SCIENCES

Les preuves de voyages transocéaniques avant le 15e siècle

juin 14, 2016 9:11, Last Updated: septembre 5, 2017 15:42
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Il arrive parfois que des théories marginales de la science trouvent le moyen de s’imposer en plein cœur de celle-ci à mesure que les preuves s’amoncellent.

« Un exemple classique réside dans la théorie de la dérive des continents », a rappelé le géographe culturel Stephen C. Jett, professeur émérite à l’Université de Californie-Davis. « En 1955, tout ceux qui reconnaissaient croire en la théorie de la dérive des continents, étaient la risée du milieu. En 1965, tout ceux qui déclaraient ne pas y croire étaient devenus la risée du milieu».

Il était encore étudiant en géographie lorsque ce changement radical s’est opéré dans l’opinion publique et il pris cet exemple à cœur. Encouragé par un de ses professeurs de l’Université Johns Hopkins, Jett a consacré dix années à étudier une autre théorie controversée.

Le diffusionnisme

L’anthropologie et l’archéologie dominantes, soutiennent qu’avant le débarquement au 15e siècle de Christophe Colomb en Amérique, seules des expéditions nordiques avaient réussi à poser un pied sur les terres du Nouveau Monde, aux environ de l’an 1000 apr. J.-C. Mais plusieurs théories marginales soutiennent la thèse que d’autres expéditions précolombiennes avaient réussi à atteindre les Amériques. Ces autres théories sont appelées « diffusionnisme ».

« Au départ, j’étais persuadé qu’une fois que j’aurais rassemblé un certain nombre de preuves… et que je les aurais exposées, ça changerait tout, du moins graduellement », a concédé Jett. « Mais les choses ne se sont pas vraiment passées ainsi. L’ensemble du concept a rencontré beaucoup d’inertie et une bonne dose de résistance ».

Jett pense que l’absence d’une approche multidisciplinaire est une cause majeure expliquant les difficultés du concept des premiers voyages transatlantiques à s’imposer dans l’histoire dominante.

Pour lui, c’est simple « si l’on reste confiné à un seul domaine, on ne peut l’appréhender ».

Jett adopte une perspective pluridisciplinaire. « La géographie est une discipline très vaste », explique-t-il. Par exemple, la géographie physique s’occupe du climat, des océans, des reliefs et les autres éléments indispensables aux voyages longue distance. La géographie culturelle, qui est la spécialité de Jett, lui a permis d’explorer les nombreuses similitudes entre les cultures de l’Ancien et du Nouveau Monde.

En tant qu’étudiant diplômé, il avait trouvé des similitudes précises dans les constructions de sarbacane dans diverses cultures. Il était impossible selon lui, que ces similitudes soient apparues de façon indépendante; elles sont clairement le fruit de contacts et d’influences transocéaniques. Aujourd’hui, ce sont les preuves biologiques qui viennent compléter la preuve culturelle. Les recherches sur la dispersion des maladies et des espèces végétales aussi indiquent d’anciens contacts transocéaniques.

Jett a décrit ce qu’il appelle « les six preuves de révolution » dans une approche pluridisciplinaire qui ont grandement stimulé les théories diffusionnistes. « Nous sommes aux portes d’un tournant majeur », croit-il savoir.

Une analyse détaillée de toutes « les preuves de révolution » dépasse largement le cadre de cet article. Nous allons donc examiner brièvement chacune des six des preuves avancées par Jett.

Preuve n°1 : les traditions archéologiques maritimes et de navigation

Une objection majeure avancée à l’encontre des théories diffusionnistes résiderait dans l’impossibilité des voyages transocéaniques à cause des techniques de constructions de bateaux et de navigation limitées de l’époque. Ces peuples anciens n’auraient donc pas pu faire le trajet jusqu’au Nouveau Monde.

Mais de nos jours, de nombreuses répliques de bateaux d’époque ont fait le voyage avec succès, en n’utilisant que des technologies de l’antiquité.

