« L’École est au bord du naufrage et recrute des profs sur Leboncoin » – Véronique Bouzou

30 janvier 2024 Esprit de Liberté

Diplômée en Lettres modernes, Véronique Bouzou est professeur de français depuis une vingtaine d’années. Elle enseigne actuellement dans un collège public de la région parisienne.

Elle vient de publier Un monde sans profs, une fiction dans laquelle Véronique Bouzou décrit les principaux problèmes qui minent le système scolaire français ainsi que les difficultés auxquelles les enseignants sont régulièrement confrontés.

Une pénurie d’enseignants

Véronique Bouzou insiste notamment sur la pénurie d’enseignants et les difficultés de recrutement auxquelles l’Éducation nationale fait face depuis plusieurs années, la profession suscitant de moins en moins de vocations pour plusieurs raisons (faibles salaires, incivilités et violence de la part des élèves, perte d’autorité, manque de soutien de la hiérarchie, etc.).

Une situation d’autant plus inquiétante que de nombreux professeurs titulaires sont eux-mêmes tentés de « quitter le navire » du fait d’un mal-être de plus en plus prégnant.

« L’Éducation nationale manque tellement de candidats qu’elle cherche des professeurs un peu partout. De plus en plus d’enseignants ne sont pas recrutés via un concours sérieux mais en quelques minutes via des annonces sur Leboncoin ou des “job datings” », explique Véronique Bouzou.

« Parfois, ce sont les parents d’élèves eux-mêmes ou les maires qui font la démarche de chercher des professeurs tellement il en manque. La situation est très délicate. »

Recrutés dans l’urgence, de nombreux professeurs contractuels ne bénéficient d’ailleurs d’aucune formation adaptée avant d’être envoyés devant les élèves.

« Ce sont des professeurs qui n’ont pas toujours le niveau, qui répondent à des questions rapides et qui sont embauchés à la va-vite. Le niveau parfois déplorable de ces professeurs contribue aussi à la baisse du niveau général de l’école », observe Véronique Bouzou.

« Si ces professeurs sont confrontés à un public difficile, ils risquent de perdre leurs moyens, il faut vraiment être solide pour exercer ce métier aujourd’hui. C’est pourquoi beaucoup de professeurs contractuels démissionnent rapidement », ajoute l’enseignante. 

« Le métier de professeur s’apprend, il faut avoir des compétences disciplinaires solides et une maîtrise de la pédagogie pour prétendre enseigner devant une classe. »

L’effondrement du niveau scolaire

Outre la pénurie d’enseignants, Véronique Bouzou évoque également l’effondrement du niveau scolaire des élèves français.

L’enseignante déplore notamment le manque de connaissances et l’absence de maîtrise des savoirs fondamentaux : « En classe de quatrième et de troisième, plusieurs élèves ne maîtrisent pas encore les terminaisons verbales, la syntaxe. »

« Certains élèves ont très peu de vocabulaire et ne comprennent pas des mots simples. Quand vous essayez de leur apprendre du vocabulaire, ils pensent que vous venez du Moyen Âge et vous répondent : “C’est quoi ce mot ? Personne ne parle comme ça aujourd’hui, on est au XXIe siècle, à quoi ça sert ?” »

Des lacunes qui contraignent parfois les professeurs à surnoter les élèves pour tenter de les encourager.

« Quand vous rendez une copie à un élève qui a, par exemple, 7/20 en rédaction, parfois cela vaut 4/20. J’établis un barème précis pour valoriser les élèves qui ont été capables d’écrire trente lignes et qui ont fait des efforts. »

Outre les carences et le manque de motivation, Véronique Bouzou regrette également le peu de curiosité des élèves : « Quand nous étudions les grands auteurs, certains élèves me disent : “Mais il est mort, m’dame ! À quoi ça sert d’étudier un auteur qui est mort ?” Le passé n’a plus de raison d’être pour eux. »

« ll y a un gros problème de travail, je vous assure que beaucoup d’élèves ne veulent pas travailler. Quand je leur demande de lire un livre, moins de la moitié l’a lu le jour de l’évaluation », ajoute le professeur de français. « Tout ce qui n’est pas fait à l’école n’est pas fait à la maison. Certains parents attendent beaucoup des professeurs et ne suivent pas le travail de leurs enfants. »

Des problèmes de discipline récurrents

Véronique Bouzou revient également sur les problèmes de discipline et l’autorité bafouée des enseignants, fruits de « plusieurs années de laxisme » sous couvert de bienveillance de la part de l’Éducation nationale.

