INTERNATIONAL

Mattias Desmet: le nouveau totalitarisme dirigé par des bureaucrates et technocrates ennuyeux

Les gens ne doivent pas laisser la peur les empêcher de s'opposer à des politiques irrationnelles.
septembre 16, 2022 17:18, Last Updated: septembre 16, 2022 20:06
By Jan Jekielek et Masooma Haq

Mattias Desmet, professeur de psychologie clinique à l’université de Gand, en Belgique, est le principal expert mondial du phénomène connu sous le nom de « formation de masse » – un type d’état hypnotique qui se produit lorsque les gens sont isolés les uns des autres et affectés par l’anxiété omniprésente, comme on l’a vu au cours de la pandémie du Covid-19.

M. Desmet pense que le monde est en train de faire face à l’établissement d’une nouvelle forme de totalitarisme, apparue au cours des deux dernières décennies et stimulée par la formation de masse pendant la pandémie.

« Ce à quoi vous avez affaire aujourd’hui n’est pas un autoritarisme communiste ou fasciste. C’est l’émergence, je pense, d’un totalitarisme technocratique », a-t-il expliqué lors d’une émission American Thought Leaders d’EpochTV. Cette nouvelle forme de contrôle ne sera pas « dirigée par des chefs de gang comme Staline ou Hitler, mais par des bureaucrates et des technocrates ennuyeux », a-t-il ajouté, citant les travaux de la philosophe politique du 20e siècle Hannah Arendt.

Ce type de technocratie totalitaire croit que l’imposition de plus de contrôle est la réponse à l’anxiété propagée dans la société. Cette « technocratie représente un système dirigé par des experts techniques et non par des hommes politiques démocratiquement élus ».

Les origines de la technocratie

« Ce que nous voyons au cours des dernières décennies, c’est l’émergence d’une idéologie technocratique, de la croyance que les problèmes de la société, que les choses qui créent la peur et l’anxiété dans une société – telles que le terrorisme, le changement climatique ou le coronavirus –, que ces choses doivent être contrôlées ou qu’on devrait les combattre en les contrôlant à l’aide de la technologie », a déclaré M. Desmet.

Comme dans le cas de la pandémie du Covid-19, les gens au pouvoir ont pensé qu’il valait mieux que les personnes ayant des connaissances techniques sur les virus décident des politiques, et non les hommes politiques démocratiquement élus, a-t-il remarqué.

« Je crois que le système technocratique est la conséquence ultime de cette idéologie rationaliste qui est apparue depuis le début de la tradition du siècle des Lumières. »

Toutefois, il y a des limites à cette vision rationaliste sur la vie des humains. Mattias Desmet pense que les gens doivent se focaliser sur les principes éthiques ou humanitaires pour créer une société harmonieuse et libre.

La formation de masse, les médias de masse et la technocratie

Ce type de contrôle imposé par l’État est « une tentative désespérée d’effacer le sentiment de l’incertitude dans l’existence humaine et d’imposer une certitude étatique – une certitude qui est partagée par chaque individu », a expliqué M. Desmet.

En outre, les médias de masse jouent un rôle principal dans la solidification de cette formation de masse et donc du contrôle de l’État.

« Cette formation de masse commence généralement par une histoire diffusée par les médias de masse – une histoire qui indique un objet d’anxiété et fournit en même temps une stratégie pour traiter cet objet. Ce qui se passe alors, c’est que toute l’anxiété qui flotte librement dans la population est soudain reliée à cet objet d’anxiété désigné dans l’histoire. »

Et les gens sont prêts à suivre la stratégie irrationnelle et erronée proposée par les autorités.

Lorsque le grand public ne sait pas pourquoi il se sent anxieux, frustré et agressif, alors c’est l’environnement parfait pour la formation de masse, a indiqué M. Desmet.

Des cadres du Parti communiste chinois accrochent une pancarte au cou d’un Chinois pendant la Révolution culturelle, en 1966. La pancarte porte le nom de l’homme et l’accuse d’être membre de la « classe noire ». (Domaine public)

« La 5racine de la formation de masse – qui a toujours été la solitude, la déconnexion qui existait avant que la formation de masse ne commence – semble être éliminée. Les gens semblent se sentir à nouveau connectés. Je dis ‘semblent’, car ils ne sont pas vraiment connectés à nouveau », a-t-il précisé.

