Take Shelter

Il est presque inusité de trouver aujourd'hui un cinéma à la fois intense et retenu. Il semblerait que, de nos jours, un grand nombre de réalisateurs croient que succès rime avec excès. Pourtant, si on présente au public des perles cinématographiques fascinantes, il peut se rendre compte de la qualité de ce type de création. Le film Take Shelter fait partie de ces découvertes qui ne constituent malheureusement pas la norme.

Curtis (Michael Shannon), un travailleur de la classe moyenne de l'Ohio, se met à avoir une série de visions apocalyptiques qu'il tente de comprendre en plus de gérer sa vie familiale et les relations qu'il entretient avec ses collègues de travail. Il se met alors à avoir une idée fixe : modifier l'abri souterrain rudimentaire de sa cour arrière.

Le réalisateur et scénariste Jeff Nichols (Shotgun Stories) a su créer une atmosphère alarmante par la subtilité, la simplicité et la lenteur, non pas comme seule fin de générer un effroi constant, mais pour sensibiliser les cinéphiles à divers thèmes dont la maladie mentale, la récalcitrance des gens à être ouverts d'esprit et à dialoguer ainsi que l'harmonie fragile de la famille en temps de crise. Une sélection modeste de quelques effets spéciaux, plutôt qu'une surabondance, apporte beaucoup au film. La trame sonore et le filon dramatique supportent très bien le tout. Une foule de clins d'œil aux films d'ambiance du genre sont faits à travers des idées bien originales. Take Shelter n'est donc pas transformé en pauvre caricature. On risque de voir plutôt des caricatures de Take Shelter dans le futur!

Michael Shannon (Revolutionary Road, Before the Devil Knows You're Dead, Boardwalk Empire) intimide avec une prestation effarante. Son rôle compte de multiples couches qu'il assume avec précision. Shannon joue aux côtés de Jessica Chastain (The Help, The Debt, The Tree of Life), capable de renvoyer la balle avec autant de prestance que son complice tout en se démarquant. À noter que Chastain a été nommée la meilleure actrice de l'année en remportant un Hollywood Breakthrough Award.

L'intuition est remise au goût du jour dans le film. On la traite sous plusieurs angles : la confiance que l'on peut y vouer, la part de doute plus forte que tout, etc. Nichols ne cherche pas à culpabiliser par une image qui pourrait illustrer parfaitement la frêle situation économique mondiale ou les changements climatiques. Il décide de glisser dans l’inconscient le questionnement sur ce que l'on tient pour acquis et comment il est ardu de faire face à la réalité, peu importe la forme qu'elle prend.

Take Shelter a cette essence que les films Frailty, Buried et 128 hours possèdent, mais c'est sa sobriété qui lui donne toute son énergie. On peut pressentir qu’il pourrait devenir une référence dans le cinéma américain tellement le film fait des propositions uniques au spectateur. De la première à la dernière séquence, Take Shelter magnétise et subjugue même dans ses moments les plus ralentis sans pour autant employer trop d'action ni de tape-à-l’œil.

Version originale en anglais présentée au AMC Forum.