Un célèbre exemple est celui du Dr Thor Heyerdahl, qui a construit une réplique d’un bateau utilisé dans l’antique Égypte, en papyrus et avec lequel il a relié le Maroc à la Barbade en 1970.

Plus d’une vingtaine de voyages réussis de ce type ont été réalisés, assure Jett. À l’image du voyage de Hokule de 1985, avec une reconstruction d’une ancienne pirogue double, utilisée pour naviguer entre Hawai’i et la Nouvelle-Zélande, grâce aux méthodes traditionnelles de navigation.

Preuve n°2 : les parasites et les maladies

Les échanges de parasites et de maladies entre l’Ancien et le Nouveau Monde ont pu se produire bien avant l’arrivée de Christophe Colomb. En 2003, des chercheurs de l’école nationale de la santé publique (Escola Nacional de Saúde Pública-Fiocruz) de Rio de Janeiro, au Brésil, ont procédé à un examen des parasites trouvés sur des sites archéologiques et documentés.

L’étude « Human Intestinal Parasites in the Past », déclare : « Des ancylostomids [ankylostomes] ont été découverts sur des sites archéologiques tant de l’Ancien que du Nouveau monde… L’infection humaine était déjà présente chez les Amérindiens, bien avant Christophe Colomb. Ce qui suggère fortement un certain type de contact transocéanique il y a 7230 ans ± 80 ans… Hors de leurs hôtes, les ancylostomids ont un besoin vital de conditions chaudes et humides pour compléter leur cycle de vie, et ne pouvaient pas avoir survécu lors des migrations humaines par voie terrestre à travers le détroit de Béring, au cours de la dernière période glaciaire ».

Pour Jett, la tuberculose et la syphilis faisaient parties des maladies apparemment présentes des deux côtés de l’océan Atlantique dans l’antiquité. La théorie selon laquelle la transmission aurait eu lieu lors de contacts humains précolombiens ne fait pas l’unanimité.

Il est généralement admis que la tuberculose a pu se propager par des défauts d’étanchéité. Quant à la syphilis, on a toujours pensé qu’elle était arrivée dans l’Ancien Monde par le truchement des membres d’équipage de Colomb, qui l’avaient eux mêmes contracté dans le Nouveau Monde. Mais des éléments de preuve récoltés sur les restes de squelettes du Vieux continent, suggèrent toutefois que la maladie était déjà présente dans l’Ancien Monde avant Christophe Colomb.

En 2015 des chercheurs de l’Université de Vienne avaient publié un article intitulé « Un cas probable de syphilis congénitale datant de la période précolombienne en Autriche », après avoir étudié les restes d’un enfant. La revue stipulait : « Nos résultats appuient la théorie précolombienne, apportant des preuves contradictoires à l’hypothèse voulant que l’arrivée de la syphilis dans l’Ancien Monde, soit le fait de l’équipage de Colomb de retour du Nouveau Monde ».

Pour de nombreux experts cependant, les preuves de la présence de syphilis précolombienne dans le Vieux Monde ne sont pas concluantes. Ils estiment que les symptômes visibles sur ces restes squelettiques peuvent avoir d’autres causes que la syphilis.

Preuve n°3 : la domestication

Jett explique : « Aujourd’hui, nous disposons de restes archéologiques de plantes cultivées, dont probablement une vingtaine auraient été découvertes dans le mauvais hémisphère – autrement dit, des traces de domestication d’éléments du Nouveau Monde, ont été retrouvés sur des sites archéologiques un peu partout en Asie du Sud ».

« Une grande partie de ces découvertes a été publiée dans des revues d’outre-mer, que la plupart des Américains ne lisent pas », a constaté Jett.

