SCIENCES

Pendant que nous dormons, notre cerveau travaille

avril 27, 2016 4:34, Last Updated: mai 10, 2016 11:25
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Une intuition répandue veut que le cerveau soit comme isolé pendant le sommeil et perde de sa sensibilité au monde extérieur. Cependant, tant nos expériences de la vie quotidienne que de récentes découvertes scientifiques remettent en question cette idée.

Par exemple, comment expliquer que nous puissions nous réveiller plus facilement en entendant notre prénom ou un autre bruit particulièrement significatif comme une alarme de réveil ou une alarme incendie, si le cerveau dormant n’est pas sensible à cette information et capable de la reconnaître comme importante ?

Dans une étude parue l’an dernier dans la revue Current Biology, nous avons entrepris d’aller plus loin dans la mise en évidence de traitements sophistiqués effectués par le cerveau pendant le sommeil. Nous avons pu montrer que non seulement une information auditive complexe pouvait être traitée par le cerveau, mais que cette information pouvait être utilisée pour prendre une décision, à l’instar de l’éveil.

Notre approche se base sur les connaissances acquises concernant la capacité du cerveau à automatiser des tâches complexes. Conduire une voiture, par exemple, requiert l’intégration de multiples informations sensorielles, des prises de décisions rapides ainsi que leur mise en œuvre en passant par la production de mouvements synchrones. Pourtant, lorsqu’on rentre chez soi, il arrive que l’on conduise sans même s’en rendre compte !

Lorsque nous dormons, certaines régions du cerveau logées dans le cortex préfrontal – qui ont un rôle central dans l’orientation de l’attention ou la compréhension des consignes – sont désactivées, rendant impossible le démarrage d’une tâche. Nous nous sommes concentrés sur la possibilité qu’une tâche déjà commencée et automatisée au réveil puisse être poursuivie pendant le sommeil.

Classer des mots

Pour cela, nous avons conduit deux expériences dans lesquelles des volontaires devaient écouter et catégoriser des mots. Dans la première expérience, il fallait classer, par exemple, des noms d’objets (« chapeau ») et des noms d’animaux (« chat »). Dans la seconde expérience, classer des vrais mots (« marteau ») par rapport à des mots inventés (« flipu »). Les participants devaient indiquer la catégorie du mot en pressant un bouton à droite ou à gauche. Une fois l’exercice intégré, nous avons demandé aux participants de le poursuivre, mais cette fois-ci en leur permettant de s’endormir. Confortablement allongés dans une pièce obscure, la plupart d’entre eux se sont assoupis en écoutant les mots.

 

Les scientifiques ont déjà démontré le lien entre le sommeil et la consolidation des souvenirs créés pendant la journée. (pixabay.com)

Dans le même temps, l’état de vigilance des participants a fait l’objet d’un suivi grâce à des capteurs électroencéphalographiques placés sur leur tête. Une fois endormis, et sans modifier le rythme de l’expérience, nous avons transmis aux participants une liste de mots inédits, mais appartenant toujours aux mêmes catégories. L’idée était ici de pousser les participants à accéder à la catégorie sémantique ou lexicale des mots pour pouvoir répondre.

Endormis, les participants ne répondaient plus. Afin de vérifier que le cerveau continuait, lui, à réagir aux mots, nous avons examiné l’activité cérébrale dans les aires motrices situées dans chaque hémisphère au sommet du crâne. En effet, prendre la décision d’appuyer à gauche implique l’aire motrice droite et inversement si on appuie à droite. En quantifiant la latéralisation de l’activité cérébrale dans les aires motrices, il est donc possible de savoir si une personne prépare une réponse et laquelle. Appliquant cette méthode aux dormeurs, nous avons pu montrer que même pendant le sommeil, le cerveau continue à préparer des réponses en fonction des instructions données durant la phase d’éveil et de la catégorie des mots.

Nous avons pu montrer que non seulement une information auditive complexe pouvait être traitée par le cerveau, mais que cette information pouvait être utilisée pour prendre une décision, à l’instar de l’éveil.

À la fin de l’expérience, les participants étaient réveillés et devaient effectuer un exercice de mémoire. De façon tout à fait étonnante, alors que des mots entendus à l’éveil étaient reconnus, les participants n’avaient aucun souvenir des mots entendus pendant le sommeil. Ainsi, non seulement ces participants ont pu classer ces mots, mais ils l’ont fait de manière « inconsciente ».

Depuis la publication de cette étude, nous avons poursuivi nos efforts dans cette direction et confirmé nos premiers résultats, mais de nombreuses questions restent encore à élucider. Pourquoi les participants endormis n’appuyaient-ils pas sur le bouton si leur cerveau préparait des réponses ? Quels types de traitement peuvent ou ne peuvent pas être effectués pendant le sommeil ? Des phrases entières peuvent-elles être traitées ? Qu’arrive-t-il quand nous rêvons ? Peut-on incorporer des éléments étrangers dans les rêves ?

Apprendre en dormant

Ces travaux ravivent également le vieux rêve (ou la crainte ancienne) que l’on puisse un jour apprendre ou faire apprendre pendant le sommeil. Les scientifiques ont déjà démontré le lien entre le sommeil et la consolidation des souvenirs créés pendant la journée. Des formes simples d’apprentissage par conditionnement ont également été mises en lumière lorsque l’on est endormi. Plus récemment, des études chez l’homme et l’animal ont réussi à implanter dans le cerveau des associations, des mémoires nouvelles pendant le sommeil ; par exemple, associer l’odeur de cigarette à un son déplaisant chez des fumeurs. Des formes plus complexes d’apprentissage seraient-elles possibles ?

Si le sommeil est un phénomène universel, c’est parce qu’il est essentiel à notre survie. Nous avons montré dans notre étude que le sommeil n’était pas un état de « tout ou rien ». Toutefois, l’activité cérébrale a un coût : faire en sorte que le dormeur effectue des opérations pendant son sommeil pourrait ne pas être sans conséquence sur le long terme.

Publié sur theconversation.com

Thomas Andrillon, doctorant, (ENS) – PSL

Sid Kouider, chercheur sénior (CNRS), (ENS) – PSL

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