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Les enjeux de la biométrie dans l’humanitaire

août 31, 2015 10:44, Last Updated: août 30, 2015 22:51
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BELGRADE – La biométrie, pour ceux qui n’ont pas passé les dix dernières années à jurer devant le système de contrôle automatisé des passeports à l’aéroport d’Heathrow, est l’utilisation des caractéristiques biologiques des personnes pour leur identification. La plus connue est l’empreinte digitale, mais le balayage informatisé des yeux et du visage est utilisé dans un nombre croissant de contextes. À l’origine, la biométrie moderne servait à identifier les criminels, mais la guerre contre le terrorisme en a fait le secteur que l’on connaît aujourd’hui, évalué à 13,8 milliards de dollars.

Cette technologie a fait un bond en avant ces dernières années et a fait son apparition là où on l’attendait le moins. On peut se servir de son empreinte digitale pour utiliser son téléphone intelligent, même les écoliers se font relever leurs empreintes. Facebook peut reconnaître quelqu’un sans même voir son visage, et des organisateurs de festivals de musique ont misé sur la technologie de reconnaissance faciale. Cela fait longtemps que la biométrie soulève des inquiétudes concernant le respect de la vie privée, mais elle a son utilité et est employée dans de plus en plus de secteurs, dont celui de l’aide humanitaire.

Dans le contexte humanitaire, la biométrie sert soi-disant principalement à éviter les fraudes d’identité, mais une raison sous-jacente apparaît dans ce rapport effectué en 2006 en Malaisie par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) :

« Nang Piang, réfugié birman, a placé ses doigts avec hésitation sur le scanneur biométrique […] « Je ne sais pas à quoi ça sert, mais je fais ce que le HCR me dit de faire », a-t-il dit […] »C’est une étape importante pour le HCR en Malaisie, car nous renforçons la sécurité de notre système d’enregistrement pour éviter la fraude », a dit Volker Türk, responsable du HCR en Malaisie. « Une telle mesure de sécurité va certainement asseoir la crédibilité du système d’enregistrement du HCR aux yeux du gouvernement malaisien… » »

Cette dernière déclaration montre bien que l’enregistrement biométrique est mû par les intérêts des États, des sociétés de technologie et des organisations humanitaires, dans cet ordre.

Le système biométrique du HCR était au départ financé par l’Union européenne et par les États-Unis (qui recommandaient spécifiquement que « le HCR utilise rapidement la technologie mobile de reconnaissance des empreintes digitales mise au point par [le département de la Sécurité intérieure] »). Il a depuis fait appel à plusieurs entreprises, dont PA Consulting, qui avait aidé le gouvernement britannique à mettre au point son système biométrique de contrôle aux frontières et dont l’un des anciens employés travaille maintenant pour les Nations Unies pour superviser le déploiement de ce système dans le monde entier.

Cette technologie a fait un bond en avant ces dernières années et a fait son apparition là où on l’attendait le moins.

Les critiques tournent autour de deux préoccupations majeures. La première est la sécurité : en 2008, par exemple, PA Consulting a perdu le dossier biométrique de 84 000 prisonniers britanniques, non pas à cause d’un acte cybercriminel, mais parce qu’ils avaient été enregistrés sur une clé USB non cryptée rangée dans un tiroir non fermé à clé dans un bureau non sécurisé. La deuxième préoccupation concerne le respect de la vie privée, parfois plus importante encore du point de vue humanitaire, car la confidentialité relative à l’identité des populations et des individus vulnérables, dont un grand nombre fuit un conflit ou la persécution, peut être essentielle pour leur protection.

Le HCR a affirmé que l’enregistrement biométrique améliorait la protection des réfugiés, mais le débat n’est manifestement pas clos. Dans une récente étude, Katja Lindskov Jacobsen a fait remarquer que même si l’enregistrement biométrique peut atténuer certaines vulnérabilités, la création d’un « réfugié numérique » peut en générer de nouvelles. Les données biométriques peuvent en effet être partagées par différents acteurs pour divers motifs. L’objectif peut être de résoudre certains problèmes auxquels les réfugiés sont confrontés, mais aussi, dans un autre contexte, de présenter les réfugiés comme étant le problème.

Les assurances de confidentialité des États ne sont pas des garanties. La Commission européenne a promis que sa base de données EURODAC des demandes d’asile déposées serait protégée, jusqu’à ce qu’elle accepte en 2012 d’autoriser Europol et d’autres services de répression à y accéder. Le HCR a fait part de son inquiétude à ce sujet, mais cela n’a pas arrêté la Commission. Le HCR s’est d’ailleurs lancé dans la mise en place d’un système mondial centralisé de gestion de l’identité biométrique (BIMS), tout en n’adoptant une politique de protection des données qu’en mai 2015. Politique qui stipule explicitement que le HCR peut transmettre les données personnelles [des réfugiés] à des tiers ». Cette politique est assortie de garde-fous, mais la sécurité des données n’est pas plus sûre que le maillon le plus faible de la chaîne et, comme vous avez pu le lire plus haut, ce maillon peut être tout simplement quelqu’un qui oublie sa clé USB.