Par exemple, des graines d’anone (Annona squamosa), retrouvées sur un site archéologique du nord-centre de l’Inde ont été analysées par Anil Kumar Pokharia, de l’Institut Sahni Birbal de paléobotanique et d’autres chercheurs indiens en 2009. L’idée communément admise jusqu’ici était que la pomme cannelle, originaire d’Amérique et des Indes Orientales, avait été rapportée en Inde par les Portugais au 16e siècle.

Dans son étude publiée dans la revue Radiocarbone, Pokharia a écrit toutefois : « La datation des échantillons repoussent au 2e millénaire avant JC, dans l’Inde antique les origine de l’anone. Elle appuie les différentes thèses avancées par un groupe de spécialistes de contacts transocéaniques entre l’Asie et les Amériques avant la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb en 1492 ».

Jett déclare que Carl Johannessen, professeur de géographie à la retraite de l’Université de l’Oregon et John Sorenson, professeur émérite d’anthropologie à l’Université Brigham Young, ont également recueilli de nombreuses références biologiques.

Le poulet est l’un des animaux domestiqué qui a reçu beaucoup d’attention, même de la part des publications américaines, a précisé Jett.

En 2007, l’anthropologue Alice A. Storey de l’Université d’Auckland en Nouvelle-Zélande, a conduit une étude intitulée « Preuves par radiocarbone et ADN d’une introduction précolombienne du poulet polynésien au Chili ».

Des restes d’os de poulet trouvés au Chili attesteraient de l’introduction aux Amériques, de poulets par les Polynésiens avant Christophe Colomb. En 2014, une étude menée par Alan Cooper, directeur du Centre australien d’Étude de l’ADN ancien, a analysé différemment l’ADN des os de poulet et suggéré plutôt qu’ils étaient génétiquement distincts des poulets polynésiens.

Mais Storey maintient son analyse et critique l’étude de Cooper qu’elle accuse d’avoir recouru à de l’ADN provenant de poulets modernes, issus d’Amérique du Sud pour faire sa comparaison.

Elle a confié à National Geographic : « La majeure partie de leurs travaux de recherche se concentre sur l’ADN moderne. Recourir à l’ADN moderne pour comprendre les comportements des gens du passé, équivaudrait à prendre comme échantillon, un groupe de banlieusards à une station de métro de Londres à l’heure de pointe. L’ADN que vous obtenez avec ce groupe est aussi peu susceptible de vous fournir des informations utiles sur la population pré-romaine de Londres ».

Les recherches sur d’autres espèces domestiquées sur les sites archéologiques en Amérique du Sud et ailleurs continuent à émoustiller experts.

David Burley, archéologue à l’Université Simon Fraser au Canada, n’a aucun doute sur le fait que des Polynésiens soient arrivés au Nouveau Monde. Il a confié au National Geographic : « Les éléments de preuve en faveur du contact polynésien avec le Nouveau Monde avant Colomb sont substantiels. Nous avons la patate douce, la gourde, tous ces objets du Nouveau Monde dont la présence précolombienne ici est très documentée. Puisque les Polynésiens ont été capables de découvrir la minuscule Île de Pâques, comment peut-on penser qu’ils seraient passés à côté d’un continent entier ? »

Preuve n°4 : des éléments de génétique humaine

Les preuves génétiques humaines qui attesteraient des contact transatlantiques, découvertes sur les populations autochtones du Nouveau Monde, sont souvent écartées parce qu’elles viendraient du matériel génétique de la colonisation européenne post-colomb.

« Mais les schémas, en particulier ceux caractéristiques de l’Asie du Sud ou de l’Est, ne correspondent pas précisément à ceux issus des colonisateurs », a déclaré Jett, « parce qu’il n’y avait pas de colonisation significative de ces zones à l’époque coloniale ».

Il a également souligné que les marqueurs génétiques présents dans les mêmes régions, sont des manifestations culturelles qui suggèrent de précoces contacts transocéaniques.

