OPINION

L’Occident est-il en déclin ?

août 14, 2022 16:34, Last Updated: août 14, 2022 19:42
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En 2016, j’écrivais que « le refrain du déclin occidental est injustifié » et cet article n’a pas pris une ride. Six ans après, je constate de nombreuses confirmations, malgré la pandémie et la guerre de la Russie à l’Ukraine.

2016 : le refrain du déclin occidental est injustifié

Les échecs américains au Moyen-Orient, succédant aux considérations sur le poids de la Chine dans le monde, ont relancé l’idée d’un déclin occidental. À tort, car cette formule cache l’évolution réelle du monde.

Précisons d’abord que l’Occident est un ensemble intellectuel, économique et militaire rassemblant l’Europe occidentale et centrale, la plus grande partie des deux Amériques, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et Israël. Et maintenant le Japon.

Discutons les arguments démographiques, économiques et culturels qui sont en général avancés.

La démographie

Certes, la proportion de la population occidentale dans le monde décroit. Mais c’est également le cas pour la Chine et la Russie. Ce sera après-demain le cas de l’Inde, où s’étendent les zones de faible fécondité.

Donc, démographiquement, l’Occident n’est pas remplacé par l’Asie, mais l’Asie et l’Occident sont bousculés par l’Afrique. Or cette dernière n’est pas un rival économique, militaire ou culturel de l’Occident. Sa poussée démographique n’est en rien un déclin de l’Occident.

L’économique et le militaire

Le déclin occidental serait-il économique ? Après s’être inquiété de la croissance, maintenant terminée, du Japon et autres tigres asiatiques, on craint maintenant celle de la Chine. Or son rattrapage, très réel mais facile, se termine et l’étape suivante sera lente et difficile.

Son régime autoritaire freinera inévitablement les innovations au bénéfice de grands travaux permettant de bonnes affaires entre relations politiques, d’où la masse des infrastructures et industries en partie inutiles.

Rajoutons qu’avec 22% de la population mondiale, il est normal que la Chine retrouve une certaine place dans l’économie mondiale : ce n’est pas non plus, au contraire, une cause de déclin économique pour l’Occident.

N’oublions pas que tous les pays copient systématiquement l’Occident pour se développer. Pas seulement en lui prenant, voire en lui volant, des recettes techniques, mais aussi des formes d’organisation juridiques, managériales et éducatives. Ce n’est pas un signe de déclin.

Alors, l’Inde ? Elle est profondément paralysée ethniquement, religieusement, socialement et bureaucratiquement. La retraite des vaches y est mieux assurée que celle des paysans, les frontières fiscales entre états fédérés compliquent le commerce, les routes et l’électricité manquent… Elle va enfin mieux, sera probablement un client prenant de l’importance, mais est très loin d’être une nouvelle Chine.

L’Afrique ? Ce futur géant démographique a un poids économique extrêmement faible, malgré quelques signes encourageants. En face, l’Occident reste très créatif et économiquement attirant pour les investisseurs et les entrepreneurs du reste du monde. Son niveau de vie est de très loin le plus élevé.

Les États-Unis y puisent les ressources d’un budget militaire qui est quatre fois celui de la Chine et dix fois celui de la Russie. Les erreurs de gestion économique ou de stratégie militaire le font parfois oublier.

Le culturel

Reste le domaine culturel, qui nous paraît déterminant, y compris économiquement, par la liberté individuelle, politique et religieuse qu’il permet, l’effervescence intellectuelle qui en découle, et notamment son autocritique permanente qui est une grande force.

Il ne s’agit pas seulement des industries culturelles des médias et du divertissement. C’est certes important, notamment pour les États-Unis et leurs champions (Hollywood, Facebook, Amazon …) à qui cela apporte une influence certaine. Pas de déclin occidental dans ce domaine.

Il s’agit de bien davantage : l’Occident est un produit unique et complexe. Philippe Nemo l’a bien décrit dans son ouvrage Qu’est-ce que l’Occident ? : la combinaison de la Grèce classique, du juridisme romain, d’une vision du monde bouleversée par le christianisme des premiers temps, puis par la révolution papale, la Renaissance, le protestantisme et les Lumières, tout cela menant à la démocratie libérale, cadre permettant une vie intellectuelle libre et innovante. L’Occident n’aurait pas eu besoin du colonialisme pour s’implanter, il est choisi par les populations dès lors que le contact avec l’étranger est possible. Il est symétriquement honni par les dictateurs ou les traditionalistes, et notamment les islamistes. Les accusations d’impérialisme et de décadence leur sont commodes pour tenter de contrer cette influence.

Le Japon a rejoint l’Occident car c’est une démocratie libérale où les individus, et pas seulement les techniques, s’y sont occidentalisés. En Chine, régime autoritaire, le pouvoir fait tout pour éviter l’occidentalisation des individus, notamment en filtrant Internet, et en envoyant les « contaminés » en prison.

