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Sur l’île de Chypre divisée, une huile d’olive « pour la paix »

février 10, 2020 13:32, Last Updated: février 10, 2020 22:20
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Au milieu de champs baignés d’une lumière hivernale, Hasan récolte patiemment ses olives, scène certes coutumière à Chypre. Mais dans ce pays divisé, son « huile pour la paix » est une lueur d’espoir face à l’impasse des négociations pour réunifier l’île méditerranéenne.

Après s’être liés d’amitié lors de leurs études à Londres, Hasan Siber, Chypriote-turc, et Alexandros Philippides, Chypriote-grec, ont cofondé en 2017 « Coliveoil », l’une des rares start-up bicommunautaires de l’île, basée dans la zone-tampon de Nicosie, dernière capitale divisée au monde.

« faire progresser le processus de paix »

Ces trentenaires disent vouloir contribuer à « faire progresser le processus de paix » en commercialisant une huile d’olives récoltées dans l’ensemble de l’île, scindée depuis l’invasion du tiers nord en 1974 par l’armée turque en réaction à un coup d’Etat visant à rattacher Chypre à la Grèce.

En pleine impasse diplomatique, leur projet suscite un espoir, notamment dans la famille de Hasan, dont une partie a fui le sud de Chypre durant la guerre.

Réchauffés par les rayons que filtrent les montagnes boisées du Troodos, quelques proches de ce Chypriote-turc s’improvisent oléiculteurs à Agios Ioannis –un village autrefois mixte situé près de Nicosie– dans le champ d’un compatriote chypriote-grec.

« Travailler ensemble, c’est le prélude au vivre-ensemble », juge Turgut Siber, venu d’Istanbul pour soutenir la start-up de son fils.

-Hasan Siber chypriote turc et chypriote grec Alexandros Philippides, fondateurs de Coliveoil, marchez dans une oliveraie Mora, un village de la République turque autoproclamée de la République de Chypre du Nord près de la capitale divisée Nicosie, le 19 décembre 2019. Photo par CHRISTINA ASSI / AFP via Getty Images.

« Travailler ici aujourd’hui me remplit d’espoir »

Ils « sont les premiers à le faire mais je pense que d’autres suivront, c’est un exemple », assure ce cardiologue de 65 ans.

Un oncle retraité, Ayhen Eminel, est ému de travailler dans le sud de l’île. Cet hellénophone raconte avoir fui les terres de son enfance près de Paphos (sud-ouest) après avoir été fait prisonnier de guerre.

« Travailler ici aujourd’hui me remplit d’espoir », poursuit le septuagénaire, détachant des olives avec un râteau.

Il explique avoir lui-même voulu entreprendre un projet bi-communautaire lorsqu’il travaillait dans une usine exportant des agrumes.

Mais « le gouvernement de (Tassos) Papadopoulos (président de la République de Chypre de 2003 à 2008, NDLR) avait refusé », déplore-t-il.

Souvenirs d’une enfance passée dans des oliveraies du sud

Sidika Hudaoglu, une tante institutrice, a les larmes aux yeux. Ce projet ravive chez cette quinquagénaire des souvenirs d’une enfance passée dans des oliveraies du sud, qu’elle a fui en 1974.

Tous regrettent le « Non » des Chypriotes-grecs au plan de réunification de l’ONU en 2004, date à laquelle l’île est entrée divisée dans l’Union européenne (UE), autorisant le commerce entre nord et sud.

Mais, 15 ans plus tard, les lois européennes ne sont toujours pas appliquées en République turque de Chypre-Nord (RTCN), autoproclamée et uniquement reconnue par Ankara.

Une solution à la division pourrait apporter jusqu’à 17,4 milliards d’euros au PIB de l’île après 20 ans, selon une étude publiée en février par l’Institut de recherche sur la paix d’Oslo (PRIO).

En attendant, les obstacles restent nombreux pour Coliveoil.

Une entreprise bi-communautaire, deux entités

Deux comptes bancaires, deux numéros, deux adresses… Sans cadre légal pour enregistrer une entreprise bi-communautaire, la start-up possède deux entités: celle enregistrée dans le sud achète à celle du nord afin de pouvoir exporter vers l’UE.

Selon Hasan, les textes européens régissant le commerce insulaire ne faisaient qu’une dizaine de pages et présentaient des lacunes. Le commerce des olives n’était pas explicitement mentionné jusqu’en 2017.

De l’autre côté du checkpoint, Hasan et son partenaire énumèrent les défis que pose la situation de Chypre, en examinant des oliveraies, à Meric, village entouré de collines sur lesquelles trône un immense drapeau turc.

Lors de leur premier passage en 2017, les douaniers leur « ont demandé de nettoyer les olives du nord pour pouvoir les exporter vers le sud », alors que rien ne l’indique dans la législation européenne, disent-ils.

Olives récoltées en RTCN, impossible d’être certifiées « biologiques »

Autre difficulté: l’impossibilité pour les olives récoltées en RTCN d’être certifiées « biologiques » par l’UE. Pourtant, toutes les oliveraies exploitées le sont, assurent les partenaires.

« Nous devons faire tomber ces barrières », clame M. Siber, appuyé par son associé.

« Nous brisons des tabous », s’enthousiasme leur employée Cemre Berk, un Chypriote-turque. « Plus les gens s’habitueront à voir un Chypriote-turc travailler côté grec et vice-versa, plus cela deviendra normal ».

A l’équilibre depuis ses débuts, la start-up reverse 10% de ses bénéfices à « Home for coopération », la structure les abritant aux côtés d’ONG pro-réunification.

Dans ce lieu coincé entre les murets des checkpoints de Nicosie, Coliveoil collabore avec un autre duo, CyprusInno, qui met en relation des entrepreneurs des deux communautés.

Ces initiatives souffrent encore « de stigmatisation », avance l’un des cofondateurs, Steven Stavrou.

C’est en ligne qu’il a connu son associé, Burak Berk Doluay, le premier Chypriote-turc qu’il ait jamais rencontré.

Fondée en 2013 en pleine crise économique, leur plateforme numérique qui connecte des entrepreneurs de toute l’île compte 2.600 membres et a reçu des prix récompensant des projets bi-communautaires.

« Ça a changé nos vies », s’enthousiasme Steven, évoquant son associé. « J’étais témoin à son mariage », confie-t-il. « En se réunissant autour de l’entrepreneuriat, parfois cela va au-delà. »

 

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