CHRONIQUE D’UN OBSERVATEUR DU 7e

Les acteurs laissent l'empreinte de leur combat

La disparition des acteurs déclenche des souvenirs émanant des films tournés mais aussi de leur propre vie privée. La vie des acteurs est souvent liée à une cause défendue.

Les acteurs comme les actrices ne sont pas à l'abri des malaises, de la maladie et des réactions personnelles. C’est ce que les communicants et publicitaires vont utiliser comme vecteur pour transporter leurs messages et ainsi informer le public. Lorsque les acteurs sont directement touchés par une maladie, «l'incarnation devient plus vraie» au regard de l'histoire.

Annie Girardot restera une véritable icône dans la représentation de la maladie d'Alzheimer. Elle a vécu une passion, celle de jouer avec des acteurs qu'elle considérait être de «son école». Elle tourne un film avec Pierre Fresnay dans L'Homme aux clefs d'or de Léo Joannon (1956) et dans des films avec Jean Gabin, Le rouge est mis de Gilles Grangier (1957) et Maigret tend un piège de Jean Delannoy (1957). Annie Girardot est heureuse d'être l'interprète de Luchino Visconti dans Rocco et ses frères (1960).

Annie Girardot, révoltée par la violence

Annie Girardot est une femme passionnée. Elle semble jouer avec le feu de la passion, s’exposant à chaque moment au danger. Après plusieurs histoires tumultueuses, elle entretient une relation avec Bernard Fresson avec lequel la vie prendra un rythme plus doux. Ses relations conjugales conflictuelles la pousseront vers le marivaudage: elle aura une liaison avec Jacques Brel qu'elle rencontre sur le tournage de La Bande à Bonnot de Philippe Fourastié (1969). Annie Girardot est une passionnée très aimée, personne ne lui pardonnera cet équilibre qu'elle puise dans son amour pour la vie.

On peut retenir Dillinger est mort de Marco Ferreri (1969) avec Michel Piccoli. «Je n'ai jamais rien joué de plus érotique», avait-elle dit. En Italie, Annie Girardot interprète Les Camarades de Mario Monicelli (1963). Elle est fidèle en amitié et à ses metteurs en scène. Avec Claude Lelouch, elle joue dans Vivre pour vivre (1967) et Un homme qui me plaît (1969). Elle dit de lui qu'il est sa Nouvelle Vague. À l'époque, Lelouch se sent rejeté de ce mouvement pour lequel il avait tourné Une Fille et des fusils (1964) sans avoir utilisé le terme de Nouvelle Vague inventé par Françoise Giroud dans L'Express.

Annie Girardot contribue au mouvement de libération de la femme

Cette merveilleuse comédienne au ton naturel, sincère, brillante, souriante, aimant la vie, participera de manière implicite à la libération des mœurs, encourageant les femmes à se défaire de leur carcan jusqu'à ce que Françoise Giroud, Gisèle Halimi, Simone Weil et d’autres interviennent dans l'univers impitoyable du pouvoir masculin.

Avec la comédie franco-italienne de Gérard Pirès, Erotissimo (1969), la France semble laisser un peu d'air frais aux femmes encore très occupées par les travaux ménagers et le pouponnage. C'est une petite comédie mais qui, avec du recul, montre, sur l'échelle de la libération des femmes, que l'art cinéma lui fait faire des progrès. Michel Audiard accélère le mouvement. Il réalise en 1970 Elle boit pas, elle fume pas, elle drague pas, mais ... elle cause et Elle cause plus... elle flingue (1971). Avant sa maladie, Annie Girardot se sent abandonnée par les réalisateurs. Lors de la remise du César de la meilleure actrice dans un second rôle en 2002 pour La Pianiste, elle révèle sa solitude et son immense bonheur de sortir à nouveau de l'ombre. Elle se sait atteinte de la maladie d’Alzheimer. Le film de Zabou Breitman, Se souvenir des belles choses (2002) traite précisément du combat contre la maladie d’Alzheimer, l'absence de mémoire et la montée en puissance vers la maladie, qu’il est possible de réduire grâce à une volonté et une aide de l'entourage du malade.

En 1977, Annie Girardot est récompensée du César de la meilleure actrice pour le film Docteur Françoise Gailland de Jean-Louis Bertucelli (1976). Ces rôles qui la passionnent sont comme des récompenses à cette longue patience nécessaire aux bonnes comédiennes dont la fonction première, en dehors de jouer, est de savoir choisir. Elle jouera dans La Nuit d'Epstein, film germano-suisse d’Urs Egger (2002). Hanecke lui proposera de tourner dans Caché (2005).

Annie Girardot en 1979 est l'artiste la plus appréciée des Français devant Alain Delon, Jean-Paul Belmondo et Romy Schneider. En 2002, elle se verra attribuer un Molière pour l'ensemble de son œuvre.

La représentation de la maladie d'Alzheimer

En 2004, Nicolas Baulieu, admirateur d'Annie Girardot, tourne un documentaire de 55 minutes: Annie Girardot comme au cinéma. Elle accepte de parler d'elle et de son mal par générosité naturelle, et de tourner avec cet ami attentif à sa vie. Nicolas Baulieu est à l'écoute de la grande comédienne dans Annie Girardot, ainsi va la vie (2008).

