Ce que Dante nous apprend sur la souffrance dans la Divine Comédie

La souffrance prend un nouveau sens lorsqu'on l'envisage à la lumière des âmes du "Purgatoire"

Par Walker Larson
13 avril 2025 16:28 Mis à jour: 13 avril 2025 17:03

Qu’est-ce qu’un poème médiéval datant de 700 ans pourrait bien avoir à nous dire sur la nature de la souffrance qui soit pertinent en l’an 2025 ? Pas mal de choses, en fait.

La Divine Comédie, écrite par Dante Alighieri au début du XIVe siècle, raconte le voyage spirituel d’un pèlerin à travers les royaumes de l’au-delà : l’enfer, le purgatoire et le paradis. L’imposant poème de Dante plonge dans les profondeurs déchirantes de l’enfer et s’élance vers les pinacles lumineux du paradis, englobant toute la gamme des émotions et des expériences humaines, résumant l’intégralité du drame humain et divin.

Dante Alighieri, détail de la fresque de Luca Signorelli dans la chapelle de San Brizio, cathédrale d’Orvieto. (Crédit photo de JoJan/CC BY-SA 3.0)

Comme le soulignent Aldo Bernardo et Anthony Pellegrini dans leur livre Companion to Dante’s Divine Comedy, Dante a cherché à synthétiser une « vision complète » de tout ce qui existe, de l’univers et de la place qu’y occupe l’humanité, en réunissant toutes les choses dans un ensemble harmonieux et ordonné, lié par l’amour. L’essentiel de ce qu’il a écrit au XIVe siècle s’applique avec la même force aujourd’hui ; nous continuons à vivre un drame psychologique et spirituel dont les fondements restent inchangés. Tant que la nature humaine perdurera, la souffrance subsistera dans le monde et nous nous efforcerons de lui donner un sens.

Dante peut nous aider, en nous enseignant peu à peu les voies mystérieuses de la souffrance et comment sa présence dans notre vie est un catalyseur nécessaire à notre croissance et à notre perfection en tant qu’êtres humains.

La souffrance en enfer

La Divine Comédie est un poème dont le début est marqué par la souffrance. Après la célèbre ouverture dans laquelle Dante se trouve « égaré dans une forêt obscure », il est conduit par le poète romain Virgile dans les cavernes de l’Enfer. Là, il voit la souffrance, les tourments et le désespoir qui sont les conséquences d’un péché impénitent.

Dante tenant sa Divine Comédie, à côté de l’entrée de l’Enfer, des sept terrasses du Mont Purgatoire et de la ville de Florence, avec les sphères du Ciel au-dessus, dans une fresque de Domenico di Michelino, 1465. Cathédrale Sainte-Marie de Fiore, Florence. (Domaine public)

Alors que Dante et Virgile traversent les cercles de l’Enfer les uns après les autres, observant des âmes ballottées par les tempêtes, piquées par les fourches des démons et suspendus la tête en bas dans des trous fumants, Dante est confronté à la souffrance de ceux qui ont refusé de changer. Les pécheurs de l’ « Enfer » subissent une expérience de douleur infructueuse et sans fin en guise de punition pour leurs péchés. Ceux qui se trouvent en enfer refusent de se repentir de leur égarement ; la souffrance n’apporte aucun changement ni aucune amélioration à ceux qui la subissent sans le vouloir.

Les critiques s’accordent généralement à dire que le poème de Dante peut être compris à plusieurs niveaux : d’une part, il s’agit du récit d’un voyage dans l’au-delà. Mais d’un point de vue allégorique, il raconte aussi le voyage de l’âme vers Dieu dans cette vie, le processus de conversion et de maturation spirituelles.

Grâce à une imagerie poétique puissante, Dante souligne le fait que, même ici sur terre, les souffrances de l’âme égarée sont souvent imposées par soi-même. Entravé par son obstination, le monde du pécheur se contracte continuellement jusqu’à ce qu’il soit littéralement enfermé dans son propre mal et sa propre misère. C’est exactement la façon dont Dante dépeint Satan dans le poème – une figure monstrueuse emprisonnée dans des plaques de glace au cœur même de la terre. La glace s’est formée sous l’effet des rafales glaciales provoquées par les battements d’ailes incessants du monstre, qui ressemblent à celles d’une chauve-souris. Dans son orgueil effréné et sa tentative infructueuse de s’élever au-dessus de Dieu, Satan a littéralement créé sa propre prison.

