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Le lien entre TikTok et le Parti communiste chinois inquiète fortement des sénateurs français

juillet 2, 2023 0:27, Last Updated: juillet 2, 2023 1:42
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Après avoir écouté, jeudi 8 juin, Eric Garandeau et Marlène Masure, dirigeants de TikTok en Europe, la commission d’enquête du Sénat français sur la filiale de la société chinoise ByteDance a auditionné Jean-Noël Barrot, ministre chargé de la Transition numérique, le 19 juin.

Selon les mots du sénateur Claude Malhuret, un des rapporteurs de l’enquête sénatoriale, la création d’une telle commission d’enquête tient son origine dans une « inquiétude », qui s’amplifie notamment à la suite de la décision de l’Union européenne (UE) d’interdire le téléchargement de TikTok sur les téléphones de ses fonctionnaires. «Cette décision, suivie par la plupart des pays européens, pose plusieurs questions. D’abord, même pressée par les journalistes, l’Union européenne n’a pas exposé les raisons précises de cette décision », précise-t-il.

Interdire TikTok sur les appareils de services d’États « relève du bon sens »

Monsieur Malhuret – pour qui « le transfert massif de données par TikTok vers la Chine est désormais une certitude » – a exprimé son étonnement du fait qu’aucun gouvernement européen « n’a expliqué les raisons de cette décision », à l’exception du gouvernement belge. Le Premier ministre belge, Alexander De Croo, a en effet affirmé que « Tik Tok est une entreprise chinoise, qui est aujourd’hui obligée de coopérer avec les services de renseignement chinois (…) Interdire son utilisation sur les appareils de services fédéraux relève du bon sens. »

Lorsqu’il a été demandé quelle était la position du gouvernement d’Élisabeth Borne concernant l’interdiction de l’UE de TikTok sur les téléphones des fonctionnaires, le ministre chargé de la Transition numérique, Jean-Noël Barrot, a admis que TikTok « a fait l’objet de préoccupations mondiales quant à sa gestion des données de ses utilisateurs et de possibles liens avec le gouvernement chinois. » Mais selon lui, ce n’est pas la seule raison de cette interdiction en France : « L’application est également largement reconnue comme une plateforme récréative, ce qui ne correspond pas à un usage professionnel. C’est la raison pour laquelle nous avons décidé d’interdire sur les appareils professionnels les applications récréatives sollicitant de la part de leurs utilisateurs des masses considérables de données, en requérant notamment au moment de l’inscription l’accès aux contacts et aux documents stockés sur l’appareil. »

Jean-Noël Barrot a reconnu que TikTok était une filiale de ByteDance, une entreprise chinoise, et que toute société opérant sur le sol chinois était contrainte de coopérer avec les services de renseignement chinois. Néanmoins, pour le ministre chargé de la Transition numérique, « l’existence de ces lois ne constitue pas en soi une preuve de coopération active ou systématique entre TikTok et ces services ». Il a précisé par ailleurs attendre « de TikTok une transparence exemplaire et une mise en œuvre rapide et efficace » de son projet Clover. Annoncé en 8 mars dernier, ce projet, « selon les responsables de l’entreprise, permettra de protéger de manière certaine les données personnelles des utilisateurs européens ».

Au lieu de la transparence, « une grande opacité »

Cependant, malgré le fait que « les dirigeants de TikTok brandissent en permanence la notion de transparence », les auditions menées par la commission d’enquête du Sénat sur TikTok « ont révélé un contraste ironique », d’après Claude Malhuret. La commission d’enquête sénatoriale a en effet déjà entendu de nombreux experts, à l’instar d’Alain Bazot, président de l’association de consommateurs UFC-Que choisir, et de Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières, ainsi que les eurodéputés Raphaël Glucksmann, président de la commission spéciale sur l’ingérence étrangère dans l’ensemble des processus démocratiques, et Nathalie Loiseau, présidente de la sous-commission « sécurité et défense » de l’UE. De quoi renforcer l’argument du sénateur Claude Malhuret selon lequel « les agences, les régulateurs, les services de l’État, les journalistes déplorent tous une grande opacité.»

« Quid de la transparence des instances dirigeantes de TikTok dès lors que le siège de TikTok et de ByteDance se situe aux îles Caïmans, et que nous ne disposons d’aucune information sur le droit de vote des actionnaires, dont certains sont chinois. Les décisions sont-elles prises par les fonds d’investissement occidentaux ou par des actionnaires, que l’extra-territorialité des lois chinoises oblige à répondre à la moindre demande des services de renseignement, et ce, même lorsqu’ils se trouvent à l’étranger ? », interroge le sénateur de l’Allier.

Derrière TikTok, l’ombre du géant Parti communiste chinois

La tribune dans Le Monde d’Isabelle Feng, chercheuse à Asia Centre (Paris), pourrait fournir des éléments de réponses aux interrogations du sénateur Malhuret. La chercheuse souligne que « ByteDance, la maison mère de l’application, a accompli, dans la plus grande discrétion, une série de changements de propriétaires, qui ont abouti à une structure actionnariale nébuleuse derrière laquelle se profile l’ombre du Parti communiste chinois (PCC). »

Premièrement, en avril 2021, trois entreprises étatiques chinoises, dont le régulateur d’Internet du régime communiste Cyberspace Administration of China, ont acquis « 1 % des parts de ByteDance Limited, pour un prix dérisoire » afin d’obtenir « un des trois sièges au conseil d’administration, avec droit de veto ».

