a déçu, les traumatismes historiques du siècle dernier, aujourd’hui la perspective d’une catastrophe climatique ou nucléaire, ont progressivement rogné la confiance que nous avions placée insolemment en nous-mêmes. Bien loin de croire encore que l’homme est le meilleur des animaux, nos contemporains se persuadent souvent qu’il est le pire. Dès lors, l’idée d’une supériorité de l’homme sur le reste du vivant ne va plus de soi, d’autant que les progrès de la connaissance scientifique nous renseignent chaque jour un peu plus sur l’étonnante sophistication du monde animal.

Ajoutez à cela le besoin, chez une partie de la gauche, de se trouver une nouvelle grande cause progressiste à défendre ; ainsi que la volonté d’éradiquer les derniers vestiges de la pensée gréco-latine et des racines judéo-chrétiennes de notre vieux monde occidental (l’homme est installé sur un piédestal sûr, aussi bien chez Aristote que dans le texte de la Genèse…), et vous avez tous les ingrédients nécessaires pour la prospérité de l’antispécisme. Le dégoût légitime inspiré par les excès de l’industrie agroalimentaire a pu jouer, mais de façon marginale. Il sert surtout à faire grossir les rangs de la mouvance animaliste, mais ses précurseurs sont indignés davantage par l’idée que l’on puisse élever et mettre à mort un animal pour le manger, que par les modalités d’élevage et d’abattage.

Les théories de l’antispécisme consistent à abolir la différence entre l’homme et l’animal, elles se basent sur la souffrance animale comme seul critère de différenciation sans prendre en considération ce qui est le propre de l’être humain, sa capacité à créer, à penser, à croire, etc. Sur quelles thèses scientifiques ou philosophiques se basent ces théories ?

Scientifiques, aucune. Personne n’a jamais douté sérieusement du fait que les animaux souffrent, la science n’a pas changé d’avis à ce sujet et l’antispécisme ne naît pas d’une découverte scientifique. Ce serait tout aussi naïf de le croire, que de penser que le féminisme a avancé parce qu’un jour on a découvert que les femmes avaient une âme…

L’antispécisme, originellement, repose en revanche sur une option philosophique – pas une thèse donc, mais un postulat : celui selon lequel les souffrances infligées aux animaux constituent une externalité négative que le raisonnement éthique doit prendre en compte. En d’autres termes, l’antispécisme ne démontre rien : il considère simplement que faire souffrir les animaux est immoral, c’est tout. Et refuse d’emblée l’idée que par essence, la vie humaine seule est sacrée – parce que les antispécistes refusent tout bonnement d’admettre que la dimension spirituelle de la vie humaine nous élève au-dessus du vivant. Bien souvent le dialogue avec les antispécistes est une impasse, parce qu’ils voient le monde différemment. Il faut essayer, alors, de montrer les contradictions et les conséquences de cet abaissement de l’homme.

Certains courants de l’antispécisme veulent drastiquement transformer l’humanité toute entière mais aussi les règles du règne animal, par exemple, en rendant les lions végétariens. En quoi l’antispécisme peut-il se transformer rapidement en un totalitarisme ?

Comme toute théorie radicale et sûre d’elle-même, l’antispécisme peut devenir violent ou dangereux – depuis quelques années, les éleveurs ou les chasseurs en font les frais. L’antispécisme veut transformer intégralement nos modes de vie. Ses militants n’ont pas toujours la même stratégie. Certains légitiment la violence commise au nom de leurs idées ; d’autres pas – ce n’est le plus souvent qu’une question de stratégie. Quoi qu’il arrive, à terme, ils s’accordent tous pour vouloir interdire chaque activité humaine qui instrumentalise le corps d’un animal (même lorsque celui-ci n’est pas mis à mort et qu’il ne souffre pas). Certains vont même en effet jusqu’à affirmer que l’homme doit empêcher toute souffrance animale, y compris lorsqu’elle est infligée par un autre animal. Je leur souhaite bon courage.

Pourquoi, selon vous, l’homme est « infiniment plus qu’un animal » ? Quel serait le propre de l’homme depuis des millénaires et qui le différencie de l’animal ? Peut-on le résumer uniquement à une vision matérialiste et biologique ?

La pensée antispéciste refuse par principe de considérer l’homme autrement qu’un animal, elle s’appuie donc sur le seul regard des sciences du vivant et néglige totalement l’apport des sciences dites justement « humaines » (philosophie, littérature, histoire, même la psychologie…) pour nous informer sur ce qu’il y a d’humain en l’homme. En réalité, personne ne pourra jamais « démontrer » que l’homme est plus qu’un animal dans la mesure où c’est une affirmation qui repose sur les valeurs et non les faits. Mais chacun en a l’intuition pour peu que l’on admette que la vie amoureuse, la vie politique, la vie intellectuelle… présupposent autre chose en l’homme que de seules aptitudes physiologiques. Au fond, c’est Albert Camus qui a raison : nous n’avons qu’une seule alternative, c’est de tout croire ou de tout nier. L’antispécisme, c’est la négation de l’homme.

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