Car les gens ne se connectent pas les uns aux autres, mais à « l’idéal collectif ». « Toute l’énergie psychologique, tout l’amour pourrait-on dire, entre les gens est en fait extrait des liens sociaux individuels et injecté dans les liens entre les individus et le collectif. »

Au stade final de la formation de masse, les gens sont dans un état paranoïaque où ils « mouchardent » leurs voisins et collègues qui ne suivent pas les « règles » et ils s’alignent eux-mêmes aveuglément aux politiques irrationnelles, comme dans le cas des confinements liés au Covid, a remarqué Mattias Desmet.

Ces politiques sont renforcées par les médias et les gens les suivent « parce que cela leur donne un sentiment de contrôle, ils ont l’impression de savoir maintenant pourquoi ils étaient anxieux, qu’ils peuvent contrôler leur anxiété en participant à la stratégie de gestion de l’objet de l’anxiété. Par exemple, en faisant face au virus par le biais de confinements ».

« Dans le cadre de la formation de masse, les gens semblent choisir de gérer l’incertitude en acceptant simplement tout ce en quoi le groupe croit, les mêmes idées dogmatiques et les mêmes propos qui ne devraient plus être remis en question. »

L’isolement et la dépendance de la technologie peuvent imprégner les gens par la propagande, ce qui permet à l’hypnose de durer longtemps, a souligné M. Desmet.

« Avec l’émergence des médias de masse, cette formation de masse peut durer longtemps parce que les gens peuvent être constamment, encore et encore, imprégnés par cette même propagande, ces mêmes propos. »

Comme tout contrôle totalitaire, la technocratie ne tolère pas la dissidence, a-t-il ajouté.

« C’est comme si toute l’incertitude disparaissait sous un discours collectif qui ne doit plus être remis en question, et cela conduit à cette fameuse intolérance aux voix dissidentes. Dans quelle mesure ce totalitarisme réussira à détruire tous ceux qui ne veulent pas le suivre, cela dépendra de ce que feront ces gens, ceux qui ne sont pas sous l’emprise » de cette formation de masse.

Les gens non hypnotisés doivent s’exprimer

Ceux qui n’étaient pas « hypnotisés par le discours » propagé à travers les médias de masse pouvaient voir que de nombreuses mesures du Covid-19 étaient « fondamentalement et intrinsèquement irrationnelles », a remarqué Mattias Desmet.

Les personnes qui critiquaient ces politiques et obligations irrationnelles et qui exprimaient leur dissidence étaient censurées et, dans certains cas, punies – ce qui est le trait distinctif du totalitarisme. En outre, le totalitarisme exige « que la société soit dirigée sur la base de l’endoctrinement, de la propagande » à la place du « discours de vérité » – des choses auxquelles une personne croit sincèrement et essaie de les partager avec les autres.

Des prisonniers polonais alignés devant des officiers nazis au camp de concentration de Buchenwald, près de Weimar, en Allemagne, vers 1943 (Frederic Lewis/Getty Images)

« À partir de la Première Guerre mondiale, on assiste dans le monde occidental à l’émergence d’une impressionnante machine de propagande par le biais de laquelle la population est constamment manipulée sans s’en rendre compte », a indiqué M. Desmet.

S’exprimer est le remède à cette formation de masse, le remède qui pourra empêcher les atrocités de se produire, a-t-il souligné.

« Si vous voulez contrarier la formation de masse, vous devez vous exprimer. Les Grecs anciens appelaient cela la parrhèsia (liberté de parole) – une sorte de discours audacieux et courageux, pratiqué par des gens qui refusent de suivre les discours d’un groupe ou le discours dominant. »

Mattias Desmet exhorte tous les gens à trouver le courage de s’élever contre des politiques irrationnelles et totalitaires – et ce, non pas pour convaincre qui que ce soit, mais pour exercer leurs « droits inaliénables ».

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