Les langues contribuent à diffuser l’Occident : l’anglais, le français, l’espagnol, le portugais sont pratiqués dans une très grande partie du monde, tandis que le mandarin et le hindi, malgré leur grand nombre de locuteurs, restent des langues régionales. Et rappelons que si l’Afrique prend un poids démographique croissant, ses capitales culturelles sont Paris, Londres ou New York. Ce n’est pas du néocolonialisme, ce sont des opportunités que nous apportons à ce continent.

Bref, peut-on parler d’un déclin de l’Occident alors que c’est le monde qui s’occidentalise ?

2022 : Le déclin de l’Occident reste très relatif

Le déclin démographique est partagé

La démographie est le domaine où les prévisions sont les plus sûres à moyen terme. Il n’est donc pas étonnant que mes prévisions de 2016 se soient largement réalisées.

La diminution de la population chinoise se précise, la dernière estimation de la fécondité étant de 1,2 enfant par femme. Le fait nouveau est que le président Xi Jinping en a pris conscience et pousse les femmes à rester au foyer et à enfanter, ce qui par ailleurs va accentuer la diminution de la population active !

La fécondité de l’Inde est passée sous le seuil des deux enfants par femme, mais la population va continuer à croître assez longtemps du fait du grand nombre de parents nés il y a quelques décennies.

La population indienne est donc en train de dépasser celle de la Chine, comme prévu. C’est un événement symbolique sans conséquences concrètes, mais qui sera politiquement exploité par l’Inde.

La crise démographique de l’Europe orientale s’est confirmée, comme annoncé lors de ma conférence à Grenoble, mais, là aussi, une prise de conscience a eu lieu et les entreprises font venir des immigrants du monde entier, tandis que les jeunes Européens partent massivement pour l’Allemagne. La crise est analogue en Europe du Sud et notamment en Italie.

Finalement, en démographie, il y a bien une diminution du poids de l’Occident, mais aussi une diminution encore plus sévère de l’Asie de l’Est et du Sud-est.

C’est l’Afrique subsaharienne qui prend du poids. Va-t-elle continuer son début d’occidentalisation ? La Russie, la Chine et la Turquie font le maximum pour l’attirer.

Economie : confirmation des problèmes chinois

La réaction à la pandémie est intéressante.

La crise sanitaire a mis en valeur la capacité d’innovation occidentale pour les vaccins, produits en un temps record. Certes, il y a eu des vaccins russes et chinois, mais ils sont « classiques » et moins efficaces… ce qui explique que la Chine donne priorité au confinement, sa population étant moins bien couverte.

La pandémie a également accéléré la prise de conscience des faiblesses chinoises et donc les conclusions à en tirer sur les chaînes d’approvisionnement, ce qui à terme pèsera sur la croissance chinoise, déjà menacée d’autres façons.

Je dis « accéléré la prise de conscience », car cette dernière avait déjà commencé avec le constat de la reprise en main des entreprises, étrangères comprises, par le parti communiste chinois, la méfiance envers le capitalisme, le pillage technologique et le refus de l’examen des comptes des entreprises chinoises cotées à l’étranger. La méfiance s’est accentuée avec la répression à Hong Kong, haut lieu de l’économie libérale mondiale.

Ces dernières années ont donc confirmé que le déclin économique de l’Occident était tout relatif.

Certes, les pays à gouvernement sérieux, autocratiques ou non, font des rattrapages économiques parfois spectaculaires. Mais c’est normal ! Les technologies et les modes d’organisation occidentales se copient très vite dans les parties plus ou moins libérales des économies, ce qui est une occidentalisation.

Les Chinois en sont conscients et tentent de se persuader que leur développement va pouvoir s’en passer. Ce n’est pas mon avis, comme le montre l’exemple du Japon et de la Corée du Sud. Un jour prochain, la Chine devra choisir entre s’isoler de l’Occident et se développer.

En effet, dès qu’une politique autocratique apparaît, c’est le plafonnement ou la dégringolade, comme l’illustrent les confinements chinois et l’éclatement de la bulle immobilière et des infrastructures. Cette bulle est financée au-delà du raisonnable par les multiples politiques de relance dès que la croissance faiblit, ce qui, par ailleurs, enlève tout sens aux taux de croissance affichés.

Les autocraties ont longtemps profité de la croyance d’une partie des Occidentaux au « doux commerce », théorie soutenue par des idéalistes (chacun, grâce au commerce, va coopérer avec l’étranger) mais aussi par les milieux d’affaires qui y voyaient un prétexte pour ne pas tenir compte des environnements politiques.

Cette théorie avait un poids important, notamment en Allemagne. D’où sa « faiblesse » face à la Russie et à la Chine, pays considérés comme des partenaires économiques en se voilant la face sur la menace géopolitique.

