PRéLèVEMENTS D'ORGANES

Un journal allemand souligne la complicité occidentale dans le trafic d’organes en Chine

septembre 6, 2013 15:07, Last Updated: octobre 29, 2017 15:09
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Un grand journal allemand affirme que l’Occident est profondément empêtré dans le commerce lucratif et discutable d’organes en Chine.

En Chine, les organes des prisonniers exécutés sont extraits et vendus pour la transplantation, y compris pour des patients occidentaux. Selon un rapport d’enquête paru dans le journal allemand, Die Zeit, les hôpitaux occidentaux, les sociétés pharmaceutiques et les médecins soutiennent les centres de transplantation chinois sans poser de questions.

Le reportage, intitulé en allemand Herz auf Bestellung, soit coeur sur commande, écrit par Martina Keller, a annoncé son intention de dénoncer la pratique en Chine de l’exécution sur demande et de faire la lumière sur les médecins qui vont à l’encontre de l’éthique de leur profession.

Comme ils opèrent sur un chemin étroit «entre la coopération et la complicité», ceux qui y participent sont pris par des conflits moraux, des ambitions professionnelles, et de l’argent. Par ailleurs,  de nombreuses personnes préfèrent garder le silence sur la question, a écrit Keller.

«Un être humain meurt, juste à temps, de sorte qu’un autre peut continuer à vivre. Dans le système de transplantation chinois, c’est possible. Au nom du progrès, au nom de l’argent, y compris l’argent occidental», a indiqué le reportage.

L’article pose la question: «En occident, à quel niveau doit-on placer les limites pour ne pas devenir complice?»

Les prisonniers exécutés

Du point de vue des statistiques, la Chine détient la deuxième place pour les transplantations d’organes à travers le monde, juste après les États-Unis, «un fait qui remplit le gouvernement de fierté», a écrit Keller.

«Plus de 10.000 reins, foies, cœurs et poumons sont transplantés chaque année et l’ancien ministre de la Santé Huang Jiefu (lui-même un chirurgien spécialisé dans la transplantation), s’est exprimé dans la revue scientifique Le bistouri l’année dernière. Selon ses statistiques, près de 60% de ces organes proviennent de prisonniers exécutés, un aveu qui surprend», a affirmé Die Zeit.

Il y a quelques années encore, le gouvernement avait rejeté, dans le cadre de sa propagande, tous les rapports étrangers concernant des pratiques chinoises douteuses à propos des transplantations. Par ailleurs, le nombre d’exécutions en Chine est un secret d’État.

«Les initiés affirment que les hôpitaux de transplantation travaillent en étroite collaboration avec les prisons et envoient leurs propres équipes procéder au prélèvement d’organes. Il ne peut pas être exclu que les médecins participent à l’exécution», a indiqué le reportage.

De courts délais d’attente

Selon le reportage, les patients des pays occidentaux obtiennent également leurs nouveaux reins, foies et cœurs grâce à des exécutions chinoises.

Die Zeit a mené une entrevue avec Mordechai Shtiglits, 63 ans, de Tel Aviv, qui s’est envolé pour la Chine en novembre 2005 pour recevoir un nouveau coeur à l’hôpital  Zhongshan de Shanghai. Il y aura croisé des patients venant du Canada, d’Australie et d’Hong Kong: tous en attente de nouveaux organes pour leur sauver la vie.

«En Chine, on obtient un nouveau cœur dans les deux à trois semaines. Si vous êtes chanceux, comme Mordechai Shtiglits, c’est encore plus rapide», a écrit Keller. Une semaine après son arrivée à Shanghai, un chirurgien chinois lui a précisé qu’il recevrait son nouveau cœur le lendemain, disant qu’il provenait d’un donneur de 22 ans, victime d’un accident de la circulation.

Cependant, le reportage affirme que cette situation est extrêmement peu probable. Bien que plus de 60.000 personnes meurent chaque année en Chine d’accidents de la circulation, les médecins chinois ne peuvent pas connaître à l’avance le moment précis où une personne va mourir d’un accident. Et la Chine à ce jour n’a pas de système central de distribution rapide d’organes.