« L’autorité des professeurs a tellement été remise en cause ces dernières années que nous payons désormais les pots cassés. Certains professeurs n’arrivent pas à obtenir le calme dans la classe et doivent passer leur temps à crier. Quand on perd du temps pour des problèmes de discipline pendant les cours, on perd du temps pour enseigner », insiste Véronique Bouzou.

« Les élèves qui ont des difficultés ont besoin de calme, s’ils sont sans arrêt perturbés par des camarades qui passent leur temps à bavarder, ils ne peuvent pas travailler », ajoute-t-elle.

Le rôle délétère des écrans

Pour Véronique Bouzou, l’omniprésence des écrans constitue aussi un facteur important dans l’effondrement du niveau scolaire : « Beaucoup d’élèves passent un temps fou sur les écrans à regarder des tonnes d’informations qui circulent très, très vite. C’est le zapping permanent. Tout doit aller vite aujourd’hui et la lecture exige de se concentrer sur le temps long. »

« Un élève apprend mieux à lire quand il le fait sur papier que sur écran. Et l’activité cérébrale se développe davantage également quand l’élève écrit manuellement », poursuit l’enseignante.

Si l’addiction aux écrans peut entraîner des problèmes de concentration et de mémorisation préjudiciables à l’apprentissage des enfants, Véronique Bouzou estime également qu’elle engendre un manque d’empathie particulièrement préoccupant : « Il y a un manque de communication directe. La communication se fait essentiellement via les écrans, il n’y a plus d’écoute et ça devient difficile de se mettre à la place de l’autre. »

Un manque d’empathie qui nourrit l’incompréhension et participe à la banalisation de la violence verbale ou physique à l’école.

« Tout est lié, c’est un cercle vicieux. Les élèves manquent de vocabulaire, de culture générale, de connaissances, ils ont des préjugés sur tout, ils ne sont pas capables de s’exprimer correctement, d’écouter l’autre et de développer un raisonnement, donc la communication passe par la violence, ils en viennent tout de suite aux mains et à la grossièreté. »

« J’ai très peur pour la suite. Vers quelle société allons-nous ? Quand vous n’avez aucune connaissance, vous pouvez être manipulé par le premier influenceur venu ou par le premier homme politique qui parle par slogans publicitaires. »

Des professeurs qui s’autocensurent

Interrogée sur l’état d’esprit du corps enseignant quelques mois après l’assassinat de Dominique Bernard, professeur de lettres à Arras, par un islamiste ayant fréquenté l’établissement où il enseignait, Véronique Bouzou explique que des professeurs ont peur d’évoquer certains sujets et préfèrent s’autocensurer.

« En histoire-géographie par exemple, quand il faut traiter la question israélo-palestinienne, certains professeurs marchent sur des œufs, ils ont peur des réactions de certains élèves. D’autres ont peur quand il s’agit de travailler sur la laïcité », indique-t-elle.

« Tous les collèges et lycées ne sont pas protégés correctement. Certains établissements sont ouverts à tous les vents, c’est très facile de pénétrer dans une école. Les professeurs ne veulent pas prendre tous les risques. C’est facile de devenir la cible de fous furieux à travers les réseaux sociaux aujourd’hui. »

Attachée au respect de la laïcité, l’enseignante souligne toutefois qu’elle ne suffit pas et qu’il faut également donner envie aux élèves issus de l’immigration d’aimer la France à travers l’affirmation de notre histoire et de notre langue, rejetant « la culture du mea culpa permanent ».

« Le mélange et l’assimilation se font de moins en moins. Certains le découvrent aujourd’hui, mais j’ai commencé à enseigner il y a vingt ans à Mantes-la-Jolie et c’était déjà le cas. Quand nous en parlions à l’époque, nous étions au mieux traités de doux-dingues, au pire de méchants ou de racistes », explique Véronique Bouzou.

« Vous avez des jeunes qui pourraient avoir envie d’apprendre et d’admirer l’histoire de France, mais on leur dit que les Français sont méchants, que ce sont des esclavagistes, des colonisateurs. On développe une haine de la France qui a tous les torts. Vous ne pouvez pas leur donner envie de s’assimiler avec une vision aussi manichéenne. »

Un devoir moral

Si Véronique Bouzou explique être parfois en proie au doute et au découragement face aux difficultés du métier d’enseignant, elle ne se voit pas pour autant abandonner l’Éducation nationale.

« C’est un devoir moral, nous avons besoin d’un service public de qualité. Je sais que j’ai un rôle à jouer, nous sommes un rempart contre la barbarie et l’ignorance. C’est ce qui me porte tous les matins. »