Cette politique s’inscrit dans un schéma plus large et plus inquiétant du domaine de la biométrie : ce sont les populations marginalisées qui servent de cobayes pour les nouvelles applications biométriques, toujours sous prétexte que ce serait dans leur intérêt. Privacy International a remarqué que dans les pays où les processus démocratiques tels que le contrôle parlementaire et la primauté du droit fonctionnent le mieux, les systèmes biométriques ont été à plusieurs reprises remis en question et repoussés par des citoyens bien informés. La vraie question ici est celle de la redevabilité, ou du manque de redevabilité, précisément parce que la biométrie à usage humanitaire est utilisée dans des pays où ces facteurs sont faibles, voire inexistants.

À titre d’exemple, l’une des premières utilisations de la biométrie en contexte humanitaire date de 2003 et avait pour objectif d’aider le HCR à établir que seulement 0,5 % des Afghans de retour du Pakistan tentaient de frauder le programme afghan pour le retour des réfugiés. Le président actuel, Ashraf Ghani a présenté la biométrie comme le fondement de la politique sociale de son pays dans son livre Fixing Failed States, publié en 2006. Les autorités afghanes se sont d’ailleurs fixé comme but de « relever l’empreinte digitale, photographier et scanner l’iris de tous les Afghans vivants ». Cela a fait de l’Afghanistan le pays le plus biométriquement identifiable du monde et, même si le HCR et le gouvernement afghan ont tous deux beaucoup investi dans des bases de données biométriques, c’est l’armée américaine qui est le véritable moteur de cette politique.

Le recours à la biométrie a clairement des avantages. Le Centre for Global Development soutient de manière prudente et selon les contextes le principe général d’utilisation de la biométrie pour pallier ce qu’il qualifie de fossé identitaire, alléguant que l’on demande généralement aux plus vulnérables et aux plus marginalisés de se soumettre à l’enregistrement biométrique pour avoir accès aux services publics. La Columbia Human Rights Law Review défend la légalité et l’efficacité des cartes d’identité biométriques pour les réfugiés, à condition que la vie privée soit totalement respectée.

Un employé du HCR relève les empreintes digitales d’une famille somalienne. (J. Ose/UNHCR Ethiopia)

Il semble cependant évident que ceux qui se font enregistrer ont peu de chances d’en connaître toutes les implications. Un article du HCR citait le réfugié congolais Olivier Mzaliwa disant : « Je peux être quelqu’un maintenant. Je suis enregistré mondialement auprès des Nations Unies et on saura toujours qui je suis. » Même en supposant que M. Mzaliwa a été bien informé des éventuels inconvénients de son enregistrement (ce dont on peut douter, puisqu’on ignore même si le personnel du HCR est au courant de ces problématiques), il n’a plus aucun contrôle sur ces données le concernant et il est peu probable qu’il ait la moindre possibilité d’en reprendre le contrôle ni même de savoir comment ces données sont utilisées. Le manque de redevabilité demeure criant.

Selon les opinions politiques, l’enregistrement de l’identité est soit un précieux outil dans la lutte contre la pauvreté, soit un nouveau chapitre de Seeing Like A State [ouvrage de James C. Scott critiquant la volonté de l’État moderne de tout standardiser] – même si l’un et l’autre sont probablement vrais. Quoi qu’il en soit, l’utilisation de la biométrie ne peut que s’étendre, à mesure que nous nous dirigeons vers une généralisation de la distribution d’argent liquide. L’enregistrement et la vérification sont alors essentiels pour bien cibler les bénéficiaires et surveiller l’efficacité de la distribution. Dans un tel contexte, nous avons pour obligation d’éviter d’utiliser les pauvres comme sujets d’expérience, objets de l’idée implicite que ce sont tous des criminels, si ce n’est maintenant, du moins dans un avenir indéterminé.

Nous avons vu dans cet article comment la conception des systèmes biométriques a privilégié le point de vue des organisations humanitaires ou des gouvernements. Serait-il possible de mettre au point une nouvelle logique de conception de la gestion de l’identité qui ne serait pas une solution rachetée aux entreprises désireuses d’étendre leur marché ?

World Vision a étudié une autre solution en mettant au point son projet Last Mile Mobile Solutions, manifestant ainsi ses inquiétudes concernant la biométrie. Sur ce modèle et celui d’autres initiatives, nous devrions commencer par concevoir les systèmes du point de vue des réfugiés, plutôt que de nos propres organisations, et introduire les principes de la conception participative. Malheureusement, cette perspective échappe toujours à la communauté humanitaire. Le débat est cependant plus crucial que jamais, et pas seulement en ce qui concerne la biométrie. Les discussions relatives à l’impérialisme de la conception ont progressivement cessé, mais ce dernier est toujours d’actualité et la conception numérique prend de l’importance.

Alors la prochaine fois que vous vous énerverez devant le scanneur biométrique de passeport de l’aéroport, rappelez-vous que si votre passeport vous donne la liberté de voyager, cette liberté est surveillée et contrôlée. Vous avez peut-être plus en commun avec les réfugiés comme Olivier Mzaliwa que vous le pensez mais, contrairement à lui, vous pouvez au moins choisir votre file d’attente à l’aéroport.

Source : IRIN News

Le point de vue dans cet article est celui de son auteur et ne reflète pas nécessairement celui d’Epoch Times.

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