En réfléchissant à ces considérations au sens métaphorique et terrestre du terme, nous voyons la sagesse et la vérité de ce que propose le poème de Dante : l’expérience de la souffrance dépend beaucoup de l’attitude de celui qui souffre et, dans certains cas, la souffrance peut même être infligée par soi-même en raison d’un refus d’abandonner un mode de vie nuisible, préjudiciable ou irrationnel.

Mais la souffrance punitive de l’Enfer n’est pas le seul type de souffrance présenté par Dante. Dans la deuxième partie du poème, le « Purgatoire », la souffrance n’est pas punitive mais médicinale. Toute la teneur du poème change en fonction de l’attitude des souffrants que Dante rencontre. Leur réaction à la souffrance est complètement différente dans ce royaume de lumière et d’espoir par rapport aux recoins sulfureux de l’Enfer.

La souffrance au Purgatoire

Le Purgatoire, 1861, par Gustave Doré. Illustration du Chant 19 de la « Divine Comédie » de Dante. (Domaine public)

La montagne du Purgatoire s’élève en forme de colonne depuis la mer vers les cieux – une image visuelle de l’espoir chéri dans les cœurs des âmes se frayant un chemin sur ses pentes. Alors que les âmes rencontrées par Dante en Enfer maudissaient, gémissaient et s’apitoyaient sur leur sort, les âmes du Purgatoire se saluent avec joie, chantent des chansons et discutent de poésie. Leurs regards sont tournés vers l’extérieur et vers le haut, et elles ont de l’espoir : l’espoir de se débarrasser de leurs imperfections et d’arriver, un jour, au paradis.

Ce que Dante nous enseigne dans le « Purgatoire », c’est que la souffrance, lorsqu’elle est accueillie avec courage et espoir, peut nous transformer et nous conduire, en fin de compte, vers des régions de joie plus élevées. Les âmes du Purgatoire souffrent volontairement parce qu’elles savent que leurs souffrances ne sont pas destinées à punir mais à guérir.

Leurs âmes se sont « courbées et déformées » suite aux fautes commises dans la vie et ont besoin d’être redressées. Pour Dante et les âmes qu’il rencontre, l’ascension de la montagne est un processus qui permet d’atteindre la plénitude et de restaurer l’innocence. C’est le chemin du paradis.

Toute la structure du poème reflète les étapes spirituelles du repentir : la prise de conscience du péché, la pénitence et le pardon. Le critique littéraire Nasrullah Mambrol écrit :

« Comme tous les êtres humains, selon le point de vue chrétien médiéval de Dante, le pèlerin doit d’abord reconnaître la nature du péché (comme il le fait dans l’ « Enfer »), réparer son péché (comme il le fait dans le « Purgatoire ») et accroître sa sagesse, sa joie et son amour par une vie sainte (comme il le fait dans le « Paradis »). Ainsi, le pèlerin Dante est un personnage dynamique, qui passe du péché au salut, de l’ignorance à la sagesse, du désespoir à la joie, tout au long de son voyage vers Dieu. »

Ce processus de guérison est illustré dans la terrasse des orgueilleux, le premier niveau du Purgatoire. Les anciens pécheurs sont ici alourdis par de lourdes pierres qu’ils doivent porter en haut de la montagne ; ils sont pliés en deux sous le poids, mais ils ne se plaignent pas. Il s’agit en partie d’une expiation pour les péchés d’orgueil, mais, plus précisément, d’un type de correction. Il s’agit de plier le cou raide des orgueilleux afin qu’ils retrouvent leur état normal et qu’ils puissent à nouveau marcher droit.

De même, sur une autre terrasse, les envieux ont les yeux cousus afin, premièrement, de ne pas regarder avec jalousie ce que possèdent leurs voisins et, deuxièmement, d’apprendre à se faire confiance et à compter les uns sur les autres au cours de leur ascension, au lieu de s’affaiblir mutuellement comme ils l’ont fait dans la vie.