Elle oubliera, à cause de cette terrible maladie incomprise de tous, qu'elle a été une grande comédienne. C'était une grande dame.

Le cancer représenté par le cinéma est mieux accepté

Yannick Bellon s'était penchée sur le cancer qui ruine des vies. Elle a mis en scène une histoire simple dans L'Amour nue (1981) avec Marlène Jobert et Jean-Michel Folon. Claire Castellan est interprète à l'UNESCO, elle vit avec Simon, océanographe, lorsqu'elle apprend qu'elle a un cancer du sein. Elle ne veut rien lui imposer et décide de le quitter. Yannick Bellon pose le problème de l'attachement des êtres face à la maladie qui broie les rapports humains lorsqu'ils ne sont pas assez solides.

Dans cet immense succès qu'a été Love Story (1971) d’Arthur Hiller, d’après un scénario d'Erich Segal et une musique de Francis Lai, un jeune étudiant de Harvard, issu d’un milieu aisé, tombe amoureux d'une jeune femme d'origine américaine. Elle tombe malade et apprend qu’elle est atteinte d'une leucémie incurable.

Des mots et des images pour exprimer son mal

Marie Cardinal, dans Les Mots pour le dire expliquait que le corps a ses raisons. Elle répond à ce que les mots n'expriment pas. Le cancer peut être une réponse au refus du dialogue, la folie également, le suicide étant le résultat final d'une névrose impossible à maîtriser à un moment donné. Dans La Clé sur la porte, d'Yves Boisset (1978), d'après le roman de Marie Cardinal, Annie Girardot, alors professeur au lycée, laisse sa porte ouverte à tous ses élèves pour leur permettre de faire circuler la parole et d'être en bonne santé. Patrick Dewaere joue le rôle d’un médecin. Philippe calme les maux du corps. Marie tombe amoureuse. C’est alors qu’ils constituent un être complet, corps et esprit.

Maria Schneider, très belle actrice, est décédée des suites d'un cancer. Nombreuses sont les personnes qui disparaissent, meurtries de ne jamais avoir été aimées d'un de leur proche. Maria Schneider est la fille du mannequin Marie-Christine Schneider et de l'acteur Daniel Gélin, qui ne l'a jamais reconnue. À l'âge de 16 ans, elle frappe à sa porte et rencontre enfin son père. Elle confie que c'est «le mal du père» qui l'a poussée vers le métier de comédienne. Elle désire tout d'abord ressembler à Brigitte Bardot qui l'héberge pendant deux ans et lui fait rencontrer des stars.

Les tabous ne sont pas morts

Une opportunité va faire démarrer sa carrière. Bernardo Bertolucci l'engage pour tourner Le Dernier tango à Paris (1972) en remplacement de Dominique Sanda, alors enceinte. Elle va se jeter passionnément corps et âme dans ce film, se donnant sans inhibition. L'histoire est provocatrice pour l'époque. Maria Schneider devient célèbre du jour au lendemain mais les plaisanteries déplacées et les coups de fil anonymes inondent sa vie. Même le chroniqueur de Pariscope n'hésitera pas à écrire des phrases assassines pour faire rire le lecteur. Le film fut interdit en Italie jusqu’à ce qu’en 1978, la Cour d'appel de Bologne ordonne la destruction du négatif et de toutes les copies, sauf trois destinées à la cinémathèque nationale italienne à condition qu'elles ne soient pas montrées. En 1988, après un nouveau jugement, le film est distribué. Maria Schneider est troublée par tout ce tapage médiatique. Michelangelo Antonioni lui propose de tourner Profession reporter (1975) aux cotés de Jack Nicholson. Profession reporter a été son film préféré. Cela ne se passe pas bien avec Luis Buñuel. Il la licencie après deux jours de tournage. Cette vie riche de rebondissements et de déboires laisse place à la maladie. Elle est morte du cancer le 3 février 2011.

Les névroses apparaissent dans la dramaturgie des films

Patrick Dewaere s'était donné la mort à la suite d'un simple coup de fil qui devait le renvoyer à son enfance un peu volée par cette impuissance à connaître l'identité de son père dont il connaîtra le nom que très tardivement. Paradis pour tous, d'Alain Jessua, analyse les mécanismes névrotiques du suicide. Christine Pascale, cette admirable comédienne réalisatrice a travaillé avec Bertrand Tavernier dont elle a été la comédienne et la scénariste dans Les Enfants gâtés (1977). En 1996, alors qu'elle est en soin à Garches, elle saute par une fenêtre et se tue. Christine Pascale avait réalisé un film d'une force exemplaire, Le petit prince m'a dit (1992), sur une petite fille atteinte d'une tumeur au cerveau.

Le cinéma a la vertu d'être un «média intellectuel» et à ce titre, a la possibilité de reléguer la parole de façon efficace. Depuis deux décennies, le cinéma est devenu une possibilité presque incontournable pour visiter les connaissances de la science et les progrès de la médecine. Les acteurs ont utilisé leur notoriété pour faire connaître certaines maladies parfois inavouables lorsqu'elles sont découvertes. Rock Hudson n'a pas hésité, et beaucoup de médecins lui en sont reconnaissants, d'avoir communiqué sur la maladie du sida dont il était atteint. Cela a permis à nombre de patients de se soigner.

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