Algérie : tout s’écroule et le régime attaque la France et le français

Par Yves Montenay
25 juillet 2020 10:59 Mis à jour: 1 août 2020 02:22

L’Algérie va très mal : avec un pétrole à 40 $, la ruine approche, les militaires ont gardé le pouvoir et le virus n’arrange rien. La vieille recette est de taper sur la France et sur la position du français en Algérie. À mon avis ça n’arrangera rien, au contraire.

Parallèlement, le pouvoir algérien envoie de temps en temps un mot aimable à Paris, qui semble signifier : « Ne faites pas attention, ces critiques ne sont que des discours de politique intérieure. » C’est ce qui se passe à nouveau en ce mois de juillet 2020.

Vu de France, il semble que le régime ait recours à ces vieilles ficelles pour détourner l’attention des Algériens des vrais problèmes. Et, sur ce point, il est à l’unisson des islamistes, qui veulent bloquer toute ouverture vers l’extérieur.

Le mouvement de protestation Hirak est donc vu avec sympathie en France, puisqu’il pose le vrai problème, celui du « système » algérien, en place depuis l’indépendance.

La prise du pouvoir par les militaires

D’abord une réflexion très générale : dans le monde entier, les guerres d’indépendance s’appuient certes sur un sentiment populaire, souvent d’ailleurs cultivé par un ennemi du pouvoir colonial, en général l’URSS puis la Russie, parfois la Chine, comme au Cambodge.

Mais l’objectif concret des révoltés est d’amener leur chef et son parti au pouvoir, que ce soit Hô Chi Minh et le parti communiste au Vietnam ou Boumédiène et le Front de libération nationale (FLN) en Algérie. Étant précisé pour l’Algérie que « l’armée des frontières » commandée par Houari Boumédiène, futur président, est restée à l’extérieur sans combattre, et n’est entrée qu’après le cessez-le-feu de 1962, justement pour prendre le pouvoir. Donc guerres d’indépendance, oui, guerres de libération, non.

En Algérie, il y aura donc bientôt 60 ans que l’armée est au pouvoir, avec des variantes dont l’une, celle de Bouteflika, jeune adjoint de Boumédiène en 1962, vient de se terminer.

Le massacre de l’économie algérienne

L’économie algérienne a été particulièrement massacrée pour plusieurs raisons :

Le départ d’une grande partie des gens qualifiés

Il y a d’abord eu le départ des Pieds-noirs, y compris les quelques dizaines de milliers qui ont essayé de rester après l’indépendance.

Je me souviens de ce patron d’une entreprise de construction dont le personnel était en majorité musulman, et qui a essayé de rester plusieurs années pour finalement regagner la France à la suite de brimades répétées, emmenant avec lui son personnel.

Les cadres qualifiés musulmans des entreprises françaises sont souvent également partis, notamment parce que le clientélisme et la corruption les empêchaient de travailler normalement.

Et l’exode continue, du fait de manque de liberté politique, de pressions sociales et religieuses et des obstacles à la promotion par la compétence. On a même vu des cadres algériens rentrés au pays en repartir.

L’idéologie socialiste de l’époque

L’alliance avec l’URSS combinée avec les proclamations nationalistes ont fait de l’Algérie un pays officiellement socialiste.

Elle a certes dû renoncer à cet adjectif pour recevoir l’argent du FMI au milieu de la guerre civile des années 1990, mais les mauvaises habitudes bureaucratiques étaient prises et durent encore. Ce « socialisme national » avait également l’avantage de légitimer les militaires et de leur donner un outil de contrôle de la société. Cela a mené à la création de « sociétés nationales » qui ont presque toutes été des échecs coûteux.

Même la Sonatrach, qui a remplacé les entreprises pétrolières françaises et qui disposait d’une énorme marge financière, est un échec relatif, pour les mêmes raisons que les autres compagnies pétrolières nationales, vénézuélienne ou mexicaine par exemple.

La rente pétrolière y a servi de caisse noire aux dirigeants, les cadres ne sont pas toujours nommés sur des critères de compétence et le résultat final est une baisse de la production faute d’investissements et la sous-traitance ou la coopération généralisée avec des entreprises étrangères, c’est-à-dire justement ce que l’on voulait officiellement éviter.

Tout cela a bien entendu généralisé une corruption par « pompage » des recettes publiques, qui a eu comme conséquence de bloquer le développement du pays, puisque chaque tentative de production nationale était interdite pour ne pas léser les intérêts de la personnalité ayant la main sur les importations, importations payées avec le pétrole, après un petit détour vers un paradis fiscal.

