4 coeurs en 10 jours : la banque d’organes « sur demande » en Chine soulève des inquiétudes

Par Eva Fu
13 août 2020 15:45 Mis à jour: 13 août 2020 15:45

Les médecins chinois avaient quatre cœurs sous la main pour Sun Lingling, une ressortissante chinoise de 24 ans qui, pendant neuf mois, a été maintenue en vie.

La jeune femme de 24 ans est tombée malade au Japon d’une maladie auto-immune rare qui a entraîné des lésions cardiaques irréversibles. À la mi-juin, son équipe médicale l’a transportée à l’hôpital chinois Wuhan Union sur un vol affrété. La compatibilité de quatre cœurs a été évaluée en dix jours. Après une épuisante opération qui a duré sept heures, elle s’est rétablie au point de pouvoir manger seule.

L’histoire de la survie de Sun, et une image d’elle souriant et posant en faisant un signe de victoire sur son lit d’hôpital, ont fait la une des grands journaux chinois avec des titres sensationnalistes, tels que « Une course contre la mort« . L’ambassade de Chine au Japon a qualifié l’opération de « légendaire » et l’a présentée comme un témoignage de l’amitié et de la coopération entre la Chine et le Japon.

Toutefois, alors que le système de don volontaire en Chine en est encore à ses balbutiements, les experts se demandent comment l’hôpital a pu se procurer aussi rapidement des organes compatibles pour Sun – une question au cœur des allégations selon lesquelles le régime se livrerait à d’effroyables prélèvements forcés d’organes : un système par lequel des prisonniers d’opinion sont tués et leurs organes vendus à des fins lucratives.

Des organes « sur demande » ?

Le premier cœur compatible de Sun est arrivé le 16 juin de Wuhan, mais après avoir évalué l’artère coronaire, les médecins ont constaté que l’état de santé de la patiente n’était pas satisfaisant et ont abandonné. Après avoir trouvé un deuxième cœur dans la province voisine de Hunan trois jours plus tard, Sun a développé une forte fièvre, ce qui a de nouveau retardé l’opération. Le 25 juin, deux autres cœurs avaient été rendus disponibles : l’un d’une femme de la ville de Wuhan, et l’autre d’un homme de la ville de Guangzhou, dans le sud du pays. Ils ont choisi ce dernier pour ses « meilleures fonctions cardiaques », selon un reportage des médias chinois.

« La question est de savoir d’où proviennent ces quatre cœurs », a demandé le Dr Torsten Trey, directeur exécutif du groupe de défense en matière d’éthique médicale Doctors Against Forced Organ Harvesting (DAFOH – Médecins contre le prélèvement forcé d’organes). Aux États-Unis, le temps d’attente des patients était d’environ 6,9 mois pour un don de cœur, selon les données gouvernementales de 2018. À ce rythme, il faut environ deux ans pour obtenir quatre cœurs compatibles pour une même personne, c’est-à-dire quatre personnes qui ont donné leurs organes après leur décès aux soins intensifs ou à la suite d’un accident fatal, a-t-il noté.

En 2020, plus de 156 millions d’adultes américains – soit environ la moitié de la population américaine – ont donné leur consentement au don d’organes. En Chine, bien que ce soit le pays le plus peuplé du monde, seule une infime fraction de la population consent à donner ses organes, en raison de croyances culturelles profondément ancrées voulant que le corps soit gardé intact après la mort.

Ce qui est arrivé à Sun « est possible, bien qu’assez inhabituel, même au sein d’un système de don d’organes volontaire qui fonctionne bien », a déclaré Jacob Lavee, professeur de chirurgie et directeur du département de transplantation cardiaque de l’université de Tel-Aviv en Israël. Toutefois, dans le contexte de la Chine, a-t-il dit, « un tel nombre de donneurs en quelques jours soulève de fortes suspicions quant à qui ils sont ».

Il « s’agit plutôt d’un système ‘sur demande' », a déclaré le Dr Trey, qualifiant le cas de Sun « d’inexplicable ».

Transplantations pulmonaires doubles

Le système de transplantation d’organes en Chine a fait l’objet d’un examen ces dernières années, un tribunal populaire indépendant basé à Londres ayant conclu, en juin 2019, qu’« au-delà de tout doute raisonnable », le régime chinois cible les prisonniers d’opinion pour leurs organes. La principale source étant les pratiquants du Falun Gong, une discipline de méditation visant l’amélioration du corps et de l’esprit, qui est sévèrement persécutée par le régime chinois au cours des deux dernières décennies.

Dans un rapport de 160 pages publié en mars dernier, le tribunal n’a trouvé « aucune preuve indiquant que ce système ait pris fin » et a déclaré que le manque d’attention internationale a conduit « à la mort horrible et inutile de nombreuses personnes ».