Le prélèvement d’organes sur des prisonniers exécutés est interdit dans le monde entier, selon l’hebdomadaire Die Zeit – la transplantation repose sur le principe du don volontaire. Les prisonniers, cependant, ne sont pas en mesure de prendre de décision libre. C’est ainsi que le perçoit l’Association médicale mondiale, de même que la Société internationale de transplantation.

Le Dr Jacob Lavee, directeur de la transplantation cardiaque au Sheba Medical Center, a pris soin de Mordechai Shtiglits pendant des années avant que celui-ci ne reçoive son nouveau cœur en Chine. Lavee affirme qu’il n’avait presque plus d’espoir pour son patient. Mais quand Shtiglits lui a dit qu’il allait en Chine pour obtenir une greffe du cœur en deux semaines, Lavee lui a souri en disant: «Ce n’est pas possible.»

Vous pouvez prendre un rein ou une partie du foie d’un donneur vivant, a expliqué le Dr Lavee pour Die Zeit: «Mais quand quelqu’un reçoit un cœur, cela signifie que quelqu’un d’autre doit mourir».

L’article cite l’éthicien new-yorkais Arthur Caplan, qui a contribué à l’ouvrage intitulé Organes de l’État: Abus de transplantation en Chine: «Les autorités pénitentiaires doivent chercher spécifiquement les donateurs potentiels, tester leur état de santé, le sang et le type de tissu et les exécuter tant que le touriste est en Chine. C’est tout simplement tuer à la demande».

Le Falun Gong

Lorsque le trafic d’organes est toléré par un gouvernement, c’est effrayant, de même que le sont les exécutions fournissant la matière première pour les transplantations. Mais ce n’est pas tout – il y a une autre suspicion, bien pire encore. L’avocat canadien David Matas et David Kilgour, ancien secrétaire d’État canadien, deux personnes nominées pour le Prix Nobel de la Paix 2010, ont méticuleusement rassemblé des faits depuis 2006.

Dans leur recherche indépendante, les deux Canadiens ont essayé autant que possible de tout garder des déclarations faites par les pratiquants de Falun Gong, selon Die Zeit. Ils ont réuni non seulement des documents sur les prisonniers de Falun Gong qui avaient été examinés par un médecin dans les prisons, avaient disparu sans laisser de trace dans les camps, ou dont les corps manquaient de certaines parties. Ils ont également interrogé les patients étrangers ayant reçu des reins ou subi des greffes du foie en Chine.

Ils ont même réussi à interroger d’anciens complices du prélèvement d’organes sur des prisonniers de Falun Gong. Ils ont également documenté des appels téléphoniques faits par des enquêteurs, qui s’étaient présentés en tant que patients, ou leurs parents, curieux de la disponibilité des organes de pratiquants de Falun Gong auprès des centres de transplantation chinois et des institutions (les pratiquants de Falun Gong étant considérés comme de particulièrement bons donneurs, tandis que d’autres prisonniers sont fréquemment infectés par l’hépatite B).

Selon Die Zeit, ils citent aussi une conversation téléphonique en mars 2006 avec l’hôpital de Zhongshan, quatre mois après que Mordechai Shtiglits ait reçu son nouveau cœur. Pour répondre à la question de l’appelant sur la possibilité de recevoir des organes provenant de pratiquants de Falun Gong, un médecin a répondu: «Les nôtres sont tous de ce type.»

L’article de Keller cite Manfred Nowak, un professeur de droit international à l’Université de Vienne qui a également été rapporteur spécial sur la torture de la Commission des droits de l’homme des Nations unies jusqu’en 2010, qui a déclaré que les allégations des deux Canadiens étaient «bien documentées et très graves», en outre la forte augmentation du nombre de transplantations en Chine qui coïncide avec la persécution du Falun Gong constitue un indice important.