Un autre exemple de cette corruption bloquant le développement a été à mon avis la fameuse loi des 51 % de capital algérien imposée aux investisseurs étrangers, ce qui en a découragé la plupart et obligé les autres à des « arrangements » coûteux.

Les malheurs du modèle algérien de développement

Or les pays qui se sont développés, tant au Nord qu’au Sud, l’ont fait en encourageant les investisseurs étrangers qui apportent de l’argent et du personnel qualifié.

Pour mes lecteurs français, je rappelle que le peuple algérien est très conscient du manque de démocratie et d’une corruption freinant de développement. Il s’est révolté plusieurs fois, et, depuis le 22 février 2019, ont eu lieu chaque vendredi d’énormes manifestations, « Le hirak  » (traduction littérale « le mouvement »), qui ont abouti dans un premier temps à la renonciation du président Bouteflika à se représenter pour un cinquième mandat en dépit de sa santé plus que catastrophique.

Mais l’armée est alors réapparue « en pilotage direct », puis en faisant ouvertement élire comme président un relatif inconnu, au profil de haut fonctionnaire non islamiste, Abdelmajid Tebboune.

Le hirak a continué jusqu’à sa suspension par le confinement, et son éventuelle reprise est en débat.

Le nouveau pouvoir alterne bonnes paroles et répression. Mais comme sa nature n’a pas changé, les Algériens craignent le retour des mêmes défauts. Et de toute façon demeure l’énorme handicap de la mauvaise qualification des Algériens.

Un peuple sous qualifié

Les Français d’origine algérienne, ainsi que les Algériens résidant en France, sont présents à tous les niveaux de la société française, comme en témoignent les noms de famille arabes que l’on trouve dans toutes les professions. Il y a deux raisons à cela, d’abord l’arrivée des meilleurs cerveaux algériens, médecins notamment, et ensuite le système scolaire français, extrêmement imparfait certes, mais néanmoins nettement en meilleur état que l’algérien si l’on en croit la presse de ce pays et de nombreux témoignages.

Une des raisons du retard du système scolaire algérien est son arabisation brutale dans les années 1970, et donc l’importation de nombreux enseignants égyptiens, pas forcément choisis parmi les meilleurs, très souvent traditionalistes religieusement et formant par l’apprentissage par cœur, contrairement à l’analyse critique qui est en principe la base du système français.

Rajoutons que dans ces années 1970, cet enseignement en arabe était en langue étrangère pour les jeunes Algériens car l’arabe officiel n’était la langue maternelle de personne, la population parlant une sorte de créole partiellement francisé, la darija, ou une langue berbère ou encore le français.

La darija, enfant du triangle français – arabe – tamazigh (berbère)


Le remède à tout cela : tapons sur la France et le français !

Bref, la situation algérienne est toujours mauvaise. Et l’explication officielle n’a pas changé : « c’est la faute de la France » !

Les grands dirigeants français, Napoléon III ou de Gaulle, dès 1943 pour ce dernier, ont été beaucoup plus lucides que les Pieds-noirs, constatant que l’avenir de l’Algérie ne pouvait se concevoir en écartant 80 à 90 % de la population.

Les réformes du premier n’ont pas survécu à son départ en 1871, et ont au contraire permis aux Pieds-noirs, qui y étaient opposés, de se proclamer les « vrais républicains » et d’inventer « l’Algérie française » qui étendait à l’Algérie toutes les lois françaises, sauf le droit de vote pour les musulmans.

Mais les militaires algériens ont nourri la demie vérité d’une « colonisation épouvantable », et qu’ils auraient éliminée par la force, ce qui n’est plus du tout la vérité, l’indépendance résultant d’un plébiscite organisé par de Gaulle. Les programmes scolaires algériens et l’information officielle font sans cesse allusion à cette « victoire » de l’armée qui légitimerait son pouvoir sur le pays.

Pour nourrir cette légitimité, et éviter qu’elle ne soit entamée par des échecs gouvernementaux répétés, il faut noircir la France et dénoncer ses pressions pour sauver « ses intérêts ». Intérêts qui n’existent plus depuis 50 ans et qui ont été remplacés notamment par des intérêts chinois.

En pratique, seules subsistent des coopérations culturelle et antiterroriste demandées par les deux parties.