Le Dr. Donald Panther Yates a analysé l’ADN et la culture Cherokee pour débusquer des liens avec l’Ancien Monde qui auraient pu se forger bien avant l’arrivée de Colomb.

Dans un article intitulé « Anomalous Mitochondrial DNA Lineages in the Cherokee », Yates aborde la question de deux groupes génétiques chez les cherokee, appelés haplogroupes T et X.

Le chercheur a écrit: « Le seuil d’haplogroupe T chez les Cherokee (26,9 %) se rapproche du pourcentage en Égypte (25 %), l’un des seuls pays où le seuil T atteint une position importante au sein des différentes lignées mitochondriales ».

Du haplogroupe X, il écrit: « Le seul autre endroit sur Terre où X se trouve à un niveau élevé en dehors des autres groupes indiens américains comme les Ojibwe, est parmi les Druzes des collines de Galilée dans le nord d’Israël et au Liban ».

Yates a également trouvé des parallèles entre la langue Cherokee et certaines langues anciennes de l’Ancien Monde. Par exemple, le mot Cherokee, Karioi – qui veut dire « loisirs » ou « facilité » correspond littéralement au même mot grec pour « amusements ».

Preuves n°5 et 6 : les systèmes de langues et de calendriers

Jett a fait référence au travail de Brian Stubbs – linguiste à l’Université d’Etat Eastern de l’Utah – qui suggère un lien entre l’Ancien et le Nouveau Monde. Stubbs a récemment publié un volume montrant un chevauchement entre les langues uto-aztèques du Nouveau Monde et les langues afro-asiatiques, tels que les langues anciennes égyptiennes et sémitiques.

Jette révèle que beaucoup d’autres liens ont été établis, mais qu’ils n’ont pas encore reçu assez d’attention de la part des professionnels. Il espère que les linguistes s’intéresseront à certaines de ces pistes prometteuses.

Jett édite une revue intitulée Pre-Columbiana. Dans le prochain numéro, il publiera un article écrit il y a 30 ans (mais qui n’avait jamais été publié), par l’éminent et regretté archéologue et épigraphiste David H. Kelley, qui montre des similitudes entre les systèmes de calendrier maya et eurasiens. Kelley soutient que ces similitudes ne sont pas apparues de façon indépendante. Dans les années 1960, Kelley a gagné en notoriété grâce à ses contributions majeures dans le déchiffrement de scripts maya.

Les obstacles

Bien que certaines objections à l’encontre des théories diffusionnistes portent sur les preuves – autrement dit remettent en cause la validité des preuves – Jett pointe du doigt d’autres types d’obstacles que ces théories rencontrent sur le chemin pour devenir un courant dominant.

Pour certains observateurs, les diffusionnistes rabaisseraient les populations autochtones américaines en suggérant que ces cultures ne se seraient pas formées indépendamment, mais auraient eu besoin des apports de l’Ancien Monde. Jett regrette que certaines études diffusionnistes manquent de rigueur suffisante, entachant la réputation générale du courant diffusionniste.

En outre, le diffusionnisme remet en cause les efforts de généralisation du développement des cultures effectués par les scientifiques. Si toutes les civilisations sont historiquement liées, il n’existe aucun exemple indépendant permettant de les comparer les unes aux autres afin de formuler des généralisations. Cela agit comme un obstacle psychologique dans l’esprit des anthropologues, fait remarquer Jett. Elle sape une grande partie des avancées réalisées dans ce champ d’étude.

À mesure que de nouvelles preuves viennent s’ajouter aux précédentes et que l’afflux de jeunes scientifiques remplaçant les vieux chercheurs se poursuit, Jett estime que nous sommes à l’aube d’une percée globale en faveur de l’approche diffusionniste. Son livre, « Ancient Ocean Crossings » est dans les imprimeries de la presse à l’Université de l’Alabama et devrait sortir l’année prochaine.

Version anglaise : Evidence Accumulates for Ancient Transoceanic Voyages, Says Geographer

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