Au nom des Nations unies, Nowak a envoyé un appel urgent au gouvernement chinois lui demandant de fournir des informations précises concernant l’approvisionnement de tous ces organes transplantés. Selon Nowak, la Chine a relayé toutes ces accusations en les traitant de propagande, mais ne les a jamais expliquées.

La contribution de l’Occident

«Ailleurs dans le monde, ces annonces soulèvent l’horreur», rapporte Die Zeit: «Mais ce que presque personne ne sait, c’est que l’Occident est profondément empêtré dans le système chinois.»

Les compagnies pharmaceutiques fournissent le marché chinois en médicaments antirejet, et  réalisent des recherches sur la transplantation qui sont susceptibles d’utiliser les organes de prisonniers exécutés. Les hôpitaux et les médecins occidentaux soutiennent les centres de transplantation chinois sans poser de questions, rapporte Die Zeit.

Les conseillers occidentaux du gouvernement chinois essaient d’apporter leur aide et de contribuer ainsi au changement dans la pratique des transplantations en Chine. Mais dans le même temps ils  privilégient leurs intérêts financiers.

Des automobiles occidentales ont été équipées en tant que soi-disant «automobile d’exécution». Par exemple, un concessionnaire chinois qui offre sur internet un van de marque européenne, muni d’appareils médicaux et d’appareils de perfusion – un sinistre symbole d’une étroite coopération entre les bourreaux et les médecins, selon Die Zeit.

Avec ces enchevêtrements économiques et techniques, nombreuses sont les personnes occidentales impliquées qui préfèrent se taire.

Les compagnies pharmaceutiques

Selon une présentation faite à Madrid, par l’ancien vice-ministre chinois de la Santé Huang Jiefu, la transplantation d’organes a connu un essor remarquable. Il a précisé que les greffes de reins ont augmenté entre 1997 et 2005, de 3.000 à 8.500 par an, les foies de 2.000 à environ 3.000. Le boom a été possible en partie grâce à de nouveaux et de meilleurs médicaments.

Ce sont des médicaments qui viennent de l’Occident, a déclaré Die Zeit.

La société suisse Sandoz fournit la Chine depuis le milieu des années 1980 en cyclosporine A, un médicament vital pour la survie des patients transplantés. Selon l’hebdomadaire Die Zeit, les laboratoires Roche et Novartis, qui possèdent maintenant Sandoz, ainsi qu’Astellas au Japon, écoulent désormais leurs médicaments antirejet en Chine. Die Zeit a expliqué que c’est au plus tard en 1994 que ces sociétés ont eu connaissance des accusations portées contre la Chine: car à cette époque, l’ONG Human Rights Watch avait publié un rapport détaillé .

Fin 2005, le laboratoire Roche a même commencé à produire son médicament Cellcept en Chine. D’après un rapport publié dans Handelsblatt, au cours d’une célébration d’ouverture officielle de son usine à Shanghai,  le chef du laboratoire Roche, Franz Humer, a défendu les raisons de son choix, parmi tant d’autres lieux possibles, pour que le Cellcept soit produit en Chine. Ainsi, il a avancé que contrairement au Japon, il n’y avait pas d’inhibition éthique ou culturelle en Chine opposée au domaine médical de la transplantation, a expliqué Die Zeit.

L’industrie pharmaceutique de l’Occident est aussi responsable du fait que les études pour la recherche se déroulent en Chine, déclare Die Zeit. Des revues scientifiques ont publié neuf études cliniques menées sur environ 1.200 transplantations dans lesquelles les sociétés Wyeth et Pfizer des États-Unis, Novartis et Roche de Suisse, et Astellas du Japon ont testé leurs médicaments de transplantation. Au total, ces sociétés ont collaboré pour ces études avec 20 hôpitaux en Chine.

La formation des chirurgiens chinois

Dans le journal Transplantation du foie, Huang Jiefu a écrit que «toutes les équipes de transplantation de la République populaire de Chine» avaient reçu leur formation à l’étranger. Lui-même s’était perfectionné en la matière en Australie.