Remous diplomatiques

Dernier incident un peu hypocrite : en mai 2020, l’Algérie a décidé de rappeler « immédiatement » son ambassadeur à Paris « suite au caractère récurrent de programmes diffusés par des chaînes de télévision publiques françaises attaquant le peuple algérien et ses institutions, dont l’Armée nationale populaire, la digne héritière de l’Armée de libération nationale » d’après un communiqué du ministère des Affaires étrangères algérien.

Pourtant, les Algériens savent parfaitement que les médias français sont indépendants de l’État, ce qui n’est pas le cas chez eux… où je pense qu’on trouverait facilement de nombreuses émissions pas très aimables pour la France !

Parallèlement, l’ambassadeur de France en Algérie, Xavier Driencourt, partira à la retraite le 2 août 2020, ayant atteint la limite d’âge. Ce départ prévu de longue date tombe donc à un moment délicat, et on s’interrogeait encore ce 5 juin sur le nom de son successeur. Le candidat idéal, François Gouyette, ambassadeur en Arabie saoudite, fin connaisseur du Moyen-Orient et arabophone, a comme handicap d’atteindre lui aussi la limite d’âge en 2021.

Certes, il y a régulièrement des « réchauffements » entre les présidents français et algériens. C’est une fois de plus le cas en cette mi-juillet 2020. Mais jusqu’à présent, le poids de la politique intérieure algérienne l’a fait retomber dans ses errements habituels, puisque sa cause structurelle demeure, à savoir la légitimation de la direction du pays par l’armée.

Haro sur la langue française !

Et puisqu’il faut taper sur la France, tapons aussi sur le français puisque les francophones ont accès à des informations pas toujours agréables pour le régime. Et que le français est un obstacle pour les islamistes, qui pèsent sur tous les gouvernements algériens.

Ainsi, le ministre algérien de l’Enseignement supérieur vient de demander aux étudiants de rédiger leurs thèses et mémoires en langue anglaise dès la rentrée prochaine !  Heureusement, il ne suffit pas de le décréter pour que cela se concrétise…

Mieux encore : le parti islamiste MSP demande que la future constitution algérienne prévoie « la criminalisation de l’utilisation de la langue française dans les institutions et documents officiels ».

Le journal algérien La liberté du 12 juillet 2020 rappelle que « trois éléments sont la cible permanente des fanatiques religieux : les femmes, les arts, et les langues étrangères ».

Le dirigeant du MSP, Abderrazak Makri, persiste et signe en attaquant « les enfants de la France [comprendre les ‘traîtres’] qui se consacrent à la défense de la langue française et des intérêts français et ont une attitude servile à l’égard de la France ».

Pourtant le français est une langue algérienne

Pendant la colonisation, une partie de la population algérienne a adopté le français, et après l’indépendance, la « grande coopération » demandée par l’Algérie a envoyé dans ce pays des dizaines de milliers de jeunes Français qui ont permis de lancer la scolarisation des Algériens à grande échelle.

Cette période scolaire en français a fourni des cadres à l’Algérie pendant 50 ans. Ces derniers ont transmis l’usage du français comme langue de travail. Usage encore renforcé par les familles à cheval sur les pays francophones et l’Algérie, par les nombreux Algériens ayant effectué leurs études supérieures dans ces mêmes pays francophones, ou par le cas particulier des Kabyles qui ont le français comme deuxième langue comme peut le constater tout voyageur.

Finalement le français est une langue de l’Algérie et non une langue étrangère, contrairement à ce que le pouvoir ou des religieux ne cessent de répéter.

Citons parmi mille autres cette tribune de Khaoula Taleb Ibrahimi, professeur en science du langage à l’Université d’Alger 2, parue dans La liberté le 1er juin 2020 : « Nous avons besoin d’une politique des langues dans tous les paliers de notre système éducatif, de l’école primaire à l’université, hardie, raisonnée et rationnelle… Et cela doit se faire sans chauvinisme, sans dogmatisme, sans populisme ni démagogie et sans donner à une langue une position hégémonique au détriment d’une autre… Malgré le profond mouvement populaire en faveur de la démocratie, le pouvoir continue ses pratiques autoritaires sur le mode de l’injonction et du mépris des réalités objectives du pays. » Pour ceux qui ne connaissent pas l’Algérie, je précise que ces « réalités objectives » sont l’usage de la darija, des langues berbères et du français.

Rajoutons que la connaissance du français par une grande partie des Algériens permettrait une installation simple et rapide d’entreprises françaises, belges, suisses, canadiennes, comme au Maroc. Ce pays en a largement bénéficié, et en a tiré un double bénéfice puisque les entreprises marocaines se développent maintenant en Afrique subsaharienne francophone.