Cette théorie du « doux commerce » est en train de s’affaiblir en Occident, au vu du comportement de la Chine et de la Russie, et de bien d’autres pays. Vu d’en face, c’était une naïveté qui s’ajoute à d’autres manifestations de la « décadence occidentale ».

La décadence proclamée de l’Occident

Les dictateurs sont d’autant plus persuadés de « la décadence de l’Occident » que la diplomatie occidentale passe une partie de son énergie à des questions perçues par les dictatures comme « futiles », voire « incompréhensibles » et de toute façon « décadentes ».

En effet les démocraties sont électoralement obligées de suivre l’évolution des idées de leurs citoyens qui manifestent de nouvelles exigences telles que par exemple le respect du bien-être animal, des droits des LGBT, la personnalité juridique conférée à certains objets (fleuves…), la vie ou la liberté de certains individus, le respect des civils en cas de guerre…. Tout cela est bien loin d’une autorité « virile » déjà vantée par Hitler et reprise par nombre d’autocrates aujourd’hui. Bref, les Occidentaux sont perçus comme « des dégénérés ».

Lorsqu’un de ces sujets est abordé lors d’une réunion internationale, imaginez ce qu’en pense Poutine ou un dictateur africain qui a « des affaires concrètes à régler » : conflits intérieurs ou extérieurs, achat d’armes, besoin de renflouer ses finances, etc. !

Mais ces haussements d’épaules des dictateurs n’empêchent pas que leurs peuples n’en pensent pas moins. Ils se révoltent contre les autocrates, militaires ou non, comme au Soudan ou au Sri Lanka aujourd’hui. Les peuples se sont également soulevés pendant le Printemps arabe ou l’une des 1000 révoltes chinoises locales, vite étouffées, contre un abus de l’administration locale dans l’affectation de terres, les expulsions, la tolérance officielle des pollutions aiguës… toutes choses faciles en autocratie et difficiles en démocratie.

Un Occident qui s’auto-flagelle

Les autocraties regardent avec délectation les fêlures ou divisions de l’Occident, qu’ils présentent à leurs peuples comme autant d’illustrations des méfaits de la liberté d’opinion et de comportement.

Les exemples de ces autoflagellations sont innombrables.

Je me bornerai ici à celui du wokisme et autres indignations contre « la domination blanche » (coloniale, sociale …), mélange de « compensation psychologique » pour non Occidentaux et d’autocritique occidentale.

Mais l’autocritique est justement un point fort de l’Occident : voyez l’autosatisfaction des dictatures et les erreurs qu’elle entraîne par exemple en Russie s’agissant de l’Ukraine.

Le cas extrême de la guerre à l’Ukraine

La guerre de la Russie à l’Ukraine est l’un des principaux faits nouveaux survenus depuis mon article de 2016. Il illustre la méconnaissance, mêlée de mépris, des dictatures face à l’Occident.

L’Ukraine devait s’écrouler rapidement, il suffisait de prendre le palais gouvernemental de Kiev, les Ukrainiens n’oseraient pas s’opposer aux nouvelles autorités, et les Occidentaux, minés par leur décadence et leurs divisions intérieures, ne réagiraient qu’en paroles.

Ça ne s’est pas passé ainsi, et la Russie s’essouffle à réapprovisionner ses troupes en hommes et en munitions et à cacher la réalité à sa population. L’autoritarisme poutinien s’est peu à peu transformé en dictature, et l’évolution s’accélère pour cacher la réalité au peuple russe.

L’intelligentsia russe émigre (bon débarras, pense Poutine) ou se tait, les entreprises occidentales s’en vont, et tout cela n’augure rien de bon pour la Russie dans quelques mois.

L’Occident reste un modèle extraordinaire, et qui recrute

Historiquement, l’Occident a été le principal pourvoyeur de la vie intellectuelle mondiale.

Je laisse de côté les productions intellectuelles religieuses du monde entier pour rester en géopolitique et signale seulement que le concept de laïcité (au sens très large, il n’est pas question ici d’entrer dans ses variantes) a permis à l’Occident de promouvoir le rôle des autres domaines intellectuels, notamment politiques, scientifiques et techniques au sens le plus large. Et de les développer considérablement au bénéfice du monde entier.

Et quand je dis « l’Occident », j’inclus les personnalités de pays très divers ayant une formation à l’occidentale.

Cette formation comprend la notion de libre débat, avec ses déclinaisons philosophiques, politiques, économiques et scientifiques, libre débat qui paraît être une faiblesse pour les autocraties, mais qui est une force à long terme.

Cette formation s’est diffusée dans le monde entier, notamment par un enseignement supérieur s’inspirant de modèles européens et américains.

Aujourd’hui, l’Occident n’est plus seulement l’œuvre des Occidentaux.

Cet article a été initialement publié sur le site d’Yves Montenay.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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