Dante, lui aussi, au fur et à mesure qu’il progresse sur ces terrasses, fait l’expérience du processus de purification curative. Comme le souligne le critique Joseph Pearce, « le symbolisme se poursuit lorsque l’ange fait la marque de sept P sur le front de Dante, signifiant les sept péchés capitaux (le « P » signifiant « peccatum », le mot latin pour péché). Chacun de ces P est enlevé au fur et à mesure de l’ascension de Dante à travers les différentes parties de la montagne dans lesquelles chacun des sept péchés capitaux est purifié. Enfin, au sommet du mont Purgatoire, Dante se retrouve dans le paradis terrestre, l’Eden prélapsaire, le lieu de l’innocence primitive où il n’y a pas de tache de péché ». Ainsi, au Purgatoire, la souffrance est rédemptrice, préparatoire et corrective.

Qu’est-ce qui doit être corrigé ? Selon Dante, à la racine de toutes les déformations spirituelles se trouve une sorte de perversion de l’amour. Dante affirme que toutes les actions, bonnes ou mauvaises, découlent en fin de compte de l’amour. Même une action mauvaise est accomplie parce que la personne qui la commet aime quelque chose, soit la mauvaise chose, soit de la mauvaise manière. Bernard et Pellegrini expliquent : « Dante apprend de Virgile que la force cosmique qui détermine toutes choses est l’amour. Le destin de chaque âme dépend de la manière dont elle dirige cette force mystérieuse de l’intérieur et de sa capacité à recevoir son influence de l’extérieur. »

La relation entre la souffrance et l’amour est magnifiquement articulée dans le poème de Dante. En effet, si l’amour est la source de toutes les actions, un amour bien ordonné fournit également aux âmes du Purgatoire les moyens d’endurer ce qui doit être enduré. En effet, l’amour contient la clé qui permet à celui qui souffre de transcender sa souffrance. Un exemple de cela se produit lorsque Dante atteint le dernier niveau du Purgatoire, qui consiste en une couronne de flammes. Ce qui lui donne finalement le courage de traverser les flammes, c’est son amour pour une femme nommée Béatrice, qu’il sait qu’il retrouvera de l’autre côté.

Dante et Béatrice, 1883, Henry Holiday, inspiré de La Vita Nuova. (Domaine public)

L’une des âmes que Dante rencontre au Purgatoire explique de façon charmante comment l’amour rend leurs souffrances non seulement supportables, mais même une sorte de consolation :

Tout esprit,
Dont le chant se plaint de son indulgence à la gloutonnerie 
Sans mesure, ici dans la faim et la soif
Est purifié. L’odeur que dégage le fruit,
Et les goutelettes qui se répandent sur la verdure,
Enflamment notre envie de manger et de boire.
Et plus d’une fois tournant en cette corniche
Notre souffrance est ravivée :
La souffrance, dis-je, le réconfort plutôt, car cette volonté qui
Nous conduit à l’arbre, a conduit le Christ
Pour appeler Eli, joyeux d’avoir payé
Notre rançon de sa veine. (« Purgatoire, » Chant XXIII)

En d’autres termes, la souffrance purificatrice de ces âmes autrefois gloutonnes devient en fait un réconfort pour elles puisqu’elles savent qu’elle guérit leur désordre et les rapproche de Dieu, l’objet de leur amour. Tel est l’heureux paradoxe exploré dans le « Purgatoire ». La souffrance n’est pas incompatible avec le bonheur, la joie et l’amour.

La dernière partie du poème de Dante, « Le Paradis », est, bien sûr, sans douleur. Mais Dante n’y parvient qu’en passant par les épreuves de l’enfer et du purgatoire. Le poète Dante nous montre ainsi que la souffrance a un sens et une valeur lorsqu’on y répond correctement, un sens porteur de la promesse d’un bonheur toujours plus profond.

Soutenez Epoch Times à partir de 1€

Comment pouvez-vous nous aider à vous tenir informés ?

Epoch Times est un média libre et indépendant, ne recevant aucune aide publique et n’appartenant à aucun parti politique ou groupe financier. Depuis notre création, nous faisons face à des attaques déloyales pour faire taire nos informations portant notamment sur les questions de droits de l'homme en Chine. C'est pourquoi, nous comptons sur votre soutien pour défendre notre journalisme indépendant et pour continuer, grâce à vous, à faire connaître la vérité.