Et l’anglais ?

Le premier changement de langue, l’arabisation, a été une catastrophe.

Le passage à l’anglais en serait une autre, en partie pour les mêmes raisons : une langue non maternelle et encore plus ignorée par la population, pas de corps enseignant et pas de débouchés, sauf pour certains métiers restreints comme la recherche scientifique de haut niveau.

Mais ce dernier point ne concerne que quelques centaines ou quelques milliers de spécialistes qui feront comme dans tous les autres pays : apprendre l’anglais. Il n’est pas nécessaire de bouleverser l’Algérie pour cela !

L’anglicisation au Maghreb est une erreur stratégique

Et puis n’oubliez pas que de l’aveu même de The Economist, journal de l’élite anglophone mondiale, des cadres internationaux parlant le français ou l’espagnol en plus de l’anglais éliminent les purs anglophones ou les anglo-arabophones, sauf dans quelques pays du Moyen-Orient.

Rappelons que les chercheurs français, comme ceux des autres pays, travaillent en français et publient en anglais, langue qu’ils ont apprise comme les autres matières de leur formation. Et puis, comment exiger de passer un doctorat en anglais quand tout ce qui précède est ou devrait être en arabe ?

Je maîtrise le français, l’anglais et l’allemand, et mon expérience de cadre dirigeant dans 12 pays a illustré deux évidences : on travaille beaucoup mieux dans sa langue maternelle ou de formation et la traduction est un exercice excellent pour préciser les idées.

Je rajoute que beaucoup de textes conçus en anglais sont moins précis que leur équivalent en français, d’une part parce qu’il y a davantage de polysémie en anglais qu’en français, et d’autre part, parce qu’ils n’ont pas subi l’épreuve de la traduction.

C’est pour cette raison que la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) à Luxembourg est un temple de la traduction, avec le français comme langue des débats internes, malgré les pressions anglo-saxonnes.

Et puis, même si l’anglais était un remède, combien de décennies faudrait-il pour l’implanter à la base, alors que le français est là ! Sans même parler du gâchis humain que serait la mise à l’écart de l’élite francophone…

Refuser le modèle moyen-oriental

Je connais le Moyen-Orient, arabe, turc et perse. Cela m’a convaincu de la nécessaire ouverture linguistique et culturelle des sociétés musulmanes pour éviter les dérives catastrophiques et souvent sanglantes de cette région. Or on n’étudie pas les mêmes textes en français et en arabe.

Les rapports du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) des années 2000 nous rappellent que les principales œuvres mondiales ne sont pas traduites en arabe, et l’examen des lieux de lecture arabophone montre la prépondérance des ouvrages religieux.

Une grande langue étrangère largement connue par le peuple algérien est donc nécessaire pour échapper aux dictatures extrémistes.

Cela pourrait être l’anglais, l’espagnol ou le français, mais, comme dit, pourquoi torturer encore plus la société algérienne alors que le français y est déjà assez largement connu.

Par ailleurs, l’anglais est souvent utilisé comme une simple langue de communication et non comme l’ouverture à une culture, du moins au Moyen-Orient.

Je vais être franc et direct : si une partie des Algériens et leurs amis français ou occidentaux sont attachés au maintien du français en Algérie, une des raisons est qu’il permet de sortir de l’univers moyen-oriental et du conservatisme politique, voire du fanatisme religieux qui y règnent. Beaucoup de Nord-Africains se sentent plus proches de l’autre rive de la Méditerranée que de la Syrie ou de l’Irak. Les chercheurs arabes travaillant en Occident ont une vue catastrophique du Moyen-Orient. Voir par exemple Le monde arabe a-t-il un avenir ? d’Abdelatif Laroui.

Il ne s’agit pas seulement de langue ou de religion, mais de développement économique et humain. Il faut que dès l’enfance, les Algériens aient une autre source d’information que les télévisions wahhabites.

Passé sur les bancs de Sciences-Po et centralien, Yves Montenay a eu une riche carrière internationale de cadre, conseil et chef d’entreprise qui l’a amené à exercer des responsabilités dans de nombreux pays. Docteur en démographie, il est désormais écrivain, enseignant et conférencier. Auteur de plusieurs ouvrages de démystification sur les relations Nord-Sud, il publie également les Échos du monde musulman : une lettre d’information sur le monde musulman et tient un blogue traitant d’histoire, de culture, d’économie et de géopolitique.

Cet article a été initialement publié sur le blogue d’Yves Montenay le 15 juillet 2020.

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Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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