À peine un mois plus tard, Zhang Yiming, le fondateur de ByteDance, démissionne de son poste de PDG de la société. Il déménage à Singapour au début de 2022.

Enfin, le 18 janvier dernier, « le même Zhang Yiming cède toutes ses parts, soit 98,81 %, dans ByteDance – rebaptisée Douyin depuis mai 2022 [la version chinoise de TikTok] –, à une obscure entreprise, Xiamen Xingchen Qidian Technology (XXQT), créée seulement vingt jours auparavant, le 30 décembre 2022 ».

Isabelle Feng s’est étonnée : « Comment une petite souris dotée d’un capital social de 1 million de yuans (130 000 euros) a pu avaler le géant planétaire dont la valeur avoisine 200 milliards de dollars (183 milliards d’euros). Mais aucun n’a osé briser l’omerta qui entoure les deux actionnaires de XXQT : aucune information les concernant n’apparaît officiellement, sauf leurs noms. On sait seulement qu’ils détiennent chacun 50 % de la mystérieuse entreprise fondée à Xiamen, ville dont le jeune Xi Jinping fut vice-maire de 1985 à 1988, avant de bâtir son ascension politique depuis la province du Fujian. »

TikTok risque d’être interdit « d’exercer au sein de l’Union européenne »

Face aux questions posées par le sénateur Claude Malhuret concernant les enjeux de transparence soulevés par le cas de TikTok, le ministre chargé de la Transition numérique Jean-Noël Barrot compte sur l’arsenal réglementaire qui sera renforcé par la nouvelle réglementation DSA (Digital Services Act) :  « Je souhaite rappeler que TikTok ainsi que seize autres grandes plateformes seront soumises, à partir du 25 août 2023, au DSA, qui introduit des obligations de transparence, d’audit externe des algorithmes et de partage des données aux chercheurs. Les amendes en cas d’infraction peuvent aller jusqu’à 6 % du chiffre d’affaires mondial, voire jusqu’à l’interdiction d’exercer au sein de l’Union européenne. »

Selon le ministre, la nouvelle réglementation DSA devrait également être un « outil adéquat » pour obliger la filiale de la société chinoise ByteDance à respecter sa promesse initiale – celle d’abandonner son actuel algorithme pour « aller vers une logique d’exploration de nouveaux contenus ». Cela peut permettre, d’après Monsieur Barrot, de lutter contre la « sur-sollicitation des mécanismes de récompense du cerveau et une utilisation agressive de l’intelligence artificielle ».

« L’algorithme [actuel] de TikTok n’est pas neutre (…) TikTok a choisi de développer un produit fondamentalement addictif en offrant aux utilisateurs ce qu’ils désirent voir dans une logique d’utilisation du scrolling qui ne s’arrête jamais – un modèle qui a été depuis copié par d’autres plateformes, notamment par Instagram ou YouTube. L’effet est particulièrement prononcé chez les plus jeunes, dont les esprits en développement sont fortement sensibles à ces stimuli (…) Plusieurs études et démonstrations vous ont été présentées durant les précédentes auditions qui en viennent toutes à la conclusion que ce type de réseau social de vidéos courtes et fondé sur l’économie de l’attention engendre des conséquences graves sur la santé physique et mentale des jeunes », a admis le ministre chargé de la Transition numérique.

« Faire une loi et ne pas la faire exécuter, c’est autoriser la chose qu’on veut défendre »

L’entrée en vigueur de la DSA le 25 août prochain,  instaurera « l’interdiction de la publicité ciblée pour les mineurs » et obligera les plateformes à « mettre en œuvre des mesures strictes pour lutter contre les contenus illicites ». Pour cela, TikTok devra effectuer « annuellement des audits indépendants de réduction des risques » et analyser « l’ensemble des risques que cette plateforme fait peser sur le bien-être et la santé mentale et physique de ses utilisateurs ».

Cependant, en citant Richelieu qui disait « faire une loi et ne pas la faire exécuter, c’est autoriser la chose qu’on veut défendre », le sénateur Claude Malhuret se montrait sceptique quant à l’application de cette régulation au sein de l’UE :

« Dans la réalité, un seul régulateur européen, la Data Protection Commission (DPC) irlandaise, est chargé de traiter cette question et de statuer. Cette situation pose deux problèmes majeurs. Premièrement, l’Irlande, pour d’évidentes raisons fiscales, présente sur son territoire le siège de nombre de plateformes, dont TikTok. Elle n’était donc pas la mieux placée pour se voir confier la responsabilité de la régulation européenne. Ce choix est surprenant et, à mes yeux, dangereux. »

« Deuxièmement, le DPC n’a pas du tout les moyens de traiter de telles problématiques à l’échelle européenne. Or, depuis deux ans, les régulateurs européens, comme l’Arcom et la Cnil, ont perdu leurs fonctions essentielles de régulation des plateformes. Ils ont été contraints d’interrompre leurs enquêtes et de transmettre leurs recherches à la DPC », souligne Monsieur Malhuret, avant de tirer la sonnette d’alarme : « Deux ans plus tard, la DPC n’a publié aucune conclusion à ces enquêtes, ni prononcé de sanction. »

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