Au cours de la première moitié de l’année, alors que le virus ravageait la Chine, l’industrie chinoise de la transplantation a fonctionné comme à l’habitude, sans « délais d’attente significatifs », selon une enquête menée par l’Organisation mondiale d’enquête sur la persécution du Falun Gong (World Organization to Investigate the Persecution of Falun Gong, WOIPFG), une organisation américaine à but non lucratif. Une infirmière de la région du Guangxi a déclaré aux enquêteurs que, malgré les craintes d’infection, ils « feraient l’opération chaque fois que nécessaire », mais qu’ils « ne deviendraient pas fous comme pendant la période pré-pandémique ».

Depuis fin février, la Chine a effectué au moins six transplantations pulmonaires doubles sur des patients atteints du Covid-19, dont au moins deux ont eu lieu à Wuhan, où le virus a fait son apparition et où l’industrie de la transplantation bat son plein. Les hôpitaux chinois donnent peu d’informations sur la source des organes.

Ethan Gutmann, chercheur sur la Chine à la Fondation en souvenir des victimes du communisme lors du Forum politique sur le prélèvement d’organes et les exécutions extrajudiciaires en Chine, tenu au Capitole, le 10 mars 2020. (Samira Bouaou/The Epoch Times)

Ethan Gutmann, un analyste sur la Chine qui a écrit le livre The Slaughter portant sur le commerce illicite d’organes en Chine, a déclaré que le cas de Sun illustrait le problème de l’industrie de la transplantation du pays. « Très peu de nouvelles de la patiente, si ce n’est qu’elle est d’origine japonaise », dit-il.

Il a fait remarquer que, comme dans le cas de Sun, le succès des doubles transplantations pulmonaires a fait l’objet d’une couverture importante de la part des médias chinois, en chinois et en anglais. « Le message était clair : nous avons des organes. C’est sécuritaire. Contactez-nous. La Chine est ouverte au public », a-t-il déclaré dans un courriel au journal Epoch Times. Bloody Harvest, une autre publication d’enquête sur les allégations de prélèvements forcés d’organes en Chine, cite le cas d’un touriste taïwanais qui a reçu huit reins en l’espace de huit mois, lors de ses deux voyages à Shanghai – jusqu’à ce que le dernier soit compatible.

De telles pratiques sont révélatrices d’une industrie de la transplantation qui « dispose d’un grand nombre, ou d’un nombre stable, de prisonniers politiques et religieux dont on a déjà prélevé les tissus pour évaluer leur compatibilité pour une transplantation », a déclaré M. Gutmann.

En juillet, le réseau de télévision japonais Fuji a été critiqué par les défenseurs des droits de l’homme pour avoir diffusé un reportage sur la chirurgie de Sun. Le réseau SMG, un groupe de défense japonais qui s’oppose au tourisme de transplantation, a écrit au diffuseur, disant que la promotion de l’industrie chinoise de la transplantation, avec son historique documenté de violations des droits de l’homme, équivalait à « mettre les téléspectateurs en danger ».

Des médecins transportent des organes frais pour une transplantation dans un hôpital de la province du Henan, en Chine, le 16 août 2012. (Capture d’écran via Sohu.com)

Données incohérentes

La Chine n’a mis en place son système de dons volontaires qu’en 2015, en promettant qu’il ne s’agirait que de sa seule source d’approvisionnement. Or, les chercheurs ont contesté ces affirmations en relevant les incohérences dans ses registres.

Une étude de novembre 2019 publiée dans BMC Medical Ethics a révélé que les données sur les dons d’organes en Chine étaient « semblaient suivre une formule mathématique », suggérant que les autorités falsifiaient les données. Une autre étude, publiée en février dans la revue médicale BMJ, a relevé 440 sur 445 publications scientifiques médicales chinoises où il n’était pas précisé si les donneurs avaient consenti à donner des parties de leur corps.

Au cours d’une récente enquête secrète menée par le WOIPFG, un médecin militaire a également admis s’approvisionner en organes de « haute qualité » auprès de jeunes personnes vivantes et a même offert aux enquêteurs la possibilité de voir la source des organes s’ils le souhaitaient.

« Si vous en avez le courage », a déclaré Li Guowei, un néphrologue de la quatrième université de médecine militaire dans la province de Shaanxi, lors d’un appel téléphonique sous couverture en janvier. « Je peux vous emmener à leur chevet pour que vous puissiez jeter un coup d’œil […] vous verrez que la personne est dans la vingtaine. »

Dans une autre interview, un enquêteur du WOIPFG a demandé : « Vous utilisez les organes des pratiquants de Falun Gong, mais vous ne pouvez pas le dire ouvertement, vous pouvez seulement affirmer qu’ils sont de bonne qualité et sans maladie ? »

« Oui, c’est la façon de le dire », a dit le Dr Li.

Les « délais d’attente courts et sans précédent » des récentes transplantations d’organes réalisées en Chine, telles que la transplantation pulmonaire double et celle de la patiente japonaise, devraient faire sourciller la communauté internationale, qui « a la responsabilité de rejeter les pratiques médicales non éthiques », a déclaré le Dr Trey.

« Si la Chine n’autorise pas les visites imprévues d’inspecteurs indépendants, la communauté internationale de transplantation devrait se distancer du système chinois de transplantation », a-t-il ajouté.

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