En attendant certains centres de médecine en Australie, ont mis en place des exigences lors de la formation des chirurgiens chinois, a écrit Keller. Par exemple, le Dr Stephen Lynch de l’hôpital Alexandra à Brisbane demande aux candidats de fournir une assurance écrite par leurs directeurs de clinique ou par une personne responsable au sein du gouvernement provincial, précisant que les compétences acquises ne seront pas utilisées dans des programmes de transplantation utilisant des prisonniers exécutés en tant que «donateurs».

Toutefois, les médecins allemands sont moins scrupuleux, rapporte Die Zeit. Le Centre cardiaque allemand à Berlin, où près de 2.300 cœurs ont été transplantés depuis sa fondation en 1986, travaille en collaboration avec plus de 30 hôpitaux en Chine, y compris les centres de transplantation. En 2005, l’assistant personnel du directeur médical Roland Hetzer a fièrement rapporté sur Radio Chine Internationale leur étroite coopération.

Lors de l’ouverture d’une conférence de chirurgie cardiaque à Shanghai en mai 2012, Hetzer a annoncé: «Plus de 500 médecins… provenant de Chine ont participé à notre travail à Berlin au fil des ans. Certains de ces chirurgiens ont validé une formation complète de cinq ans. Ils ont tous fait du bon travail après le retour dans leur patrie», a cité Die Zeit.

Keller fournit une autre interprétation, une interprétation différente: «En d’autres termes: en Allemagne, les médecins chinois obtiennent les outils qui leur permettent de transplanter les organes des prisonniers exécutés en Chine, les outils pour perpétrer des violations des droits de l’homme.»

Liu Zhongmin est l’un des chirurgiens qui  a travaillé à Berlin pendant de nombreuses années, a écrit Keller. Il est maintenant le directeur exécutif de l’Institut chinois- allemand de cardiologie à Shanghai, qui a été fondé en 2000 par le Centre de cardiologie allemand et l’hôpital Est de Shanghai. L’hôpital est le plus proche partenaire de la coopération allemande en Chine.

Les qualifications de Liu sont répertoriées sur le site web de l’Institut de cardiologie: il est responsable de la recherche clinique en «transplantation cardiaque, cœur artificiel et transplantation combinée du cœur et du poumon.»

Au total, combien de cœurs ont été transplantés à l’Institut sino- allemand? Quelle est la source des organes? À ces questions posées par Die Zeit, Liu n’a pas répondu.

Weng, représentant de longue date d’Hetzer et maintenant un médecin-chef au Centre de cardiologie allemand, est, tout comme Liu, directeur exécutif de l’Institut de cardiologie sino-allemand. Plusieurs fois par an, il se rend en Chine, selon Die Zeit.

De même qu’Hetzer, Lui non plus n’aura pas réussi à répondre aux questions de l’hebdomadaire.

L’arrêt du trafic d’organes

Depuis le retour de Mordechai Shtiglits, le Dr Jacob Lavee s’est investi politiquement cherchant à empêcher les citoyens israéliens de vouloir obtenir davantage de cœurs en Chine, a précisé Keller. En 2008, une loi a été promulguée pour que soit refusé le remboursement des frais médicaux pour une transplantation faite à l’étranger si le trafic d’organes a été impliqué. Depuis lors, aucun patient en provenance d’Israël ne s’est rendu en Chine pour une transplantation d’organes.

Le Dr Lavee a précisé au Die Zeit qu’il a été l’objet d’un harcèlement en ligne pour avoir empêché  les patients de se rendre en Chine.

«Concernant cette accusation, je suis très fier», a-t-il déclaré. Mais sa mission n’est pas encore arrivée à son terme, «étant donné que le tourisme international vers la Chine pour le trafic d’organes se poursuit, alors même que les dirigeants chinois, officiellement du moins, essayent de réformer cela», a-t-il ajouté pour Die Zeit.

Version en anglais: German Newspaper Points to Western Complicity in Organ Trade in China

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