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Serbes du Kosovo: la voix singulière du moine Sava

juin 30, 2019 12:45, Last Updated: juillet 13, 2019 12:27
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Responsables de Serbie et du Kosovo ne sont d’accord sur rien, leurs pourparlers sont au point mort, mais ils partagent un adversaire sans concession: un moine orthodoxe.  

Abbé depuis 2011 de Visoki Decani (ouest du Kosovo), monastère médiéval classé par l’Unesco, le père Sava a pu être taxé de « traître notoire » à Belgrade et considéré avec suspicion à Pristina, sans que cela n’entame son franc-parler.  Arrivé comme moine en 1992 dans ce haut lieu de l’identité serbe, hostile à l’homme fort de Belgrade Slobodan Milosevic, il y a protégé des Kosovars albanais pendant la guerre (1998-99).

Habit noir de moine, barbe non taillée et portant lunettes, Sava Janjic, 53 ans, ne fait pas de politique, dit-il.  Mais à la tête d’une communauté d’une vingtaine de religieux, il entend que les quelque 120.000 membres de la minorité serbe puissent rester au Kosovo sans être traités en habitants « de second rang ». Et défend le patrimoine orthodoxe d’un territoire considéré par les Serbes comme leur berceau culturel et religieux, dit-il lors d’un entretien avec l’AFP.

Belgrade en a perdu le contrôle après une campagne de bombardements occidentale pour clore la guerre contre une guérilla indépendantiste albanaise (plus de 13.000 morts).  Le père Sava ne dissimule pas son scepticisme devant les chances du président serbe Aleksandar Vucic et de son homologue Hashim Thaçi, de négocier un accord harmonieux: « Nous ne sommes pas encouragés par ce couple… »

« D’un côté l’ancien ministre de l’Information de Milosevic » durant la guerre, « de l’autre, une personne sérieusement soupçonnée de crimes » comme chef politique de la guérilla, dit-il.

Sava s’oppose à une « correction frontalière » qu’ils envisageraient, avec la restitution à Belgrade, du nord du Kosovo, zone frontalière majoritairement serbe, en échange d’une reconnaissance de l’indépendance proclamée en 2008 par Pristina.  « Incompatible avec les valeurs européennes », ce plan établirait « que sur un territoire, il ne peut y avoir qu’un seul groupe ethnique et une seule religion », dénonce ce Serbe né à Dubrovnik, en Croatie.

Cela conduirait, dit-il, au départ des quelque 80.000 Serbes des enclaves du sud, non contiguës avec la Serbie: les autorités kosovares leur diraient « Nous avons sacrifié le nord. Pourquoi voudriez-vous bénéficier d’une quelconque protection ici? Partez! », redoute-t-il.

L’Otan protège toujours le monastère, la petite route qui y mène reste jalonnée de blocs de béton, le mur d’enceinte est surmonté de barbelés. Cette protection « reste plus que nécessaire », assure Sava, qui énumère les attaques au mortier (2000), au bazooka (2007), ou les graffitis faisant référence à l’Etat islamique (2014)…

Lors des émeutes anti-serbes de mars 2004, le monastère est passé près de la destruction par des extrémistes kosovars, assure-t-il. L’ONU avait dénombré 19 morts dans tout le Kosovo, près de 1.000 blessés, 16 sites religieux détruits ou endommagés durant ces émeutes.

Une foule de quelque 400 personnes « avait l’intention de brûler » les lieux avant de rebrousser chemin sur ordre de l’actuel Premier ministre Ramush Haradinaj, dont ce secteur est le fief. Grâce à « un message très clair » de l’Otan, raconte Sava.

Intégrer un minimum le système reste pour Sava le meilleur moyen pour défendre les Serbes. D’où sa décision de prendre des documents officiels kosovars, autant critiquée à Belgrade qu’exploitée à Pristina où elle a été commentée comme une reconnaissance.

Cette stratégie a été couronnée de succès en 2016 : après 16 ans de procédure, la Cour constitutionnelle du Kosovo a accordé au monastère 24 hectares de terres agricoles et de forêts revendiqués par la municipalité voisine. « C’était déjà la propriété de Visoki Decani,  pendant l’époque ottomane », dit Sava.

Mais le maire de la ville Bashkim Ramosaj refuse d’inscrire au cadastre cette décision qu’il qualifie d’« injuste » et « politique », un refus qui suscite la « vive inquiétude » de l’Union européenne.

Selon Sava, il reste « un gros écart entre la manière dont les Serbes (du Kosovo) sont traités sur le papier et en pratique ». Leurs cimetières sont mal entretenus, l’instance censée regrouper leurs collectivités n’a pas été installée, le statut de langue officielle du serbe n’est pas respecté, les Serbes qui ont fui ne peuvent récupérer leurs biens, énumère-t-il.

« Dans de nombreux domaines, l’intention des dirigeants kosovars albanais est de faire que les Serbes quittent doucement le Kosovo », assure-t-il. Mais Bashkim Ramosaj, qui assure l’avoir protégé en 2004, l’affirme: « Les citoyens de cette municipalité n’attaqueront jamais, jamais, jamais le monastère. » 

E.T avec AFP

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